PS : la "rénovation" ou l’art d’exorciser les défaites, par Rémi Lefebvre (Article dans Le Monde)

vendredi 7 septembre 2007.
 

"Que tout change pour que rien ne change" : la formule de Tancrède dans Le Guépard, de Visconti, résume les tentatives de rénovation entreprises par le Parti socialiste depuis une vingtaine d’années. La "rénovation" est chez les socialistes un rituel maîtrisé aux effets savamment domestiqués qui suit généralement les défaites. Renouveler le parti, le réinventer, le refonder : depuis 1993, les périodes post-électorales sont dominées invariablement par les mêmes mots d’ordre souvent incantatoires.

Le succès du credo de la "rénovation" tient aux ambiguïtés de son contenu, à son caractère fourre-tout : elle est tout à la fois idéologique, organisationnelle, démocratique.. Les défaites, propices à la renégociation de l’identité de l’organisation, se manifestent ainsi de manière immuable par "un retour à la base", une réactivation du clivage traditionnel entre militants et élus et une réévaluation des ressources militantes que la pratique du pouvoir a dévaluées. La même séquence s’est reproduite en 1993 ou 2002 avec un scénario très proche : introspection collective "sans complexes ni tabous", ouverture "des portes et des fenêtres" du parti, appel à l’autocritique, ouverture de la parole aux militants... La rénovation "cru 2007" n’échappera pas à ce schéma immuable.

Le diagnostic sur les dysfonctionnements de l’organisation est toujours le même : nécessité d’une rénovation des pratiques politiques, manque d’unité, excessive professionnalisation des cadres du parti, assèchement de l’action militante, poids excessif des élus et des cumulants, décrochage par rapport au monde du travail, effritement des rapports avec le monde syndical et associatif, illisibilité de la ligne politique...

Les Etats généraux des socialistes lancés en 1993 parviennent à ces conclusions... reformulées dans des termes identiques en 2002. La double défaite de 2002 semble ouvrir une phase critique d’une intensité inédite au PS. Les conditions d’une redéfinition de l’identité de l’organisation sont alors réunies. La parole est "redonnée" aux militants, appelés à répondre à un questionnaire et à exprimer leurs "doléances". La thérapie collective s’achève en mai 2003 lors du congrès de Dijon. Le premier secrétaire affirme alors l’ambition "d’un parti ouvert sur la société à plus de 30 % des suffrages".

UN REPLÂTRAGE DE PLUS

Il n’en sera rien. Le couvercle est vite refermé. La rénovation n’a conduit qu’à un replâtrage de plus. Le cumul des mandats n’est pas remis en question, les relations avec le monde du travail ne sont plus une priorité, les règles du jeu partisan ne sont pas modifiées. Les trompeuses victoires de 2004 ont effacé la nécessité d’un renouvellement des pratiques. Il a fallu donner le change aux militants et à l’opinion pour qu’en définitive rien ne change. Les dirigeants socialistes savent désormais négocier les phases de défaite et domestiquer le potentiel de changement qu’elles recèlent (les défaites peuvent même se transformer en demi-victoire comme en juin). Le choc électoral de 2002 a été bien amorti, tout comme la victoire du non au référendum sur le traité constitutionnel ou les émeutes urbaines de l’automne 2005, qui ont eu peu d’effets sur le parti.

Le constat ne souffre aucune contestation : le PS ne s’est pas renouvelé et n’a pas "refondé" ses liens avec la société. Il se révèle incapable de mettre en mouvement la société. L’apport des "nouveaux adhérents", quelques mois avant les élections, est fragile et affaiblit à bien des égards l’organisation en valorisant un militantisme "au rabais". Le PS apparaît fermé, bloqué, dominé par une oligarchie attachée à son pouvoir et aux profits qu’elle en tire, peu ouverte sur son environnement social, de plus en plus imperméable aux groupes qu’elle est censée représenter et repliée sur des luttes dont la dimension idéologique apparaît secondaire ou artificielle.

Rénovation : le mot est usé et démonétisé au PS à force d’avoir été instrumentalisé et détourné. Il suscite désormais le scepticisme d’un grand nombre de militants qui ne sont plus dupes des appels rituels au changement. Les socialistes parviendront-ils à lui redonner sens et crédit ? Il est permis d’en douter. La revendication d’un renouvellement générationnel ne saurait tenir lieu de seule perspective de changement. Elle masque les intérêts d’outsiders qui ne voient dans la période actuelle qu’une fenêtre d’opportunité pour subvertir les hiérarchies de pouvoir en place. "Sortez les sortants" n’a aucun sens si les nouveaux promus reproduisent les pratiques et les discours de leurs aînés et s’ils en partagent les codes. La stratégie organisationnelle de la rénovation ne peut être efficace que si elle est inscrite dans un processus de long terme.

Or l’horizon des socialistes se borne de plus en plus aux prochaines échéances électorales. Les socialistes sont déjà tétanisés par les élections municipales. Le PS doit sans doute se donner du temps, produire des analyses, se donner des objectifs, mais surtout s’y tenir. Pour que la rénovation soit autre chose qu’un simple slogan d’université d’été.


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