Grâce à la mobilisation sur les retraites, le RN progresse même s’il a toujours délaissé ce thème. Pourquoi ?

samedi 6 mai 2023.
 

Le champ des perceptions ne coïncide pas avec le champ de la raison.

La période devrait bénéficier à la gauche, à la gauche de rupture avec l’ordre néolibéral. Ce sont ses thématiques qui sont mises à l’agenda, et on pourrait penser qu’en période de forte protestation, il y a une certaine demande de radicalité.

Référence : Émission du 15 avril 2023 sur Le Média .tv. Le Stagirite

Chaque semaine, Fabrice alias le Stagirite porte un regard décalé sur l’actualité et les stratégies de communication des puissants. L’ironie n’empêchant pas l’analyse rigoureuse.

EXTRÊME DROITE MANIFESTATIONS RETRAITE. And the winner is... Marine Le Pen ? (Marine Le Pen est-elle la gagnante ?)

Voir l’émission en utilisant le lien suivant :

https://www.lemediatv.fr/emissions/...

*

Présentation de l’émission sur le site du Média.

Depuis quelques semaines, on ne cesse d’entendre la petite musique d’un Rassemblement national qui sortirait "gagnant de la séquence de la protestation contre la réforme des retraites", selon la formule consacrée. Il faut relativiser les résultats des enquêtes d’opinion de ces dernières semaines, notamment parce qu’il est difficile de démêler les authentiques et durables déplacements d’opinion, des effets temporaires d’emballements médiatiques autoréalisateurs. Néanmoins cette accumulation de données indique des tendances préoccupantes. La NUPES et en particulier LFI semblent difficilement capables d’ajuster leur stratégie à la période actuelle.

La période devrait bénéficier à la gauche, à la gauche de rupture avec l’ordre néolibéral. Ce sont ses thématiques qui sont mises à l’agenda, et on pourrait penser qu’en période de forte protestation, il y a une certaine demande de radicalité.

Pourquoi la NUPES stagne quand le RN monte, alors qu’il n’a rien fait - pas de meetings, pas de rassemblements, il a très peu amendé le texte et il s’est contenté d’avancer des solutions parlementaires sans lendemain ? Pourquoi le RN apparaît-il comme le débouché politique de la protestation et de la colère ?

*

Complément d’information reprenant les sondages mentionnés dans l’émission. Le RN augmenterait son influence de 7. ; La NUPES stagne mais avec une augmentation de 9 points chez les cadres et une baisse de six points chez les ouvriers.

Source : chaîne Publique – Sénat

https://www.publicsenat.fr/actualit...

**

Commentaire HD

analyse intéressante qui aborde effectivement le problème de la communication politique et notamment celle du RN et de LFI.

Pour comprendre les forces et faiblesses d’une organisation politique il faut :

1) connaître son programme politique

2) connaître ses votes dans les différentes assemblées ;

3) connaître sa stratégie de communication dont notamment ses interventions médiatiques et ses actions de terrain.

Cette stratégie de communication doit être analysée en rapport avec les thèmes utilisés et les cibles visées.

Dans la communication d’un message, la forme a un impact intersubjectif supérieur au fond, au contenu du message. La forme est ce qui crée un lien entre le fond élaboré par l’émetteur et la subjectivité du récepteur.

Voir à ce propos un petit article concis et clair : le fond et la forme dans la communication.

https://vivrelibre.blog/2018/01/15/...

rappelons que Guy Debord, dans son célèbre livre la société du spectacle, considère que le spectacle est justement un lien social.

Dans cette perspective, il ne faut pas oublier que les attitudes et les comportements, la rhétorique font partie de la forme.

**

Commençons par l’analyse de la communication du RN.

Dans l’article cité ci-dessous de Mediapart du 22/04/2023, on lit : « …« On a récusé à toute force chaque argument du pouvoir, mais ça invisibilise le RN, qui avance à bas bruit comme au moment des législatives. Je pense qu’il n’y a pas eu assez d’analyse sur l’espace médiatique et sur le positionnement du RN », pointe l’historienne Ludivine Bantigny. ». Elle me semble avoir tout à fait raison.

On va centrer ici notre attention sur le mouvement social la contre réforme des retraites

Je passe ici rapidement sur le contenu du programme RN concernant les retraites : Marine Le Pen en 2022 distingue trois tranches d’âge pour l’entrée dans la vie active : de 17 à 20 ans ; de 20 ans à 25 ans ; au-delà de 25 ans. La retraite à 60 ans s’applique pour la première tranche avec 40 annuités de cotisations ; pour les deux secondes tranche l’âge de la retraite s’étale de 62 à 67 ans pour 42 annuités. Cela permet de couvrir tout le spectre électoral et récupérer, par enfumage, des électeurs de gauche, de droite, macroniens et d’extrême droite.

Si dans les faits, les élus RN n’ont pas participé aux manifestations contre la réforme des retraites, ils avaient annoncé comme par exemple dans le magazine Le Point et sur BFMTV qu’ils avaient l’intention d’y participer. Mais en même temps, se posant en victime, ils dénoncent le fait que les syndicats ne veulent pas de leur présence à leurs côtés.

Voir article sur BFMTV :

« RETRAITES : LE RN JUGE "SCANDALEUX" QUE SES ÉLUS NE SOIENT PAS LES BIENVENUS AUX MANIFESTATIONS. »

https://www.bfmtv.com/politique/fro...

Mais un autre moment, sur RTL, Bardella, tout en condamnant la réforme du gouvernement, n’appelle pas ses adhérents à manifester mais comprend parfaitement que ses électeurs, s’il le jugent utile, participent à ces manifestations. Il annonce que le RN sera présent sur les marchés pour distribuer des tracts condamnant la réforme des retraites.

Voir l’article sur RTL :

pourquoi le RN n’appelle pas à manifester :

https://www.rtl.fr/actu/politique/r...

Mais ce qui n’est pas dit dans l’émission, c’est que le RN a organisé une campagne d’affichage dans de nombreux villages laissant penser qu’il était à l’avant-garde du combat contre la réforme des retraites !

Invisible dans les manifestations, mais visible sur des posters couleur dans les villes et les campagnes sans compter les distributions de tracts sur les marchés.

Le RN veut renvoyer l’image d’opposants calmes, ordonnés, discrets refusant de participer au désordre bruyant de la rue.

Nos 16,7 millions de retraités seront rassurés et ne seront pas indignés par la participation de députés à des manifestations interdites ou violentes. Il est vrai qu’un retraité passe 11 heures par jour devant son écran télé.

[Source : https://www.capretraite.fr/blog/act... ]

Les médias ont relayé le RN en harcelant les représentants de la NUPES mais surtout de LFI en leur posant la sempiternelle question : êtes-vous d’accord avec les débordements de violence dans ces manifestations ? Je passe, on connaît la petite musique.

Les membres du gouvernement ne seront pas en reste en suggérant que les violences verbales et l’appel aux blocages favorisent la violence et les interventions policières dans les manifestations.

Donc, d’un côté des gens calmes, responsables et de l’autre des excités irresponsables. D’un côté le désordre ; de l’autre l’ordre ;

*

Une autre stratégie du RN consiste à présenter les représentants du RN comme tolérants, ouverts et ceux de LFI comme sectaires, intolérants et faisant passer leurs intérêts de parti avant l’intérêt général.

Ainsi le RN ne refuse pas de voter un projet de loi allant dans le même sens que le sien pour la NUPES mais celle-ci, en revanche, se refuse à voter tout projet de loi déposé par le RN. Les représentants de l’extrême droite se placent alors comme les opposants les plus déterminés à Macron.

Une autre stratégie d’une redoutable efficacité est l’exploitation du mot d’ordre de Mélenchon pendant la campagne électorale : « pas une seule voix pour Le Pen »

on a vu que ce mot d’ordre n’a pas empêché au RN de battre un record historique par le nombre de suffrages exprimés obtenus y compris dans les classes populaires.

En revanche, Marine Le Pen n’a jamais dit : « pas une voix pour Mélenchon ». Cela permet au RN, d’une manière quasi permanente, à l’assemblée, sur les chaînes Internet extrêmes droites, sur les médias de proclamer que LFI fait preuve de duplicité, de malhonnêteté d’hypocrisie (je reprends ici les termes utilisés par le RN) puisqu’il a permis ou pour le moins légitimé l’élection de Macron puisqu’ une partie non négligeable de l’électorat Mélenchon (entre 37 % et 42 % selon les sondages) à voté pour Macron.

Une partie des classes populaires victimes de la très grande violence sociale de Macron n’est pas prêt d’oublier ce mot d’ordre. Je n’ examine pas évidemment ici le bien fondé ou non de l’efficacité électorale de ce mot d’ordre (seul un sondage précis pourrait le dire et je suis étonné qu’il n’existe pas) mais je m’intéresse seulement à la stratégie de communication du RN.

Il est bien évident que les raisons du vote RN d’une partie des classes populaires s’ explique par des causes objectives liées aux politiques néolibérales désastreuses et par des causes subjectives liées à d’autres stratégies de communication du RN : l’exploitation des thèmes identitaires et sécuritaires, le bouc émissaire de l’assistanat, donne l’illusion que le RN serait le parti de l’ordre qui protège de toutes les calamités.

En outre, les thèmes du RN sont relayés par les médias dominants et la presse locale.

En bref, le RN sait instrumentaliser le monde des perceptions.

Les résultats des études sociologiques Ipsos de l’électorat pour les élections présidentielles de 2022 et législatives de 2022 montrent que l’efficacité de la propagande du RN garde toute son efficacité.

C’est en constituant des groupes d’actions NUPES dans chaque circonscription et en pratiquant un porte-à-porte régulier que l’on pourra mettre en échec l’efficacité de la communication du RN. Soutenue, en arrière-plan, par les médias dominants.

**

La stratégie de communication (ou non stratégie) de la NUPES.

Comme le rappelle l’émission dont nous sommes partis, elle s’appuie , en partie sur la stratégie de la « conflictualité qualifiée dans cette émission de « populiste ». Je ne crois pas que ce terme soit forcément approprié ici. Il est vrai que Mélenchon a maintes fois expliqué que la conflictualité permet de faire poser des questions que les médias veulent étouffer, permet le débat, permet la réflexion.

Il est bien évident, en effet, qu’une phrase comme « la police tue » va provoquer une déflagration médiatique. Une telle stratégie ne posait guère de questions lors de la phase « du bruit et de la fureur » pour percer le mur du silence médiatique et de la conquête des voix du « peuple en colère ». Mais depuis, un certain nombre de militants pratiquant comme François Ruffin le porte à porte ont constaté que cette stratégie n’était plus forcément productive et s’avérait même contre-productive.

La conflictualité dans une société ouverte aux débats, démocratique (la démocratie implique conflit d’idées ) peut être profitable mais dans un un espace public structuré par un régime ultra autoritaire, un espace médiatique qui est transformé en champ de guerre idéologique où les journalistes sont devenus des propagandistes guerriers, une telle stratégie semble être devenue hors sol.

Dans un tel contexte, la conflictualité qui est récupérée par les médias comme une violence verbale intolérable, pose des questions inaudibles. Mieux encore, les débats sont hystérisés où chacun déverse son monologue en étant sans cesse interrompu. Les gens commencent en avoir marre de cette « conflictualité » qui ne suscite plus un débat démocratique.

Et paisible. Mais là encore il faudrait réaliser des sondages sur cette question pour savoir exactement ce qu’en pensent les électeurs.

La stratégie de communication sur la conflictualité n’est donc pas construite sur une assise scientifiquement établie.

*

Parle-t-on des 650 mesures du programme de la NUPES qui a permis de présenter une candidature unique dans chaque circonscription un seul candidat de gauche ? Non, rarement.

Fort heureusement, les différentes composantes de la NUPES sont d’accord pour s’opposer à la contre-réforme des retraites du gouvernement. Néanmoins concernant la stratégie à adopter pour le vote de la loi sur les retraites, un média à forte audience comme TF1 met bien en lumière le fait que la stratégie de LFI n’est pas partagée par la totalité de la NUPES. https://www.tf1info.fr/politique/re...

Heureusement, si l’on peut dire, car l’image renvoyée par ailleurs à la population est assez désastreuse. Fabien Roussel, n’a pas cessé les provocations : un agent de la CIA payé pour faire éclater la NUPES n’aurait pas fait mieux ; une Sandrine Rousseau qui transforme « l’affaire Quatennens » en un drame existentiel du féminisme au sein de la NUPES, Clémentine Autain dans Libération et Raquel Garrido dans le parisien qui considérent avoir été mis à l’écart par une France Insoumise non démocratique, un Manuel Bompard qui demande une candidature unique de la gauche aux élections européennes et la représentante des Verts qui affirme avec véhémence que son parti présentera des candidats écologistes, Tout cela est la négation même d’une stratégie unitaire de communication efficace pour la NUPES.

Il ne faut donc alors pas s étonner qu’un journal comme Mediapart publie récemment (22/04/2023) un article intitulé : en arrière-plan du mouvement social, la crise de la gauche persiste. https://www.mediapart.fr/journal/po...

Cet article intéressant mais dont les affirmations ne sont pas toujours justifiées, ne pose pas un problème de fond : la fidélité au programme sur lequel les députés ont obtenu les voies des électeurs pour être élu. Pourquoi donc encore poser le problème de la « radicalité » alors qu’il ne se pose plus puisque les électeurs ont décidé que la mouvance réformiste incarnée par Hidalgo n’a recueilli que 1,7 % des voix.

Un passage intéressant est celui-ci : : « Ce qu’a révélé la séquence, c’est que la Nupes reste un espace politique insuffisamment structuré et unitaire », déplore Alain Coulombel, membre du bureau exécutif d’EELV, qui regrette qu’elle en soit restée au stade d’une simple « coalition parlementaire ». La Nupes pourrait ainsi se présenter divisée aux élections européennes de 2024, fermant la parenthèse de son existence : « On est loin d’exprimer un projet cohérent, alternatif, avec des équipes qui travaillent ensemble sur les territoires, c’est ce qui me fait peur », ajoute l’écologiste. »

Ces propos ne manquent pas de justesse mais on est étonné qu’il soit tenu par un membre de la direction des Verts dont la nouvelle secrétaire générale a mentionné que son organisation présenterait un candidat de leur parti aux prochaines élections européennes. En outre, la proposition de Mélenchon de créer un groupe unitaire NUPES a été rejetée par toutes les composantes sauf LFI.

L’article de Mediapart rappelle opportunément que : « Le coordinateur des espaces de LFI, Manuel Bompard, a beau appeler à installer « des assemblées de la Nupes dans chaque circonscription ou au niveau des communes » et à rendre « possible l’adhésion directe », l’acte 2 de la coalition, tant annoncé depuis des semaines, peine à démarrer. »

« Ce qui est le plus frappant, c’est le contraste entre le mouvement social unitaire, digne, sérieux, inventif, capable de se rénover et de se reformuler à chaque fois, et une gauche plus encline à cultiver son jardin, voire à montrer ses divisions sur les choix stratégiques », critique l’économiste Maxime Combes.

Si la NUPES renvoie une telle image de division dans un journal comme Mediapart, on peut imaginer l’impact désastreux de la politique de communication dans l’ensemble de la média sphère.

Il est clair que la NUPES donne des bâtons pour se faire battre voir même pulvériser par le RN qui, lui, renvoie une image unitaire avec un leadership clair.

**

Il ne faut donc pas être étonné, comme le rappelle l’émission que la NUPES stagne et que le RN continue son ascension. Dans une société du spectacle, la forme a plus d’importance que le fond dans l’imaginaire des électeurs. Force est donc de constater que malgré les efforts déployés par LFI dans le développement de ces différents médias Internet, la politique communicationnelle de ses représentants n’est pas au niveau.

Il y a un divorce entre le formidable travail intellectuel collectif pour élaborer l’Avenir en commun et le peu de réflexion investie dans la politique de communication. Celle-ci doit s’ appuyer sur une très bonne connaissance du fonctionnement des médias et de l’utilisation de l’ingénierie sociale et d’autre part s’ancrer sur une connaissance fine de la réalité idéologique que constitue l’imaginaire politique de nos concitoyens qui n’est pas un simple reflet de leurs conditions matérielles d’existence.

Nous avons centré ici notre attention sur le problème de la communication mais il est bien évident que les difficultés que traverse la NUPES ne se réduisent pas à un simple problème de politique de communication.

De mon point de vue, les difficultés sont les suivantes :

1) l’offensive des socialistes réformistes soutenus par les médias dominants pour casser la NUPES. Faisant abstraction de l’échec cuisant aux élections présidentielles avec une simple audience de 1,7 % des suffrages exprimés, cette force s’appuie sur les résidus de l’implantation du PS au niveau local que certains communistes opportunistes veulent encore exploiter pour sauvegarder quelques sièges.

2) Les réflexes ou tendances identitaires ou partidaires du PCF et de EELV qui ne favorisent pas le travail coopératif mais plutôt une compétition mortifère.

3) L’absence ou l’insuffisance au niveau local des communes et des circonscriptions de groupe d’action unitaire NUPES.

4) Une insuffisance de formation et de conscience politique des représentants de la NUPES concernant la nature et le fonctionnement précis des médias. Ils n’ont pas pris conscience que l’espace médiatique est un véritable champ de guerre. Je ne suis évidemment pas le seul à le penser. « Un article de la revue 111 de Morpheus paru en mai 2022 explique que l’OTAN considère le cerveau humain comme un nouveau champ de bataille, au même titre que ceux de la terre, de la mer, de l’air, de l’espace et des techn en technologies. Il est question de guerre cognitive, selon l’expression de François du Cluzel, qui dirige le carrefour de l’innovation de l’OTAN (I-Hub).

Des opérations psychologiques à la guerre cognitive : [Source : https://reseauinternational.net/pro... ]

En 2020 il a rédigé un rapport intitulé « Cognitive Warfare » dans lequel l’auteur nous annonce que « L’esprit humain est désormais considéré comme un nouveau domaine de guerre ».

**

Annexe

Le vote d’ouvriers et d’employés pour des candidats d’extrême droite : une problématique à ne pas esquiver. https://www.gauchemip.org/spip.php?...

*

sociologie de l’électorat ou législative de 2022. Premier tour https://www.ipsos.com/fr-fr/legisla...

Sociologie de l’électorat aux élections présidentielles de 2022 Ipsos https://www.ipsos.com/fr-fr/preside...

**

Hervé Debonrivage


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message