Sécurité : dans la roue de Macron, la surenchère de Bertrand

samedi 18 septembre 2021.
 

Xavier Bertrand a présenté son programme pour lutter contre l’insécurité, mercredi à Saint-Quentin. Un éventail de propositions destiné à montrer les gros bras, au prix de quelques entorses au droit.

Xavier Bertrand a présenté son programme pour lutter contre l’insécurité, mercredi à Saint-Quentin. Un éventail de propositions destiné à montrer les gros bras, au prix de quelques entorses au droit.

Taper fort pour se démarquer du chef de l’État. Xavier Bertrand a poursuivi sa stratégie de campagne, mercredi à Saint-Quentin (Aisne), où il présentait son projet en matière de sécurité. Une réponse directe au discours prononcé la veille à Roubaix (Nord) par Emmanuel Macron, en clôture du Beauvau de la sécurité. Décorum présidentiel et ton solennel à l’appui, le candidat putatif de la droite s’est posé en concurrent direct d’un président qu’il a accusé d’avoir fait « augmenter la délinquance » et se propager « l’impunité ».

« L’heure est grave, a dramatisé Xavier Bertrand. Demain, si on ne fait rien, certains se feront justice eux-mêmes. Et après-demain, ce sera la guerre civile. » Tout au long de son allocution, le président de la région Hauts-de-France a alerté sur « la violence », « la loi des gangs et des bandes », « l’explosion de la criminalité » et promis que son mandat serait « celui de la fin de l’impunité ».

Tandis que beaucoup à droite lui reprochent sa compatibilité idéologique avec le macronisme, Xavier Bertrand a taillé en pièces le bilan du président dans le domaine et dénoncé « la démission de l’État », « les avalanches de milliards sans lendemain » et « les mises en scène électorales ». Pas un mot pour le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin – son ami et ancien bras droit –, mais des charges répétées contre Emmanuel Macron : « Sans expérience d’élu local, il est impossible de comprendre l’insécurité qui fracture notre pays. »

Sur le fond, l’ancien ministre a dévoilé un arsenal de propositions largement inspiré du corpus traditionnel de la droite. « À ceux qui ne voient pas la différence entre la gauche et la droite, je veux rappeler que la délinquance a baissé sous Nicolas Sarkozy. Depuis, elle n’a fait qu’augmenter », a-t-il assuré, reprenant un vieux mensonge de la Sarkozie.

De l’ancien président, Xavier Bertrand a également repris les formules chocs, les excès et quelques marottes. Ainsi du durcissement de la justice des mineurs. Un temps évoquée par Nicolas Sarkozy, l’idée d’un abaissement de la majorité pénale à 16 ans figurait dans les projets de Marine Le Pen et de François Fillon en 2017. La voilà reprise et même durcie : il propose qu’à partir de 15 ans un adolescent soit considéré comme adulte et encoure les mêmes peines que ses aînés.

C’est là tout le paradoxe de Xavier Bertrand. Longtemps perçu comme un tenant de la droite modérée – il avait quitté LR à cause de la radicalisation du parti en 2017 –, l’élu picard a montré mercredi qu’il avait poussé son curseur (très) à droite sur les questions régaliennes.

Quitte à prendre quelques libertés avec le droit et les engagements internationaux de la France. En proposant de juger des adolescents de 15 ou 16 ans comme des adultes, le candidat à la présidentielle risque par exemple de se confronter à un principe érigé comme « fondamental » par le Conseil constitutionnel, celui de la spécificité du droit des mineurs. De même lorsqu’il souhaite donner le droit aux procureurs de décider des peines pour une grande majorité des infractions, « sans passer par un juge ». Autre proposition : le prélèvement des amendes impayées directement « sur les salaires » (cela se fait déjà) et « sur les prestations sociales » comme le RSA ou les allocations familiales (ce qui est aujourd’hui interdit par la loi).

Double peine, peines planchers et mineurs en prison

Tout à sa volonté de marquer les électeurs sensibles à ces sujets, Xavier Bertrand a aussi fait quelques annonces à l’applicabilité discutable. Parmi celles-ci, l’instauration de peines automatiques, la comparution immédiate pour les mineurs, l’application en prison des courtes peines et l’expulsion systématique des étrangers condamnés.

Changement de vocabulaire : les « peines planchers » seront bien de retour sous Xavier Bertrand président, promet-il, mais elles s’appellent désormais les « peines minimales obligatoires ». En avril, il avait créé une polémique en parlant de « peines de prison automatiques » pour les agresseurs de policiers. Mercredi, le candidat a précisé sa pensée : « Tous ceux qui seront reconnus coupables d’agression contre les forces de l’ordre, les pompiers, les magistrats ou les maires » écoperont au minimum « d’un an de prison ferme » avec comparution immédiate et mandat de dépôt à l’audience.

Une démonstration de force supposée qui reprend les contours des « peines planchers » de Nicolas Sarkozy. Boudées par les magistrats (62 % de dérogations en 2010), elles avaient fini par être supprimées en 2014. « Il faut dire la vérité. Les peines minimales, ça ne marche pas », reconnaissait le (pourtant sarkozyste) Gérald Darmanin en mai dernier, quand son collègue de la Justice Éric Dupond-Moretti parlait d’un « fiasco ».

En proposant l’extension des comparutions immédiates aux mineurs récidivistes de plus de 15 ans, Xavier Bertrand déterre un vieux serpent de mer unanimement rejeté par les professionnels de la justice. En 2002, déjà, un rapport parlementaire évoquait une idée « pas réaliste ». « Une telle procédure interdit toute investigation, même rapide, sur la situation du mineur », justifiaient les sénateurs. Sans compter qu’en province la majorité des tribunaux n’ont pas les ressources suffisantes pour appliquer une telle mesure.

La course à l’électorat populaire

Autre mesure rejetée par de nombreux acteurs de la justice, la généralisation de l’emprisonnement pour les courtes peines. Xavier Bertrand a dit mercredi vouloir « rétablir les courtes peines de prison, même inférieures à un mois ». Une manière de se démarquer, là encore, d’Emmanuel Macron qui a dit plusieurs fois son souhait de privilégier les alternatives à la prison pour les peines de moins de six mois. « Les petites peines sont particulièrement inutiles et contre-productives, disait-il en mars 2018. Il y a là-dessus un consensus complet. » Un consensus rejeté par Xavier Bertrand, qui a assuré : « Ça peut permettre une prise de conscience. »

Celui-ci propose aussi la généralisation de la « double peine ». « Tout détenu étranger sera expulsé systématiquement à l’issue de sa peine de prison », a-t-il promis. Y compris, donc, ceux qui vivent en France depuis dix ou vingt ans, ceux qui sont mariés à un ou une Française et qui ont des enfants français, aujourd’hui protégés par la loi. Sans compter les obstacles juridiques liés aux laissez-passer consulaires, accordés au compte-gouttes par certains pays. En mai 2020, la Cour des comptes écrivait à ce sujet : « Il est douteux que le nombre d’éloignements forcés puisse significativement progresser tant la procédure se heurte dans les faits à des impasses. »

Autant de propositions dont la vocation est de convaincre l’électorat de droite que, oui, Xavier Bertrand est plus crédible sur ces sujets qu’Emmanuel Macron. Pourtant, nombreux sont les sujets de convergence entre les deux hommes : sur la lutte contre le trafic de drogue ou contre le terrorisme, sur l’objectif de construire des places de prison, sur la généralisation des mesures d’éloignement du quartier pour les meneurs de bandes violentes, l’élu picard a tenu mercredi un discours qui fait écho à celui de l’exécutif.

L’autre convergence entre la majorité et la droite d’opposition est de nature électorale, liée à l’approche de la campagne présidentielle. En parlant sécurité en des mots aussi forts, Xavier Bertrand vise le même électorat qu’Emmanuel Macron. Il les a nommés dans son discours comme « les victimes » de la « démission de l’État » : « les plus modestes », « les braves gens », « les travailleurs dont on brûle la voiture, dont on cambriole la maison », « ceux qui n’ont d’autre choix que de vivre dans des quartiers gangrénés par le trafic, meurtris par les guerres de bandes ».

Il n’est d’ailleurs pas anodin que les deux hommes aient choisi les Hauts-de-France pour y parler sécurité : les deux hommes espèrent y séduire des classes populaires concernées par ces enjeux. C’est à cette lumière – entre autres – qu’il fallait comprendre la nomination de Gérald Darmanin au ministère de l’intérieur, en juillet 2020. C’est également à celle-ci qu’il faut comprendre la surenchère de Xavier Bertrand. En mars, il prévenait dans Le Point : « La sécurité, avec moi, ça sera quoi qu’il en coûte. »


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