« Nous resterons debout » : en Iran, les femmes continuent de lutter

jeudi 17 août 2023.
 

Source : https://www.liberation.fr/internati...

A quelques semaines du premier anniversaire de la mort de Mahsa Amini, qui avait entraîné des manifestations massives dans le pays, la police iranienne de la moralité refait surface dans les rues de Téhéran, traquant les femmes qui défient l’obligation de se couvrir la tête d’un hijab. Sans venir à bout de leur détermination.

« En un an seulement, ils ont tué des centaines d’entre nous, en ont arrêté des milliers. La vie de millions de personnes a été bouleversée. Mais c’est nous qui sommes leur cauchemar, nous, dont l’existence même les terrifie. Nous les défions chaque jour en sortant sans nos hijabs, en montrant ainsi qu’ils ne peuvent pas nous contrôler. »

Elnaz (1) est déterminée, elle ne cédera pas. « Même s’ils nous affrontent dans les rues avec des fusils et des chars, nous ne reviendrons pas à la situation antérieure. Nous n’avons pas d’autre choix que de nous battre. »

Comme des milliers d’Iraniennes, la brune jeune femme de 36 ans ne veut plus porter le foulard obligatoire. Rien ne la fera changer d’avis, et certainement pas la résurgence récente de la police des mœurs (gasht-e ershad, littéralement patrouilles de l’orientation islamique) dans les rues d’Iran.

Ces contrôleurs de la « modestie vestimentaire » des femmes n’avaient jamais vraiment disparu, même si des rumeurs avaient évoqué en décembre 2022 l’abolition de cette police des mœurs qui existe, d’une manière ou d’une autre, depuis la révolution islamique de 1979.

En fait, ces empêcheurs de s’habiller comme bon vous semble avaient juste suspendu leurs activités. Seuls quelques policiers en civil mettaient en garde les femmes dévoilées dans la rue, les menaçaient d’amendes.

« Les femmes et les jeunes filles sont plus courageuses que jamais »

Mais depuis mi-juillet, les agents sont réapparus dans les rues de Téhéran, distillant un parfum de menace.

Les membres de ces patrouilles – les hommes en uniforme, les femmes en tchador noir – arpentent les rues à bord de camionnettes vertes et blanches reconnaissables entre toutes, dans lesquelles ils embarquent les femmes dont ils jugent la tenue contraire à la loi islamique.

Il y a quelques mois, début janvier, Elnaz participait à une manifestation, sans voile, quand elle a été arrêtée et incarcérée pour une semaine. A sa sortie de prison, elle a perdu son emploi dans un atelier d’artisanat.

« Ces derniers mois, beaucoup ont essayé de présenter le gouvernement iranien comme réformé et en retrait, ne se préoccupant plus de celles qui défient la loi sur le hijab.

C’est un mensonge. Le seul changement est que les femmes et les jeunes filles sont plus courageuses que jamais et qu’elles affichent ouvertement leur courage en enfreignant la loi sur le foulard », s’indigne-t-elle, assise devant un thé dans son salon.

« Non seulement le gouvernement n’a pas changé, mais il est devenu encore plus agressif. C’est précisément le moment où nous ne devons pas reculer. Nous resterons debout et nous ne resterons pas silencieux face à cette injustice. »

Pour la jeune femme, il n’y a aucun doute : la réapparition de la police des mœurs est un signe de l’inquiétude des autorités à l’approche du premier anniversaire de la mort tragique de Mahsa Amini, 22 ans, alors qu’elle était détenue par les membres de cette force de l’ordre.

Le 13 septembre 2022, Mahsa, originaire de la province kurde de Saqqez, avait été arrêtée dans Téhéran par la police des mœurs pour un foulard mal ajusté sur sa chevelure.

« Pires traumatismes »

Emmenée dans un centre de « rééducation », elle avait été sévèrement battue avant de mourir de ses blessures trois jours plus tard, le 16 septembre. Les images de son visage tuméfié, alors qu’elle agonisait sur un lit d’hôpital, avaient bouleversé l’opinion publique iranienne et internationale.

Le décès de la jeune fille a entraîné une immense vague de protestations dans tout le pays, les manifestantes retirant leur hijab, multipliant les actions symboliques comme celle de se couper les cheveux devant une caméra.

La réponse des autorités iraniennes, comme à chaque montée de tensions, avait été violente. Plus de 500 manifestants ont été tués et près de 20 000 personnes arrêtées.

Au milieu de cette agitation qui a duré des mois, la police de la moralité avait pratiquement disparu des rues. Jusqu’à ces dernières semaines. Shabnam, une amie d’Elnaz, est costumière. Elle affirme ne pas avoir manqué une seule manifestation ces derniers mois, avoir scandé encore et encore « Femme, vie, liberté », le slogan devenu le symbole de la révolte qui a suivi la mort de Mahsa Amini.

Shabnam ne cache pas sa crainte face à la répression, mais n’a aucune intention de reculer. « Naturellement, le fait d’entendre ces nouvelles et de voir à nouveau des voitures de la police de la moralité dans les rues est alarmant pour nous. Elles nous rappellent nos pires traumatismes.

Mais l’existence de cette peur ne signifie pas un recul. Au contraire, c’est en dépit de cette peur que nous persistons. A mon avis, si ce sentiment de peur n’existait pas, notre courage n’aurait pas de sens », dit-elle.

Dans ce parc du centre de Téhéran, Mina, 27 ans, arrive à petites foulées, sa longue chevelure brune flotte sur ses épaules. Avec d’autres athlètes professionnelles, elle s’entraîne tous les jours à la course à pied dans ce parc. Parfois, elle court dans les allées désertées du souk. Sans hijab.

Différentes formes de répression

Elle aussi a participé à de nombreuses manifestations. Le retour visible de la police des mœurs lui arrache un haussement d’épaules. « Je ne pense pas qu’il s’agisse d’une nouvelle rafale de répression. Ces derniers mois, le gouvernement a continué à appliquer les mêmes normes que la police de la moralité, mais de manière différente. Par exemple, les forces gouvernementales, habillées en civil, patrouillaient régulièrement dans les rues et harcelaient verbalement les femmes qui ne portaient pas le hijab. »

Régulièrement, les conductrices sans hijab au volant des voitures, celles qui se présentent les cheveux non couverts aux guichets des banques ou dans les transports publics sont intimidées, reçoivent une amende, voire sont arrêtées. Certaines étudiantes se sont même vues interdites d’examens à l’université. Sepideh Rashno, 29 ans, poète et étudiante en art à l’université, avait ainsi été suspendue de ses études parce qu’elle refusait de se conformer à l’obligation de porter le hijab.

En juillet 2022, quelques semaines avant la mort de Mahsa Amini et le début des manifestations, Sepideh avait déjà été agressée verbalement par une partisane du gouvernement, parce qu’elle ne portait pas son foulard. Elle avait confronté la femme et été rapidement arrêtée. Sous la pression et après avoir été torturée, elle avait été contrainte à faire des aveux forcés, diffusés par la télévision d’Etat iranienne.

Mais un an après cet incident, Sepideh a récidivé, ce qui lui a valu d’être suspendue de l’université pendant deux semestres. « Je leur ai dit que je reviendrai après deux semestres de suspension, mais que je reviendrai avec les mêmes vêtements et… sans foulard », a-t-elle clamé sur son compte Instagram. « Nous sommes debout. La seule chose plus belle que la liberté elle-même, c’est de se tenir debout pour la liberté. »

Le combat dans les taxis

Une autre méthode employée par le gouvernement pour réprimer les femmes qui ne portent pas le hijab obligatoire consiste à leur refuser des services essentiels.

Mehdi, chauffeur de taxi, révèle ainsi les pressions exercées sur sa profession. « Le gouvernement menace les chauffeurs de taxi, les avertit que s’ils prennent une passagère sans hijab, leur voiture sera confisquée et qu’ils seront punis. Cette tactique n’est pas nouvelle ; il s’agit d’une vieille stratégie du gouvernement qui consiste à tenter de nous monter les uns contre les autres. »

Mais, pour lui au moins, pas question de céder à la pression. « Jamais je ne demanderai à une fille de porter le hijab. Je ne veux pas devenir l’un d’entre eux. Je préfère être puni plutôt que de devenir un oppresseur. Je crois qu’il est essentiel pour chacun d’entre nous de faire preuve d’autant de courage que possible, sans peur. »

Jusqu’aux manifestations de l’an dernier, Roya, 30 ans, se conformait à l’obligation de porter le hijab.

Mais depuis la mort de Mahsa Amini et les révoltes qui ont suivi, c’est terminé. « Je suis entrée dans un taxi et le chauffeur s’est inquiété en disant : “Madame, ils vont nous mettre une amende. Pouvez-vous porter votre hijab ?” raconte-t-elle.

J’ai répondu : “J’ai été licenciée parce que je ne portais pas de hijab, alors par comparaison, une amende pour vous est insignifiante.”

Le conducteur a protesté, ce qui m’a amené à le menacer de noter son nom et sa plaque d’immatriculation. “Dans quel but ?” a-t-il demandé. “Nous créons une base de données des conducteurs qui maltraitent les femmes, afin d’aider les usagers à savoir si un conducteur est sûr”, ai-je expliqué. Le conducteur a hésité. “Vous avez le choix”, lui ai-je dit. "Vous êtes soit avec les gens, soit contre eux. »

Plusieurs personnalités continuent de prendre position en public, en dépit des risques de représailles, parfois ubuesques.

Au printemps, l’actrice Azadeh Samadi s’est retrouvée au centre d’une controverse lorsqu’elle a assisté à des funérailles en portant une casquette au lieu du foulard traditionnel. Un tribunal lui a interdit l’accès aux médias sociaux et lui a prescrit une thérapie en raison de « troubles de la personnalité antisociale », en plus d’une interdiction d’utiliser son téléphone portable pendant six mois.

Deux autres actrices, Leila Bolukat et Afsaneh Bayegan, également coupables d’avoir négligé de porter un hijab, ont aussi été condamnées à suivre une thérapie.

Le 19 juillet, la militante politique Sepideh Qolian, actuellement emprisonnée pour ses activités, a carrément refusé de porter le hijab obligatoire lors d’une comparution devant le tribunal, ce qui a entraîné le report de la séance.

Le gouvernement affirme que les règles n’ont pas changé

D’autres femmes, anonymes, ont été condamnées à des travaux d’intérêt général d’un genre particulier, comme celui de laver des cadavres. Sara a 19 ans, elle est devant l’entrée de l’Université de Téhéran où elle est en première année de littérature anglaise et elle se désole. « Chacun devrait avoir la liberté de vivre selon ses croyances et préférences personnelles. Pourtant, nous voilà pris dans ce triste spectacle, alors que dans le monde entier, des jeunes célèbrent la vie en portant du rose et en allant voir le film Barbie. En Iran, si nous choisissons de vivre selon nos goûts, nous risquons d’être accusées d’insulter les traditions sacrées. »

Le gouvernement iranien a toujours affirmé que les règles n’avaient pas changé, que le hijab reste le symbole de la révolution islamique. Toutefois, la répression croissante des derniers mois ne fait qu’accroître le mécontentement de la société et suscite une réaction de plus en plus vive de la part du public.

D’autant qu’en parallèle, un scandale de sextapes, rendues publiques en juillet, montrant des mollahs en pleins ébats sexuels avec des jeunes hommes, secoue sérieusement le régime islamiste, sachant que certains des protagonistes sont en charge du contrôle du port du voile et de la modestie des femmes. Ça passe de moins en moins.

La semaine dernière, l’activité de trois entreprises iraniennes de premier plan a temporairement été suspendue après que des images de leurs espaces de travail, remplis de femmes ne portant pas le foulard, sont devenues virales sur les réseaux sociaux.

Face à la réaction d’indignation massive du public, la suspension a été très rapidement levée.

Les semaines à venir, marquant l’anniversaire de la mort de Mahsa Amini et du début de ce mouvement de contestation particulièrement durable, seront cruciales. Elles serviront sans aucun doute de test décisif pour la lutte en cours : qui, du gouvernement ou du peuple, finira par triompher ?

(1) Tous les prénoms, sauf ceux des personnages publics, ont été modifiés pour assurer la sécurité des personnes ayant témoigné.

vendredi 11 août 2023, par DELASALLE-STOLPER Sonia, SHIRAZI Divan


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