Des masques, pas des bâillons

mardi 14 avril 2020.
 

En cette fin de quatrième semaine de confinement, ressentir le tragique sans percevoir d’issue produit un effet terriblement asphyxiant. Compter les morts n’est pas une perspective.

Rester confinés depuis des semaines sans le moindre scénario de sortie de cet état de privation de liberté et de peur des autres, c’est insupportable

Emmanuel Macron doit s’adresser aux Français lundi soir. Sa parole, comme celle du gouvernement, s’est déjà fracassée sur le mur du réel. Les masques promis ne sont pas là. Pour comprendre un tel fiasco, il faut lire les deux enquêtes de Mediapart sur la succession de négligences et l’impréparation criminelle du gouvernement. Elles sont accablantes.

Les messages contradictoires et le défaut de projection ont créé une situation d’immense défiance à l’égard du pouvoir en place. Seuls 38% des Français font confiance au gouvernement. C’est un lourd handicap pour faire face à la pandémie.

Je le répète et le répète encore, ce qu’il nous faut, c’est un plan précis, organisé, anticipé dans le temps, de production du matériel nécessaire pour soigner, prévenir et envisager une sortie du confinement. Sans masques, sans tests, en quantité massive, comment s’en sortir ?

Ce n’est pas avec un discours martial, guerrier, viril que nous avancerons. Nous avons besoin de nous défendre contre un virus agressif, de protéger les populations les plus vulnérables, de prendre soin de nous.

Nous avons aussi besoin de changer d’imaginaire, de normes, d’horizon.

Ayons conscience que si les femmes sont largement absentes du monde des experts, des dirigeants, des décideurs, elles sont les premières à faire tenir la société dans ce moment de chaos. Aides-soignantes ou caissières, au charbon dans les Ehpad ou les services publics, les femmes occupent massivement les postes clés pour soigner, panser, parer à l’indispensable. Mais leur voix reste globalement introuvable dès que l’on grimpe dans l’échelle du visible et du décisionnel. C’est fou ! Ou plus exactement, c’est le produit de la domination masculine. J’aimerais que nous prenions conscience que les femmes ont une histoire et une expertise liée à leur quotidien très précieux pour façonner une société de progrès humain. Leur rapport au pouvoir et aux soins est culturellement différent, et nous en aurions franchement besoin pour sortir de normes traditionnelles masculines qui nous conduisent à bien des égards dans l’impasse aujourd’hui.

Il faut bien avoir en tête les conséquences sociales et psychologiques du confinement. À la clé, c’est la récession, la paupérisation, la violence qui s’annoncent. Je le répète et le répète encore, il faut penser les bifurcations, le changement de modèle de développement pour que l’après soit mieux que l’avant, et non une dose toujours plus vertigineuse de potions néolibérales et productivistes. Et ce d’autant que, les catastrophes climatiques de demain, avec leur lot d’injustices, ne pourront être ignorées comme on l’a fait avec le coronavirus.

Pendant tout ce temps qui défile, je suis frappée par le confinement du débat démocratique. Comme si face au tragique, il ne fallait pas discuter, se disputer, permettre la confrontation des issues possibles. On ne compte plus les grandes émissions et les journaux télévisés où seuls les ministres donnent la réplique. Les éditorialistes les moins mainstream semblent avoir disparu. Bien sûr, nous ne sommes pas en Chine, les réseaux sociaux ou les médias en ligne abondent d’informations et de points de vue divers. Mais les voix d’opposition sont marginalisées sur les grandes chaines.

Nous voulons des masques, pas des bâillons.

Clémentine Autain


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