Économie : La planification une idée ancienne qui a de l’avenir

mercredi 3 juin 2020.
 

Entretien avec Cédric Durand, Maître de Conférences à l’université Paris 13, chercheur et économiste atterré.

La crise sanitaire du Covid a été le révélateur de déficiences des services publics et du marché…

Effectivement, cette période a révélé l’impréparation aux crises sanitaires de l’appareil d’État et de l’économie en général. Cette impréparation renvoie à l’affaiblissement du service public au cours des dernières décennies, à la fois du fait des politiques budgétaires mais également d’un dénigrement continu du secteur public et d’une survalorisation du secteur privé.

Une faiblesse manifeste tient au secteur privé et à la coordination marchande qui ont mené à une recherche de l’efficience maximale mais à court terme. Ceci s’est traduit par des baisses de coûts à tous les niveaux et passe notamment par l’accélération de la circulation des marchandises. Résultat : moins de marge de manœuvre, moins de sécurité. L’envers de l’efficience de l’organisation par le marché, c’est une plus grande prise de risque, une moindre capacité à faire face aux chocs.

La crise elle-même a révélé la nécessité en contexte d’urgence d’une forme de volontarisme politique en ce qui concerne la direction de l’économie. Beaucoup de commentateurs ont fait le parallèle entre la crise du Covid et des logiques d’économie de guerre. Pourquoi ? Parce que, à un certain moment, l’économie doit être repensée et réorganisée en fonction d’un objectif, en l’occurrence faire face aux besoins essentiels et à la lutte contre la pandémie. Et ça c’est aussi quelque chose que le marché ne sait pas faire. Il fonctionne dans le court terme, il est incapable de gérer l’urgence. Pour le résumer d’une formule, quand ça va mal, le marché ne sert à rien.

Il y a donc nécessité de re-diriger l’économie, de planifier ?

La plupart des systèmes économiques modernes sont des systèmes hybrides dans lesquels il y a une place variable pour le marché et une autre pour l’organisation. En fait, l’un d’eux prend le dessus et surdétermine le tout. Depuis disons l’avènement du néolibéralisme, il y a eu un basculement vers l’idée que les marchés financiers devaient être le quartier général du fonctionnement de l’économie. C’est là que s’organise la grande distribution des capitaux qui structure l’économie. L’idée de la planification, c’est de réinstaller le politique au quartier général, décider que des grandes orientations doivent contraindre les acteurs économiques pour guider le développement.

La crise d’aujourd’hui montre clairement qu’il faut une forme de subordination de la direction de l’économie au politique. Mais dans une perspective de gauche, elle doit s’accompagner d’une montée en intensité de la démocratisation de l’État. Sinon, cette planification peut être un nouveau genre de dictature sur l’économie, non pas privée mais bureaucratique…

On pense à l’expérience soviétique

Oui mais pas seulement. Cela peut être des formes de droite. Aujourd’hui, il peut y avoir un retour de bâton par rapport au tout marché des dernières décennies qui peut prendre des formes nationalistes, se nouer principalement autour de l’idée d’une alliance entre classes. Si on veut que l’opportunité ouverte par la crise se transforme en idées de gauche, il faut vraiment que les aspirations populaires prennent une place dominante dans cette planification et pas que celle-ci soit une nouvelle « béquille » du capital.

La Ve république ne paraît pas appropriée à une planification telle que vous l’entendez. De même pour l’Europe telle qu’elle existe

Pour ce qui est des institutions de la Ve République, une planification démocratique implique un changement institutionnel important.

Pour l’Europe, on peut préciser deux points. Le premier, c’est le marché unique et le second, c’est l’autonomie de la banque centrale. Ces deux institutions ne sont pas compatibles avec le projet de planification. Parce que la planification, c’est imposer des contraintes qui soient extérieures à la dynamique propre du marché.

Quant à la banque centrale indépendante, son principal objectif est la stabilité des prix et son principal outil, les achats de titres financiers et les taux d’intérêts. Totalement contraire à un mécanisme de planification qui passe par une sélectivité du crédit, c’est à dire la décision d’allouer des crédits à tel ou tel secteur en fonction de leur degré de priorité.

Comment pourrait s’articuler le national et le local dans le cadre d’une planification démocratique ?

La délibération collective va permettre de définir des objectifs partagés par une population et qui vont constituer un socle à un projet de développement commun. Ce sera des objectifs en terme de qualité de la consommation, d’exposition aux pesticides par exemple, ou alors de niveau d’éducation, etc. À ces objectifs définis doivent correspondre des efforts d’investissement mais la manière dont ceux-ci vont donner lieu à des projets concrets doit laisser une marge d’autonomie aux territoires pour créer des solutions différentes. Si on reprend les plans quinquennaux, on doit pouvoir faire le point à mi-mandat de l’atteinte ou non des objectifs par les différents territoires, s’appuyer sur les expériences des uns et des autres, étendre certaines solutions ou en abandonner d’autres, de façon à instaurer une dynamique de régénérescence institutionnelle. Il faut que divers types de possibilités puissent être expérimentées au niveau local afin que se constituent de véritables communs. Une des conditions de viabilité dans le long terme de la planification, c’est de se régénérer en permanence, de se doter de mécanismes d’autorégulation qui préviennent l’uniformisation.

Comment cela pourrait-il se traduire en termes institutionnels ?

Il y aurait des formes de logiques d’encastrement des différents niveaux qui doivent prendre la forme de l’institution. Aujourd’hui on a l’Assemblée et le Sénat, on pourrait imaginer avoir l’Assemblée qui représente le politique et quelque chose qui serait plutôt de la forme d’un conseil social et environnemental avec des déclinaisons territoriales et qui serait chargé de l’élaboration et du suivi de la planification économique.

Comment pourraient se développer les services publics dans le cadre de cette planification ?

J’ai souligné l’aspect démocratique d’une planification de gauche. La délibération collective va faire apparaître des priorités, qui ne correspondent pas nécessairement aux calculs de marché, et qui peuvent notamment avoir trait à la qualité de l’environnement, à la qualité de l’éducation, des soins… Ceci va orienter le développement des services publics. Une collègue, Fabienne Orsi, a mis l’accent sur le point absolument essentiel qui est que la propriété publique doit redevenir une propriété commune. Aujourd’hui, on a un État qui se comporte comme un propriétaire. Il prend des participations, il les revend, tout ça ne constitue pas un commun. Un commun, c’est quelque chose qui est inaliénable, qui est le bien commun de la collectivité sur une période. Les services publics doivent avoir ce caractère inaliénable.

Jean-Luc Bertet


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