Jadot, Hidalgo, Montebourg, ambiances de campagne

dimanche 24 janvier 2021.
 

Une dure bataille s’ouvre pour la domination de cet espace que Jadot a délimité : « entre Mélenchon et Macron ». Pour de nombreux protagonistes, en effet, ce serait là que se jouerait la possibilité d’une victoire en 2022. Jadot, Hidalgo, Montebourg, chacun à leur manière et chacun dans leur direction essaient de construire un tel espace. Pour ma part, je ne crois pas à ce raisonnement. Cependant je crois comme Jadot et quelques autres que c’est bien par là en effet que Macron peut perdre quelques points de pourcentage qui le priverait de deuxième tour. Cela peut donc faciliter ma participation à celui-ci, ou celle de Xavier Bertrand. Ou des deux, si par ailleurs Le Pen se faisait de nouveau diaboliser au lieu de jouir de son actuelle totale et sidérale abscence de contradiction.

Dans l’excitation du feuilleton à écrire, parce qu’il leur faut bien raconter quelque chose et ne pas se limiter répétitivement à dire du mal des insoumis, des commentateurs, parfois convaincus de ce qu’ils disent, ont engagé un suspense plein d’envie autour d’Anne Hidalgo. Jadot et ses amis en sont les premières victimes puisque le partage de leur gâteau commun – « l’espace entre Mélenchon et Macron » – se fait alors en faveur de la Maire de Paris qui a amplement préempté le champ de l’écologie municipale grâce à eux. D’autant que celle-ci joue à fond sa partition pour se rendre attirante aux « déçus du macronisme » autrefois électeurs du PS. Pour elle, il est donc important d’en adopter les marqueurs. Ainsi des applaudissements communs avec le préfet Lallement en conseil de Paris ou du soutien à l’article 24 interdisant aux citoyens de filmer l’action des policiers. De même pour les diatribes contre les Verts et les Insoumis dans le style calomniateur usuel de la propagande macroniste. Rien de tout cela n’est autre chose qu’un calcul délibérément mis en œuvre.

De fait, la classe moyenne supérieure, typique de la population parisienne, a vraiment la gueule de bois en ce moment. Elle a voté Macron comme le meilleur des compromis entre sa bonne conscience et son égoïsme social. Mais elle a la nausée quand elle voit s’effacer les lignes de partage entre Macron et Le Pen. Et c’est trop souvent le cas désormais pour qu’elle puisse faire semblant de ne pas savoir. L’éloge de Pétain et Maurras a été une rude étape. Mais les diatribes haineusement anti musulmane d’une Aurore Berger et des autres énergumènes du macronisme parlementaire font tâche, durablement.

Ce n’est donc pas « la gauche » que vise l’ancienne supporter de la loi El Khomri, son adjointe d’hier à la mairie de Paris ! C’est le retour au « social libéralisme » des milieux enchantés qui continuent d’être bien insérés dans le système actuel. Il y a là en effet une réalité. Elle veut en faire un point d’appui pour rallier ensuite tous les castors toujours prêts à limiter leur pensée a « faire barrages » plutôt qu’a se demander de quoi ils deviennent le lac de retenue. C’est ce qu’avait su faire François Hollande en son temps. Puis Macron. De barrage en barrage, un coup Sarkozy l’autre Macron on voit l’admirable résultat. J’ai été présent à chacune de ces occasions. Ils ont rabâché sur tous les tons qu’il ne fallait pas me suivre au premier tour parce que, eux seuls, étaient capables d’être « au deuxième tour pour pouvoir faire barrage ». Un coup Sarkozy, un coup Le Pen, de barrage en barrage on voit où nous sommes rendus.

De cette façon parmi d’autres, le tissu du « champ politique » se modifie depuis quelque temps sous l’action des choix de positionnement de ceux qui y entrent. Une certaine accélération de ce processus s’observe même. Il faut repérer ces changements et s’y adapter. Je précise donc aussitôt comment je me représente ce « champ politique » en général. Les programmes politiques ne sont rien sans le milieu « culturel » dont ils émanent. Jusqu’en 1981 dominait largement la culture de gauche, ses symboles ses valeurs et l’élan historique né dans la Résistance et la disqualification des partis de la collaboration. La Sécurité sociale et les services publics y étaient alors davantage que des formes d’organisations. Ils incarnaient une culture de la vie en société et une préfiguration d’un futur dans une société socialiste. Chaque bataille offensive ou défensive les renforçait comme références indépassables. La victoire du « programme commun de la gauche », en 1981, procède à la fois de cette ambiance et de la coloration insurrectionnelle donnée par le mouvement social de mai 1968.

Puis, progressivement et définitivement, ce fut la victoire des valeurs accrochées au néo-libéralisme. Là, libéraux et libertaires pouvaient se retrouver, même sans le vouloir, dans une même apologie et soif sans nuance de l’individualisation des rapports sociaux. Dans chacun des deux cas que j’ai évoqués, un maillage d’idées connexes, de structures et de personnages se forment. Ils fonctionnent comme un blindage de protection au service de la permanence du système économique et politique qui le contient. Chaque changement d’époque, quand il est définitivement avéré, ne fait que prendre acte d’un changement intervenu depuis longtemps dans les fondations du système qui s’effondre.

Nous vivons dans un moment intermédiaire. L’ancien monde libéral se dirige vers la relégation qu’a connu avant lui le monde de la guerre froide et de ses monuments. La scène du capitole aux USA est le pendant à mes yeux du putsch raté de Ianaïev à Moscou, dans la phase finale du régime communiste. Le début de la fin d’un modèle. On sait aujourd’hui que nous évoluons entre trois possibles : le libéralisme autoritaire, la décomposition permanente sous les coups du changement climatique, la société d’entraide. En France, décomposition et demande d’ordre se combinent dans un processus unique dont le contenu et le programme ne parviennent pas à se stabiliser. Le chaos du confinement et des déconfinements, la gestion caricaturale de l’équipe au pouvoir, tout cela forme un tout qui oblige beaucoup de gens à réfléchir sur de tout autre base aux événements et aux futurs.

Dans ce contexte, à mes yeux, l’important est la manière de constituer un espace culturel et politique cohérents à la suite de celui qui a explosé en 2017 et dont nous sommes cependant les héritiers. Face au glissement vers la droite extrême d’un nombre croissant de structures et de prescripteurs, il faut construire un solide espace alternatif. C’est impossible sans faire le choix de la clarté, de la rupture avec le « monde d’avant » la pandémie responsable de ce désastre. La compétition de la présidentielle peut sembler rendre impossible cette ambition. Si c’est l’enjeu, on devine la réplique du système pour rendre impossible ce choix ou du moins pour le marginaliser.

Pour l’instant, cela se concentre sous la forme d’une lourde pression médiatico-politique en faveur de « l’union ». Parler de la nécessité de l’union pour mieux étaler le spectacle de la division et démoraliser tout le monde est un grand classique. Engels lui-même a eu a argumenter sur le sujet. Comme si l’union dispenserait d’avoir à penser les divergences et leur importance. Imaginons une candidature unique qui n’aurait aucun programme commun concernant l’Europe, les institutions, l’ampleur de la bifurcation écologique à opérer, l’outil pour le faire, et qui resterait muette sur le rapport à la propriété des moyens de production et le pouvoir de la finance. Qui serait trompé par ces silences ? Personne, et un tel candidat passerait sa vie les fesses sur un sac d’oursins à chaque interview ! Alors, s’il est vrai que la dispersion peut décrédibiliser l’idée même d’alternative, la confusion la tuerait encore plus surement.


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