Ségur de la santé : Nicole Notat au chevet de l’hôpital

vendredi 29 mai 2020.
 

Lorsqu’elle était à la tête de la CFDT, celle qui est aujourd’hui chargée de piloter le « Ségur de la santé » avait séduit le patronat et hérissé le camp syndical. Son soutien au plan Juppé de 1995 avait provoqué le départ de nombreux militants.

Des négociations délicates dans un climat tendu, entre des acteurs qui ne se comprennent plus depuis belle lurette. À 72 ans, le défi auquel Nicole Notat fait face dans le cadre du « Ségur de la santé » devrait lui rappeler des souvenirs. Et pas seulement à elle. L’ancienne dirigeante de la CFDT, de 1992 à 2002, a été chargée par le gouvernement de piloter les discussions lancées lundi 25 mai [1] et devant aboutir mi-juillet à des augmentations de salaire et une nouvelle politique de financement de l’hôpital.

« Par respect pour les participants, je m’abstiendrai de toute expression », a-t-elle indiqué, promettant d’exercer sa mission « en ayant à cœur d’organiser l’écoute réciproque et le dialogue entre l’ensemble des parties prenantes ».

La mission est délicate. Et en optant pour une femme qui se tient depuis de longues années en équilibre entre bonne connaissance des questions sociales et prise en compte des priorités économiques des entreprises, le gouvernement a aussi peut-être mésestimé l’image qu’a laissée derrière elle l’ancienne dirigeante syndicale.

Celle qui s’attire la flatteuse réputation de « sage », ayant refusé nombre de maroquins ministériels proposés par la gauche comme par la droite, recueille encore les louanges des dirigeants patronaux. « C’est une personnalité respectée qui sait mieux que d’autres combiner économique et social, des qualités indispensables pour mener cette mission difficile », déclare ainsi au Figaro Jacques Creyssel, ex-directeur général du Medef [2], désormais à la tête de la Fédération du commerce et de la distribution.

C’est beaucoup moins vrai dans le camp des organisations syndicales, qui considèrent surtout que Nicole Notat est le symbole d’une proximité trop marquée avec le patronat. À la tête de la CFDT, celle qui était surnommée « la tsarine » et volontiers raillée pour sa rigidité – un reproche qu’aucun de ses homologues hommes n’a eu à affronter – a en effet imposé une ligne dite réformiste, proche de celle pratiquée par les syndicats allemands.

Elle a rapidement été contestée par une partie de ses propres militants, les divisions s’exposant à la vue de tous durant le mouvement social de la fin 1995. Lors de cette mobilisation à l’ampleur inédite depuis 1968, une partie des militants CFDT s’opposent au plan d’Alain Juppé, qui veut s’attaquer aux régimes spéciaux de retraites en allongeant la durée de cotisation des fonctionnaires de 37,5 à 40 ans, et qui souhaite également réformer la Sécurité sociale.

Nicole Notat soutient ce plan, et affronte violemment la CGT et FO, mais aussi une partie de son propre camp. Nombre de militants quittent alors la CFDT, pour rejoindre d’autres organisations, ou en fonder de nouvelle : la naissance de Sud Rail, notamment alimenté par les troupes de la CFDT cheminots, date de cette époque.

Si le mouvement social obtient à l’époque le recul d’Alain Juppé sur les retraites, la réforme de la Sécurité sociale est adoptée. Désormais, le budget annuel de la Sécu sera contraint par une loi annuelle de financement, votée au Parlement et fixant les objectifs de progression des dépenses maladie.

« Nicole Notat incarne 1995 et le soutien au plan Juppé, c’est incroyable d’aller la chercher aujourd’hui pour cette mission », juge Annick Coupé, secrétaire générale d’Attac, qui fût porte-parole de Sud Solidaires de 2001 à 2014, et cofondatrice de Sud PTT juste après avoir quitté la CFDT en 1988, jugeant déjà sa ligne trop « réformiste ».

« Je ne comprends pas ce choix si le gouvernement veut mener des discussions sereines, insiste Annick Coupé. Rien qu’en terme de communication, cela ne donne pas une image positive et rassurante. Nicole Notat a été une personnalité très clivante, y compris au sein de la CFDT. »

Même après 1995, la dirigeante de la CFDT a continué à tenir sa ligne. Quand le Medef lance son projet de « refondation sociale » en 2000, la CFDT devient le partenaire privilégié de l’organisation patronale, signant presque tous les accords. « Discuter avec le patronat, ce n’est en aucun cas le dédouaner », assure Nicole Notat en mai 2002, au congrès qui acte son départ de la tête de la CFDT.

Une fois son syndicat quitté, elle s’est toujours tenu proche des milieux d’affaires et de pouvoir. Dès 2002, elle fonde Vigeo, une agence évaluant et notant les performances sociales et environnementales des entreprises, et réalisant par exemple des audits sur les discriminations.

Après deux fusions, l’entreprise désormais nommé Vigeo Eiris est finalement vendue en 2019 à l’agence de notation Moody’s, dont les évaluations sanctionnant les entreprises ou les pays les plus fragiles ne s’embarrassent guère de considérations sociales ou écologiques. Nicole Notat a quitté la tête de sa société cette année.

L’ancienne responsable de la CFDT est incontestablement une femme de réseaux. Elle est membre de l’association Le Siècle [3], dont l’objectif est d’entretenir les bonnes relations entre les élites politiques, économiques et culturelles françaises, et elle l’a dirigée entre 2011 et 2013. Elle a aussi été membre du conseil de surveillance de la Société éditrice du Monde, qu’elle a quittée en 2017.

Elle ne s’est jamais totalement effacée du champ politique non plus. Appelant à voter « oui » à la Constitution européenne en 2005, elle a participé en 2007 durant le quinquennat de Nicolas Sarkozy au comité d’évaluation du Grenelle de l’environnement, puis au cours de celui de François Hollande, en 2013, à un groupe de réflexion gouvernemental chargé de favoriser le développement des entreprises en France.

Aujourd’hui, ses liens sont forts avec l’Élysée d’Emmanuel Macron. D’abord parce qu’elle a appelé à voter en sa faveur dès le premier tour de la présidentielle de 2017. Ensuite, et surtout, parce que l’influent conseiller spécial du président, Philippe Grangeon, est un pur produit de la CFDT, dont il a été secrétaire confédéral de 1994 à 1998. Il y a accompagné de près Nicole Notat, assurant notamment sa communication lors des grèves de 1995.

Parmi les familiers du palais, on dit volontiers que Philippe Grangeon cherche à mettre en avant son ancienne patronne à la moindre occasion. En janvier 2019, Nicole Notat avait été pressentie pour être l’une des personnalités encadrant le grand débat – ce qu’elle aurait refusé. Une année plus tôt, le chef de l’État avait déjà voulu la nommer au conseil d’administration du Bureau international du travail (BIT) pour représenter la France. Mais les risques de conflits d’intérêts avec Vigeo l’avaient obligée à décliner.

En mars 2018, enfin, Nicole Notat avait été associée au patron de Michelin Jean-Dominique Senard pour rédiger à la demande du ministère de l’économie un rapport censé aider à apporter une plus grande dimension sociale et environnementale aux entreprises françaises.

La principale préconisation du rapport, voulant que les entreprises puissent se donner un objet social plus large [4], définissant leur « intérêt social », a été reprise dans la loi Pacte. Mais la mesure reste très largement symbolique. Aujourd’hui, Nicole Notat a du pain sur la planche pour que son implication dans le « Ségur de la santé » dépasse le stade des symboles qui fâchent

Dan Israel

• MEDIAPART. 27 mai 2020 :

https://www.mediapart.fr/journal/fr...


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