Covid-19 — « Cinq propositions pour un monde meilleur après la pandémie »

samedi 25 avril 2020.
 

La déclaration suivante, signée par 168 universitaires de huit universités des Pays-Bas, a été largement diffusée dans la presse néerlandaise, devenant ainsi un point de débat sur la manière d’éviter de répéter les erreurs du passé lors de la planification de l’avenir.

Le Covid-19 a secoué le monde. Il a déjà entraîné la perte ou la ruine d’innombrables vies, tandis que de nombreuses personnes exerçant des professions vitales travaillent jour et nuit pour soigner les malades et empêcher que la maladie ne se propage davantage. Les ravages personnels et sociaux, et la lutte pour y mettre fin, exigent notre respect et notre soutien continus. En même temps, il est essentiel de replacer cette pandémie dans son contexte historique afin d’éviter de répéter les erreurs du passé lorsque nous planifions l’avenir.

• Le fait que le Covid-19 ait déjà eu un impact économique aussi important est dû, entre autres facteurs, au modèle de développement économique qui a dominé à l’échelle mondiale au cours des 30 dernières années. Ce modèle exige une circulation toujours plus importante des biens et des personnes, malgré les innombrables problèmes écologiques et les inégalités croissantes qu’il génère.

Au cours des dernières semaines, les faiblesses de la machine de croissance néolibérale ont été douloureusement exposées. Nous avons notamment vu : de grandes entreprises plaider pour un soutien immédiat de l’État dès que la demande effective diminuera, même pour une courte période ; des emplois précaires être perdus ou suspendus ; une pression supplémentaire sur des systèmes de santé déjà sous-financés.

Les personnes qui ont récemment affronté le gouvernement dans leurs luttes pour la reconnaissance et des salaires décents sont maintenant, de manière remarquable, considérées comme ayant des « professions vitales » dans le domaine des soins de santé, des soins aux personnes âgées, des transports publics et de l’éducation.

• Une autre faiblesse du système actuel, qui n’est pas encore très présente dans les discussions sur la pandémie, est le lien entre le développement économique, la perte de biodiversité et les fonctions importantes des écosystèmes, ainsi que la possibilité pour des maladies comme le Covid-19 de se propager parmi les humains. Ces liens sont mortels et pourraient le devenir encore plus. L’OMS a déjà estimé que, dans le monde, 4,2 millions de personnes meurent chaque année à cause de la pollution de l’air extérieur et que les effets du changement climatique devraient causer 250’000 décès supplémentaires par an entre 2030 et 2050. Les experts avertissent qu’avec la poursuite de la grave dégradation des écosystèmes – un scénario auquel il faut s’attendre dans le cadre du modèle économique actuel – les chances de voir se produire de nouvelles épidémies de virus, encore plus fortes, en plus de ces catastrophes en cours, sont réalistes.

• Tout cela exige une action drastique et intégrée et rend essentiel de commencer à planifier dès que possible un monde post-Covid-19. Bien que la crise ait eu des répercussions positives à court terme sur le plan social et environnemental, telles que le soutien des communautés, l’organisation et la solidarité locales, la réduction de la pollution et des émissions de gaz à effet de serre, ces changements seront temporaires et marginalisés en l’absence d’efforts concertés en vue d’un changement politique et économique plus large. Il est donc nécessaire d’envisager comment cette situation actuelle pourrait conduire à une forme de développement (économique) plus durable, plus juste, plus équitable, plus saine et plus résistante pour l’avenir ; une forme qui reconnaît les pressions structurellement instables du modèle néolibéral sur les personnes et les environnements, et qui établit des politiques et des stratégies politiques pour parvenir à un changement significatif, durable et équitable.

Ce bref manifeste, signé par 162 universitaires basés aux Pays-Bas et travaillant sur des questions liées au développement, vise à résumer ce que nous savons – grâce à nos recherches et à nos écrits collectifs – être des stratégies politiques critiques et efficaces pour aller de l’avant pendant et après la crise.

Nous proposons cinq propositions politiques clés pour un modèle de développement post-Covid-19, qui peuvent toutes être mises en œuvre immédiatement et soutenues après la fin de cette crise particulière :

1° s’éloigner d’un développement axé sur la croissance globale du PIB pour faire la distinction entre les secteurs qui peuvent croître et ont besoin d’investissements (les secteurs publics dits critiques, et les secteurs de l’énergie propre, de l’éducation, de la santé, etc.) et les secteurs qui doivent radicalement décliner en raison de leur insoutenabilité fondamentale ou de leur rôle dans la stimulation d’une consommation continue et excessive (notamment le pétrole, le gaz, les mines, la publicité, etc. du secteur privé) ;

2° un cadre économique axé sur la redistribution qui établit un revenu de base universel ancré dans un système de politique sociale universel, une forte imposition progressive des revenus, des bénéfices et des richesses, une réduction du temps de travail et le partage des emplois, et qui reconnaît le travail de soins et les services publics essentiels tels que la santé et l’éducation pour leur valeur intrinsèque ;

3° la transformation de l’agriculture vers une agriculture régénératrice basée sur la conservation de la biodiversité, une production alimentaire durable et principalement locale et végétarienne, ainsi que des conditions d’emploi et des salaires équitables dans le secteur agricole ;

4° la réduction de la consommation et des voyages, avec un changement radical de la consommation et des voyages de luxe et de gaspillage au profit d’une consommation et de voyages de base, nécessaires, durables et satisfaisants ;

5° l’annulation de la dette, en particulier pour les travailleurs et les propriétaires de petites entreprises et pour les pays du Sud (tant de la part des pays riches que pour les institutions financières internationales).

En tant qu’universitaires, nous sommes convaincus que cette vision politique conduira à des sociétés plus durables, plus égalitaires et plus diversifiées, fondées sur la solidarité internationale, et qui pourront mieux prévenir et gérer les chocs et les pandémies à venir. Pour nous, la question n’est plus de savoir si nous devons commencer à mettre en œuvre ces stratégies, mais comment nous y prendre.

Tout en honorant les groupes les plus durement touchés par cette crise particulière aux Pays-Bas et ailleurs, nous pouvons leur rendre justice en prenant l’initiative de faire en sorte qu’une future crise soit beaucoup moins grave, cause beaucoup moins de souffrance ou ne se produise pas du tout.

Par-dessus tout, nous devons travailler sur ces visions positives pour contrer les réponses « capitalistes de catastrophe » qui visent à tirer (encore) plus de profit de la misère des autres et à renforcer les politiques qui ont rendu la planète non durable. Avec de nombreuses autres communautés, aux Pays-Bas et dans le monde, nous pensons que le moment est venu d’adopter une vision aussi positive et significative pour l’avenir. Nous invitons les politiciens, les décideurs politiques et le grand public à commencer à s’organiser pour leur mise en œuvre le plus tôt possible.

P.-S. • Article du 20 avril 2020 publié sur le site Climate&Capitalism et disponible en anglais sur ESSF.

Traduction rédaction A l’Encontre 21 avril 2020 : https://alencontre.org/ecologie/deb...


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