Le Sarkozysme (par François Calaret, Marc Dormoy, Birgit Hilpert)

mardi 18 septembre 2007.
 

Nous sommes au début du quinquennat de Nicolas Sarkozy. L’ampleur du projet sarkozyen n’est encore que partiellement visible. Le texte qui suit se fixe comme tâche de donner quelques éléments pour faire progresser la compréhension de la rupture politique que nous sommes en train de vivre.

1) Sarkozy : pourquoi maintenant ?

Plusieurs explications ont été avancés depuis le 6 mai 2007 pour expliquer l’émergence du « phénomène Sarkozy » en France : La nécessité de renouvellement du personnel politique pour faire face à une crise politique profonde qui rebondit depuis plusieurs années et déstabilise le pays, une forte exigence des milieux patronaux et financiers « d’en finir » avec la récurrence de conflits sociaux et de « débloquer » le retard de la société française sur les autres pays européens en terme de restructuration libérale...

Ces explications décrivent une partie de la réalité, mais elles s’insèrent dans un phénomène plus global. L’impatience des milieux économiques dirigeants ne peut s’expliquer elle-même qu’en la replaçant dans le contexte international auquel les entreprises françaises sont confrontées. C’est le cadre d’un capitalisme mondialisé en plein bouleversement. Nous ne sommes peut être encore qu’au début du développement de ces contradictions. Mais le monde nouveau qui en résulte commence à se dessiner : une nouvelle division mondiale du travail se met en place, une concurrence internationale beaucoup plus forte, une hégémonie américaine déstabilisée, l’émergence de l’Inde et de la Chine, une recomposition des alliances entre puissances étatiques et une multiplication des tensions entre Etats, voir d’interventions militaires directes. Cette transformation globale a des conséquences sur les régimes politiques, les modes de gouvernement et les partis politiques.

2) Réponse néolibérale et réponse néo conservatrice

Les politiques mises en œuvre par les gouvernements depuis le début des années 2000 ne sont plus les mêmes que celles des années 1980/90. Tout simplement parce que les problèmes auxquels ils sont confrontés sont également différents. Pour reprendre la distinction de David Harvey dans sa « Brève histoire du néolibéralisme » : alors que les années 1980/90 avaient vu le déploiement d’une « réponse néolibérale » à la crise du capitalisme du milieu des années 1970, nous sommes maintenant confrontés à la mise en œuvre d’une « réponse néo conservatrice ». Les réponses néo conservatrices qui commencent à être mise en œuvre (et dont le courant néo conservateur aux USA n’est qu’une composante) sont bien une tentative de répondre à cette situation nouvelle et d’anticiper les difficultés qu’elle peut poser. Ces réponses peuvent prendre des formes différentes selon les réalités nationales. Mais des traits dominants peuvent être dégagés :

a) Le 1er aspect est le bouleversement des hiérarchies au sein de l’économie capitaliste principalement entraîné par l’émergence de la Chine et de l’Inde, mais aussi par le poids nouveau de puissances régionales (Russie, Brésil, Iran...). Ce changement menace en particulier la « triade » Etats Unis - Europe - Japon. Il s’agit dans ce nouveau « Grand Jeu » d’assurer non seulement l’implantation, pour chaque grande puissance de « ses » firmes multinationales, mais aussi de démontrer ses capacités d’influence géopolitique et sa puissance, y compris militaire, en tant qu’Etat

b) Cela passe aussi, en particulier dans les puissances impérialistes européennes, par une remise en cause des formes d’emplois stables, pour généraliser une flexibilité de la main d’œuvre. Ce que Jacques Rigaudat appelle, dans son ouvrage "Le nouvel ordre prolétaire", une tendance à la « wal martisation » du salariat, c’est-à-dire une précarisation généralisée du marché de l’emploi. D’où la nécessité d’élaborer une nouvelle « gestion » des conséquences sociales catastrophiques de la mondialisation libérale (précarité généralisée), du démantèlement des systèmes de protection sociale, qui peuvent provoquer des explosions sociales, menacer la stabilité politique et institutionnelle de pays entiers et se propager au-delà.

c) Faire face à la crise de légitimité profonde du libéralisme. C’est le retour des « ismes », pour compenser la perte de légitimité du libéralisme, mais aussi pour faire face aux conséquences de l’éclatement du mouvement ouvrier traditionnel. Au début des années 1990, « démocratie », « économie de marché » et « prospérité » étaient martelées comme des choses inséparables. Mais aujourd’hui les effets combinés des conséquences des politiques libérales, des révoltes massives sur tous les continents et de la force du mouvement altermondialiste ont provoqué une crise de la légitimité des politiques mises en œuvre. Dans le discours politique, cela se traduit par le retour en force de trois éléments majeurs : le nationalisme, les valeurs morales réactionnaires et la religion.

3) Sarkozy le néo conservateur

C’est bien dans cette tendance là qu’il faut remplacer la victoire de Sarkozy à l’élection présidentielle et ce sont ces enjeux là auxquels il faut se confronter. C’est pourquoi les explications du phénomène Sarkozy comme un « retour » d’une identité historique française (Gaullisme, Bonapartisme...) sont trop limitées. Et s’il est vrai que Sarkozy a réalisé une synthèse et donc une rupture avec la division de la droite en trois courants majeurs (orléaniste, bonapartiste, légitimiste), l’analyse par les facteurs nationaux est insuffisante. Eric Dupin, dans son ouvrage "A Droite Toute !", décrit la différence de Sarkozy avec la droite contemporaine traditionnelle : « Alors que le Gaullisme était le produit des sursauts nationaux de 44 et 58, Nicolas Sarkozy est l’héritier des révolutions néo conservatrices » (page 180). La victoire de Sarkozy, la campagne qu’il a menée, la bataille idéologique et surtout la politique qu’il commence à mettre en œuvre s’inscrivent bien dans cette « réponse néo conservatrice » qui se déploie aujourd’hui. Dans l’avalanche des réformes qu’il a annoncé, dont la quantité elle-même est un élément de sa stratégie politique (pour créer un « effet de choc »), il est nécessaire de dégager les principaux objectifs qu’il veut mettre en œuvre. Si certaines réformes, comme l’autonomie des universités et le service minimum sont ouvertement adoptées avec l’objectif supplémentaire de faire passer ce qui a été refusé massivement par des secteurs qui se sont fortement mobilisés (étudiants, salariés des transports publics), il est possible de dégager quatre grands axes du projet néo conservateur.

a) Le remodelage du marché du travail

Le nombre de réformes consacrées à cette question est impressionnant : contrat de travail unique, fusion ANPE-Unedic, libéralisation des heures supplémentaires, développement du travail des seniors et nouvelle réforme des retraites en perspective, suppression de postes de fonctionnaires partiellement remplacés par des contractuels et des salariés de droit privé, priorité donnée à « l’immigration économique » pour renforcer son poids dans le marché du travail... L’adaptation du marché du travail aux contraintes de la mondialisation libérale est bien le grand enjeu de la législature Sarkozy. Une réforme est centrale dans ce dispositif, c’est le projet de contrat de travail unique, « la mère des batailles de ce quinquennat » selon Jacques Delpla, ancien conseiller de Sarkozy à Bercy. L’objectif est de bouleverser la structure du marché du travail français dont le cœur reste dominé par des emplois stables en CDI, pour imposer une majorité d’emplois précarisés ou « flexsécurisés ». Laurence Parisot, présidente du MEDEF, a indiqué elle-même que cette réforme avait un caractère « historique ». En avril 2007, quelques jours avant le 1er tour de l’élection présidentiel, le think tank « France République » présidé par Laurent Hénart, un des représentants de la nouvelle génération de la droite décomplexée, publiait un rapport sur "Le Marché de l’emploi" consacré à la défense du contrat unique et qui affiche clairement la couleur : « Pour libérer les emplois non proposés par frilosité face à un marché fluctuant, et ceux non pourvus par conservatisme face à des candidatures pas toujours idéales, nous proposons de supprimer la justification de cause réelle et sérieuse du licenciement. Les considérations d’ordre public qui interdisent le licenciement (d’une femme enceinte, d’un représentant du personnel, et plus généralement des licenciements fondés sur des motifs discriminatoires) sont bien sûr maintenues. Est également maintenue l’obligation d’information des salariés et de motivation du licenciement (courrier avec accusé de réception et entretien), mais c’est sa judiciarisation à laquelle il est mis un terme. » Le piège de la proposition consiste à imposer une dégradation profonde du rapport de force des salariés face aux employeurs, tout en faisant en sorte que les salariés puissent « y gagner quelque chose ». Ainsi le rapport combine à cette régression la proposition suivante : « Le niveau d’indemnisation est porté à 100% du salaire net pendant une durée fonction de l’ancienneté en mois du salarié dans le poste et plafonné à 12 mois. (...) Cette indemnité employeur est versée jusqu’à son terme, même si l’employé retrouve un emploi. Ce versement est de nature à inciter au retour à l’emploi et à compenser une éventuelle baisse de salaire dans le nouvel emploi. »

b) La construction européenne

Dans une interview au journal Le Monde, quelques jours après la victoire de Sarkozy, Ernest Antoine Seillères, maintenant patron de l’Unice, le Medef européen, affirmait « la politique menée par le nouveau président sera conditionnée par la question européenne. Depuis 50 ans, tout notre développement économique a été cadré par la construction européenne : le marché unique, l’euro, la politique agricole commune, la politique commerciale commune... L’ensemble s’est trouvé mis entre parenthèses par le Non français. L’Europe vivote depuis dans l’incertitude. La question est de savoir si on redémarre le processus en surmontant la crise institutionnelle ou si on n’y arrive pas, marquant ainsi la fin de 50 ans de construction européenne. C’est un choix fondamental. » L’aboutissement des négociations sur le traité simplifié n’est qu’un avant goût de la stratégie européenne de Sarkozy. Il permet de surmonter partiellement la crise provoquée par les Nons français et hollandais au TCE et de donner un cadre institutionnel à l’Europe élargie à 25 membres depuis 2005.

Sur la question européenne, Sarkozy va évidemment se confronter à des difficultés importantes pour mettre en œuvre sa politique, mais ce n’est pas impossible qu’elle trouve un écho parmi les classes dirigeantes européennes. Dans son discours sur l’Europe, fait à Strasbourg fin juin 2007, le président français a défendu une stratégie de construction « d’une Europe puissance », qui se donne en particulier les moyens de développer une stratégie économique pour faire face aux « délocalisations » et à la « désindustrialisation » et constituer des projets économiques et industriels à l’échelle européenne. Il n’hésite pas à revendiquer la mise en œuvre d’un certain protectionnisme communautaire pour faire face aux concurrents, chinois, indiens... Ce qui constitue une inflexion par rapport à la Stratégie européenne de Lisbonne adoptée en 1999.

Le défilé du 14 juillet 2007 d’une véritable « armée européenne » constitue un signal fort de la volonté de relancer l’Europe de la Défense : « Les bases d’une défense européenne existent. Il faut les faire grandir, en quittant le terrain des mots pour celui de l’action. » (Sarkozy, le 13 juillet 2007). Une première concrétisation de cette politique aura lieu avec l’envoie d’une force européenne pour « sécuriser » la frontière entre le Tchad et le Soudan, c’est-à-dire soutenir le régime dictatorial tchadien et contrer l’influence grandissante de la Chine en Afrique.

c) La construction d’un bloc social majoritaire

C’est là que la force et la cohérence du projet sarkozyen s’est déjà développée, notamment à travers la campagne électorale. Il a donné toute son importance à la bataille des idées, à la question des valeurs, à la nécessité de redonner du sens à la politique, à la reconstruction de l’UMP (Sarkozy affirmait lorsque l’UMP a franchi le cap des 200 000 adhérents : « Ce parti commence à ressembler à autre chose qu’à une secte »). Dans ce cadre, l’ouverture à gauche qu’il a mise en œuvre n’a rien d‘un simple débauchage. C’est le prolongement de cette stratégie qui vise la construction d’un bloc social majoritaire, d’une « Grande Coalition sarkozyenne », déjà annoncée juste après le 1er tour de la présidentielle, avec la volonté de construire « une majorité composée d’un pôle de droite, d’un pôle du centre, et d’un pôle de gauche ». Le cœur de cette bataille idéologique, c’est un renouveau du nationalisme français. Dans son discours, les aspects les plus réactionnaires du discours nationaliste, comme l’exaltation de la colonisation sont des signaux envoyés à un certain électorat mais ne sont pas au centre de son dispositif idéologique. Le nationalisme de Sarkozy, c’est une tentative de combiner le mot d’ordre du Front National « La France, tu l’aimes ou tu la quittes » avec l’état d’esprit patriotique qui avait émergé en 1998 autours de l’équipe de France de Football, championne du monde. Dans le cadre d’une mondialisation qui bouleverse tous les codes et toutes les positions établies, Sarkozy propose une vision moderne de l’idée nationale, comme point de repère, élément de stabilité et de réussite. Etre français se combine alors à l’idée d’ordre et à la possibilité de réussir par soi-même. Dans cette logique, ceux qui imposent le « désordre » ne sont pas des « bons Français »... Ce qui est une façon masquée de faire passer l’idée raciste que les responsables du « désordre » sont avant tout les étrangers.

Et ce discours a été un levier puissant qui explique en partie la pénétration du vote Sarkozy parmi les classes populaires, en particulier les salariés du privé, et sa reconquête de l’électorat Le Pen. Dès 1999, les sociologues Beaud et Pialoux avaient analysé une des racines du vote FN parmi les ouvriers : « L’hostilité des ouvriers pour tout ce qui pourrait ressembler à une discrimination positive à l’égard des immigrés renvoie à la peur qui les tenaille d’être précipités dans une déchéance sociale insupportable pour ceux qui, il y a vingt ans, pensaient « monter » » (...) on peut considérer le vote ouvrier pour le FN comme une tentative ultime de différenciation et de revendication du droit à l’existence dans un contexte de déclassement structurel du groupe ouvrier. » (dans l’ouvrage « Retour sur la condition ouvrière »). Sarkozy a renouvelé la réponse à cette angoisse en réaffirmant dans l’identité française, la fierté de cette distinction, d’appartenir à une communauté. C’est d’ailleurs un mécanisme similaire qui avait permis aux Etats-Unis la pénétration du vote républicain parmi les salariés blancs des industries traditionnelles, qui votaient auparavant démocrates et qui ont été gagné aux idées conservatrices sur la crainte du déclassement social et de se retrouver au niveau de vie ultra précaire de la population noire.

L’aboutissement de cette évolution idéologique a débouché d’ailleurs aux Etats-Unis sur un profond recul de la conscience de classe et une domination des réponses individualistes. Selon Mona Chollet : " En 2000, aux Etats-Unis, un sondage commandé par Time Magazine avait révélé que, quand on demandait aux gens s’ils pensaient faire partie du 1% des Américains les plus riches, 19% répondaient affirmativement, tandis qu’un autre 20% estimait que ça ne saurait tarder. L’éditorialiste David Brooks l’avait cité dans un article du New York Times intitulé « Pourquoi les Américains des classes moyennes votent comme les riches - le triomphe de l’espoir sur l’intérêt propre » (12 janvier 2003). Ce sondage, disait-il, éclaire les raisons pour lesquelles l’électorat réagit avec hostilité aux mesures visant à taxer les riches : parce qu’il juge que celles-ci lèsent ses propres intérêts de futur riche. Dans ce pays, personne n’est pauvre : tout le monde est pré-riche. L’Américain moyen ne considère pas les riches comme ses ennemis de classe : il admire leur réussite, présentée partout comme un gage de vertu et de bonheur, et il est bien décidé à devenir comme eux. A ses yeux, ils n’accaparent pas des biens dont une part devrait lui revenir : ils les ont créés à partir de rien, et il ne tient qu’à lui de les imiter (1). Il ne veut surtout pas qu’on les oblige à partager ou à redistribuer ne serait-ce qu’une petite part de leur fortune : cela égratignerait le rêve." Une telle construction idéologique ne consiste pas seulement à "tromper" les masses mais à s’appuyer sur certaines apisrations réelles, sur l’état de conscience profondément contradictoire des classes populaires. D’où, dans le programme de Sarkozy, l’importance par exemple des mesures qui visent à faciliter l’accès à la propriété du logement."Accéder à la propriété, c’est notre rêve à tous" affirme t-il. Cela a été également un des aspects de la politique de Thatcher qui lui a permis de bénéficier d’un socle de soutien solide pour mener sa politique.

d) La politique étrangère et l’alliance avec les Etats Unis

Sarkozy a toujours clairement revendiqué son « atlantisme » et un soutien plus affirmé à la politique étrangère américaine et à l’Etat d’Israël. Mais il arrive aux commandes de l’Etat, après une période de réalignement de la politique extérieure française sur celle des Etats-Unis. Après l’opposition sur l’invasion de l’Irak, Chirac et De Villepin ont procédé à la reconstruction des relations franco-américaines en engageant une coopération importante dans la politique de « guerre contre le terrorisme ». Cela s’est traduit par une gestion commune par la France et les Etats-Unis, du dossier sur le nucléaire iranien. Chirac est même allé jusqu’à menacer, en janvier 2006 d’employer la force nucléaire contre les Etats qui chercheraient à se doter de l’arme nucléaire. Cette coopération s’est également concrétisée dans la gestion de la crise libanaise, et à travers la participation militaire française importante aux forces de l’ONU envoyée au Sud-Liban.

Nicolas Sarkozy peut accentuer de façon décisive le réalignement de la politique française derrière celle des Etats-Unis. Le think tank néo conservateur « The Heritage Foundation » a publié le 9 mai 2007 quelques « conseils » au nouveau président français : jouer un rôle plus important dans l’occupation de l’Afghanistan et participer notamment aux opérations militaires, renforcer la pression sur l’Iran en réduisant les investissements financiers dans ce pays... (« The Sarkozy Revolution : Five recommandations for the New French President »).

En cas de nouvelles crises internationales, le “volontarisme” politique” dont Nicolas Sarkozy a fait sa marque de fabrique pourrait le pousser à vouloir prendre une place beaucoup plus importante aux côté des Etats-Unis qui ne refuseraient pas un tel soutien. Leur volonté de mettre la pression sur le Hezbollah libanais, la Syrie, l’Iran et tous les régimes qui contestent l’hégémonie US peut créer l’occasion pour développer ce nouveau positionnement français. La pression du gouvernement français pour l’envoi d’une force militaire au Darfour n’est sans doute qu’une première étape de « l’activisme international » de Sarkozy.

La fin de la présidence Bush prévue pour 2008, que la succession soit démocrate ou républicaine, ne mettra pas un terme à la stratégie de « guerre sans limite » que les Etats-Unis ont engagé. Il ne s’agit en aucune façon d’une parenthèse qui pourrait se refermer mais d’une tendance de fond de la situation internationale.

4) Les faiblesses du projet sarkozyen

Sarkozy s’inscrit bien dans la lignée de Reagan, Thatcher, et de tous ceux qui ont mis en œuvre la contre réforme néo libérale. Mais s’il représente en effet une forme de « thatchérisme à la française », il n’est pas écrit par avance qu’il se répète en France dans les prochaines années ce qui s’est passé en Angleterre dans les années 1980, avec en particulier l’expérience d’une grève des mineurs dure, combative, mais isolée et dont l’échec provoque une démoralisation massive du salariat et entraîne une période de recul de la combativité pour plusieurs années. Nous ne sommes plus dans les années 1980. La France de 2007 n’est pas l’Angleterre de 1979. La situation que nous avons devant nous est ouverte. Battre le projet sarkozyen ne sera pas une tache facile mais elle n’est en rien impossible. Sur les quelques points forts de ce projet détaillés plus haut, le nouveau gouvernement fait face à de fortes contradictions :

 Sur le dossier central de la réforme du marché du travail et du contrat unique, la bataille est loin d’être gagnée d’avance pour le patronat. La légitimité de pouvoir accéder à un emploi stable, de ne pas être des « salariés kleenex », jetables à tout moment reste extrêmement forte dans les classes populaires. Pour le gouvernement, gagner le soutien des directions syndicales sur ce dossier ne sera pas chose facile. De nouvelles mobilisations massives des salariés et de la jeunesse contre ce projet de précarisation généralisée peuvent se construire.

 Après les « Non » français et hollandais, déstabiliser la construction de l’Europe libérale est toujours une nécessité. C’est d’ailleurs une obsession de Sarkozy de vouloir effacer le clivage entre le « oui » et le « non »... Même simplifié, le contenu du traité européen reste une régression libérale. C’est l’occasion de relancer une campagne unitaire à gauche contre la construction libérale de l’Europe.

 Contre les divisions entre français et immigrés, entre les jeunes de banlieues et les salariés, des forces existent pour construire l’unité des classes populaires et battre en brèche le nationalisme autoritaire de Sarkozy. Les émeutes de banlieue de novembre 2005 elles-mêmes, avant qu’elles ne se retrouvent isolées et sans perspective, avaient une légitimité qui était comprise et acceptée par la majorité des classes populaires. Les expériences du réseau RESF, les luttes nouvelles des salariés sans papiers pour leurs conditions de travail témoignent des potentialité de la situation actuelle.

 La nécessité de renforcer l’Etat pénal, de bouleverser l’ordre juridique existant est par ailleurs une source de tensions permanentes entre Sarkozy et les professions judiciaires (avocats, juges...) qu’il veut mettre au pas. Ce sont bien certains droits acquis des démocraties bourgeoises qui sont remis en cause.

 Enfin si le virage atlantiste a déjà été amorcé sous Chirac, l’acceptation de la soumission de la politique étrangère française aux exigences de la « guerre sans limite » étasunienne est loin d’être majoritaire dans la population. Là encore, il est possible dans la prochaine période de mettre en échec cette politique guerrière.

Sur ces questions (qui ne sont pas exhaustives de la politique gouvernementale), des points d’appuis existent pour construire différents fronts larges pour refuser ces projets. Mais les contradictions du projet sarkozien ne viennent pas seulement des opposants à Sarkozy, et ne peuvent se mesurer seulement aux 17 millions qui n’ont pas voté pour lui au 2ième tour. Les contradictions viendront également des aspirations contradictoires de ceux qui ont voté pour Sarkozy : un mélange d’idées réactionnaires, de retour à l’ordre mais aussi d’une volonté de changement, d’une certaine sécurité. Et ces aspirations vont se retrouver confrontées aux résultats concrets des politiques sakozyennes.

5) Mettre en échec le projet Sarkozyen Mettre en échec le projet sarkozyen est possible. Des chocs sociaux de l’ampleur de Novembre-Décembre 1995 ou Mai Juin 2003 peuvent se produire dans les prochaines années. Cela implique de chercher à construire l’unité la plus large possible. La mobilisation historique contre le CPE a été une expérience concrète pour des millions de salariés et de jeunes qui a montré la force et l’efficacité de l’unité pour faire plier le gouvernement. La deuxième condition pour le développement des mobilisations victorieuses consiste à développer le soutien le plus large de la population, un soutien qui peut être majoritaire, aux secteurs mobilisés. Sarkozy et Fillon ont bien compris la nécessité d’isoler les résistances qui ne manqueront pas de se manifester et de les enfermer dans une posture défensive, voire corporatiste. Ils ont clairement exprimé l’enjeu de gagner une partie des syndicats, en particulier la CFDT mais aussi au-delà, à l’accompagnement de leurs réformes. Là aussi, la bataille est devant nous. La faiblesse de Sarkozy vient de ce qui fait aussi sa force : son omniprésence dans la mise en oeuvre des réformes. C’est lui qui est le chef d’orchestre de l’action gouvernementale. C’est lui qui cristallisera les contestations sociales qui peuvent prendre, très rapidement, un contenu politique, non seulement contre les mesures du gouvernement mais contre Sarkozy lui-même, et la politique globale qu’il mène. Les mobilisations, si elles arrivent à déjouer les stratégies d’isolement et de division, peuvent ouvrir des crises politiques majeures. Construction de l’unité et recherche d’un soutien majoritaire de la population impliquent de démontrer la cohérence d’ensemble du projet sarkozien. C’est le seul moyen pour renforcer la légitimité des mobilisations. Nous devons construire et soutenir les résistances en expliquant comme chaque mesure du gouvernement touche l’ensemble des classes populaires et représente une régression pour toute la société. Nous devons chercher à mettre en avant les mots d’ordre qui unifient les résistances et non à jouer la surenchère dans le radicalisme.

Cela suppose de ne faire aucune concession aux tentations gauchistes, qui existent dans une partie de la jeunesse et du salariat. Ce gauchisme amène à poser la "radicalité" comme une fin en soi et sous estime la nécessité de gagner ceux qui hésitent à s’engager dans la mobilisation, ceux qui peuvent être sensibles aux arguments du gouvernement. La conséquence d’une telle orientation ne peut amener qu’à affaiblir et isoler les mobilisations. Tout comme elle sous estime l’importance de la construction d’une alternative politique large et la nécessité de chercher à rassembler tous ceux qui à gauche veulent s’opposer au sarkozysme et aux politiques libérales telles qu’elles ont été menées depuis plus de 25 ans. Or, la construction d’une alternative politique et la préparation des mobilisations contre Sarkozy sont les deux taches centrales que nous devrons prendre à bras le corps dans les prochains mois.

6) L’alternative à construire

Le projet de Sarkozy est porteur en son sein de fortes tensions mais il serait illusoire et dangereux de penser qu’il puisse échouer de lui-même, du fait de ses contradictions internes, ou par un simple retour à l’alternance en 2012. Bien au contraire, en l’absence de contrepoids politique organisé qui arrive à limiter la portée du projet sarkozyen, le risque existe d’un basculement idéologique de la société française. Face à cette évolution, la réponse apportée par la direction du Parti Socialiste qui prône « une opposition responsable et constructive » et pousse Sarkozy aller « jusqu’au bout des réformes » est impuissante. C’est d’ailleurs une des racines décisives de la transhumance des dirigeants de gauche vers Sarkozy, car quoi de plus « constructif » que de participer directement au changement mis en œuvre ? La réponse sociale libérale ne s’oppose pas réellement à la logique du projet sarkozyen.

L’enjeu décisif dans cette nouvelle situation est d’arriver à opposer une autre logique, une véritable alternative qui puisse déstabiliser et contester les réponses néo conservatrices. Il est fréquent d’insister aujourd’hui sur la nécessité de mener cette refondation également sur le terrain idéologique, culturelle, de reconstruire un « nouvel imaginaire à gauche ». Mais cette alternative ne pourra se concrétiser, prendre force, être considérée comme un repère pour des millions de salariés qu’avec l’émergence d’un nouveau parti politique qui la porte. Construire cette nouvelle force est une condition indispensable pour donner une cohérence aux mobilisations et pour battre, sur la durée, le projet sarkozyen.

Le 4 septembre 2007

François Calaret, Marc Dormoy, Birgit Hilpert.


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