Biopouvoirs et biopolitique à l’ère de l’autoritarisme néolibéral.

dimanche 29 décembre 2019.
 

Biopouvoirs et biopolitique à l’ère de l’autoritarisme néolibéral.

Nous abordons dans ce document l’action du pouvoir économique et politique sur le vivant.

Le développement du néolibéralisme au niveau planétaire en relation avec la production et l’usage des nouvelles technologies reconfigure le dressage des corps et des esprits de la population.

Nous en examinons les enjeux et horizons.

1– De la discipline, du contrôle et de la surveillance.

Michel Foucault a montré que la discipline imposée, notamment dans les usines ( et ultérieurement dans les bureaux ), dès le XVIIIe siècle était un mode d’exercice du pouvoir sur les comportements et donc sur les corps.

Comme l’indique le texte 2 ci-dessous, cela va de pair avec la subordination formelle du travail au capital, c’est-à-dire à l’exploitation de la force de travail qui devient avec le salariat travail productif de plus-value pour le capitaliste. Le corps et l’esprit du travailleur se trouve mobilisé pendant un certain temps de vie dans une activité productive sur le lieu de travail.

Ce temps et cette obligation sont consignés dans un contrat de travail.

À cette époque, l’augmentation de la plus-value se réalisait avec l’allongement de la durée du travail et donc avec l’usure et l’épuisement des corps. On parle alors de plus-value absolue.

Avec l’avènement du machinisme puis de la mécanisation l’augmentation de la plus-value s’obtient par la diminution de la valeur de la force de travail par augmentation de la productivité du travail. Parle alors de plus-value relative.

La rationalisation de la division et de l’organisation du travail contribue aussi à l’augmentation de la productivité. Les techniques de management des procédures de contrôle sur les corps sur un espace donné pendant un temps donné

Le corps du travailleur devient alors l’objet d’une discipline encore plus forte puisque ses gestes peuvent devenir tributaires du fonctionnement des machines et de l’activité gestuelle d’autres travailleurs

C’est le cas par exemple du travail à la chaîne ou du travail du manutentionnaire dans un dépôt logistique sous contrôle logiciel. La finalité et le processus de la production échappent de plus en plus aux travailleurs. : apparaît ainsi l’ère de la subordination réelle du travail au capital.

Ce processus s’accompagne d’un développement des technologies de surveillance et de contrôle de plus en plus sophistiquées et invasives Pour prendre un exemple très contemporain, on peut surveiller par GPS itinéraire emprunté par un livreur ou un réparateur : connaître l’emplacement de ces arrêts, la durée de ses interventions et éventuellement connaître un « arrêt non productif » pour consommer une bière dans un bar par exemple.

De la même manière, on peut utiliser la vidéosurveillance non seulement dans une ferme usine d’élevage de porcs mais aussi surveiller l’activité des caissières dans un grand magasin. En agriculture, une surveillance satellitaire des espaces cultivés ou d’élevage pour éviter la fraude fiscale est une pratique courante. On retrouve ainsi ce qu’expliquait Gilles Deleuze dans son post-scriptum sur la société de contrôle. La discipline des comportements est dictée et encadrée par le droit et les normes.

Cette discipline socialement subie ou acceptée reconfigure la subjectivité des personnes et la culture d’une population. Le code de la route, la législation sur les bruits de voisinage sont des exemples simples de la mise en œuvre de ce pouvoir disciplinaire. Celui-ci est intériorisé et reconfigure les subjectivités. Prenons un exemple très actuel : les grèves notamment des transports.

On a l’habitude de centrer le débat de la manière suivante : qui est responsable de la grève ? Le corporatisme des grévistes qui défendent leurs intérêts acquis ? Le gouvernement qui n’écoute pas les revendications des travailleurs ?

Or, cette responsabilité est mise en avant par les médias du fait que la grève provoque une gêne plus ou moins importante pour le déplacement des usagers et notamment leurs déplacements pour aller travailler.

La situation prend alors un caractère dramatique : certains usagers ne pouvant pas se rendre au travail risquent de perdre leur emploi. Des commerçants risquent de faire faillite.

Mais, en réalité, en arrière-plan, c’est la remise en cause de la discipline du travailleur qui doit être obligatoirement présent sur son lieu de travail.

Les uns (des grévistes) remet en cause cette discipline en utilisant leur droit de grève les autres ne remettent pas en cause cette discipline par crainte de perdre leur emploi ou parce qu’ils ne sont pas convaincus de la nécessité de la grève.

En minimisant la parole des grévistes et en maximisant la parole des non-grévistes et des usagers, les médias se comportent donc comme chiens de garde du pouvoir disciplinaire.

Le pouvoir disciplinaire ne repose pas seulement sur des règles juridiques définissant les comportements licites et les comportements illicites mais se diffuse aussi par une parole qui ne porte pas l’empreinte de la loi mais qui expriment une norme distinguant un comportement normal d’un comportement anormal ou pathologique qui distingue encore un comportement acceptable d’un comportement inacceptable.

Dans le premier cas la discipline fait référence aux droits, dans le second cas elle fait référence aux sciences sociales.

2– Biopouvoirs et bio politique.

La discipline s’exerce essentiellement sur des individus, le bio pouvoir s’exerce sur des collectifs, sur des populations relativement homogènes c’est-à-dire partageant des caractéristiques communes Le bio pouvoir apparaît d’abord avec la capacité d’un souverain de déclencher une guerre de maintenir la paix à dire d’un pouvoir de vie ou de mort sur ces sujets constituant la population.

La bio politique fait intervenir une action politique sur la vie des populations.

C’est d’abord la politique de santé publique : lutte contre les épidémies, vaccinations obligatoires, mise en place de structures collectives de soins (hôpitaux, maisons de retraite,…), formation des soignants et recherches médicales et biologiques,… Les mesures d’hygiène publique (traitement et évacuation des eaux usées,…), hygiène et sécurité dans les entreprises. un autre aspect et la régulation de la natalité, des politiques familiales et la régulation des flux migratoires.

En fait, d’une manière plus générale, la bio politique s’intéresse aux conditions d’existence des populations. Ainsi l’aménagement du territoire, conditions d’habitation (notamment la salubrité, les conditions de chauffage et d’isolation) relève de la bio politique.

La bio politique occupe un champ plus vaste que le pouvoir disciplinaire essentiellement centré sur l’espace et le temps de travail : elle s’occupe aussi de l’espace et du temps de vie des individus en dehors de leur temps de travail la bio politique s’occupe de l’espace temps de la reproduction de la force de travail des différents agents économiques. La bio politique organise espace-temps et les relations sociales pour maximiser la capacité productive des forces de travail d’une population. En particulier, elle structure à cet effet les modes et désirs de consommation sur le temps libre.

Cette reproduction de la force de travail est à comprendre dans ses différentes dimensions et aussi tout simplement dans son sens biologique : c’est la raison pour laquelle la sexualité, les différentes techniques de reproduction (GPA, PMA,…) font partie du champ de la biopolitique.

Avec le développement du néolibéralisme, tous les secteurs du vivant sont marchandisés ou condamnés à l’être.

Le développement des biotechnologies permettant par exemple le séquençage du génome, le clonage, la fabrication de prothèses et d’organes artificiels, des manipulations génétiques dans le domaine animale et végétal sont sources de profits capitalistes.

Pour réguler l’efficience de certaines techniques médicales et des biotechnologies, est apparue la bio éthique mais dans le système de valeurs peut varier d’un pays à l’autre.

3–Quelques secteurs phares où s’exerce l’action biopolitique néolibérale.

3.1L’hôpital public

D’un côté la classe capitaliste a besoin d’une main-d’œuvre en bonne santé et ne s’opposent donc pas à la construction et au fonctionnement d’un système de santé accessible au grand nombre. Mais en même temps, l’idéologie néolibérale s’oppose à une mobilisation budgétaire trop importante de l’État dans le système de santé.

Les luttes sociales dans le secteur de la santé ont souvent pour motif de combattre les restrictions budgétaires détériorant les conditions de travail.

En même temps, s’est idéologie préfère le développement de cliniques privées plutôt que celui des hôpitaux publics.

Pour rentabiliser de fonctionnement de l’hôpital, la bourgeoisie avec sa courroie de transmission politique a introduit laT 2A (Tarification à l’acte), transformant ainsi les hôpitaux en usines à soins fonctionnant avec des normes de codification des actes de soins nécessitant une informatisation importante. Une partie non négligeable du temps de travail des soignants est alors utilisé pour des tâches administratives comptables. On assiste alors à une déshumanisation du travail des soignants dont les actes sont chronométrés, surveillés en permanence, réduits à leur dimension purement technique.

Mais cette augmentation contrainte de la productivité du travail des soignants ne suffit pas à satisfaire la barbarie néolibérale : cette augmentation de la productivité n’empêche pas pour autant la suppression de postes de travail (et de lits) et une insuffisance notable de recrutement de personnels.

Il en résulte une dégradation des conditions de soins pour les malades mais aussi une augmentation considérable du nombre de burnout et de suicides dans le secteur médico-social.

La crise du secteur des urgences a rendu visible pour le grand public non hospitalisé l’ampleur de la dégradation de l’hôpital public. Il est bien évident qu’une telle détérioration s’est accompagnée de décès qui auraient pu être évités avec plus de moyens humains et avec un mode de gestion non capitalistique.

Cette situation est notamment causée par la diminution de moyens budgétaires affectés au ministère de la santé. Une étude réalisée par 10 chercheurs britanniques à montrer l’impact de restrictions budgétaires concernant la santé publique sur le nombre de décès

Leur étude, publiée le 15 novembre 2017 dans le British Medical Journal, montre que les coupes de dépenses sociales et de santé réalisées à partir de 2010 en Angleterre auraient entraîné 45 000 décès supplémentaires sur la période 2012-2014, par rapport au nombre de décès attendu. (Source : Le Figaro http://sante.lefigaro.fr/article/qu... )

On peut donc qualifier la bio politique néolibérale dans ce secteur de criminel.

Cette crise qui a pris de l’ampleur depuis les années 2000 n’empêche pas en parallèle un progrès considérable des hautes technologies médicales notamment dans le domaine de l’imagerie. Mais ce secteur technologique est aussi source de profits importants pour les entreprises capitalistes fabriquant ce matériel.

On peut se référer ici sur le mouvement des urgentistes et une vidéo intitulée : contre la mise à mort de l’hôpital public. https://www.youtube.com/watch?v=inf...

Pour ce qui concerne la médecine dite de ville, il n’existe maintenant une grave pénurie de recrutement de médecins généralistes et de spécialistes pour certaines spécialités.

Formé un étudiant en médecine coûte effectivement cher à l’État est un état entre les mains des libéraux n’est pas disposé à attribuer des budgets suffisants pour permettre la formation des étudiants en médecine e en quantité suffisante.

On ose appeler cette politique criminelle de « numerus clausus ». Remarquons aussi que la politique de santé publique est aussi liée à la politique du logement. Il existe par exemple en France 31 000 enfants SDF : quel impact sur leur santé ?. Voir article http://www.gauchemip.org/spip.php?a...

Il semble plus que temps de dégager les représentants des partis politiques ayant contribué à cette situation incroyable dans l’un des pays les plus riches du monde.

Ne pas être capable de protéger la santé d’une population alors que l’on peut en avoir les moyens relève non seulement de l’incompétence mais d’une corruption systémique des dirigeants politiques par une ploutocratie ultra minoritaire mais contrôlant suffisamment les médias pour les faire élire par bio formatage des esprits faibles et naïfs.

Pour avoir une illustration concrète de la manière dont l’ultralibéralisme irradie notre système de santé, on peut se reporter à une enquête de Cash investigation : Santé : les lois du marché https://www.francetvinfo.fr/replay-...

Sur l’industrie capitalistique du médicament on peut se reporter à l’émission : cash investigation : les vendeurs de maladies https://www.dailymotion.com/video/x...

Il serait trop long ici de mentionner tous les scandales sanitaires provoqués par une bio politique capitalistique. Il suffit de se reporter à l’article de Wikipédia : Scandales sanitaires https://fr.wikipedia.org/wiki/Scand...

3.2 L’alimentation

La bio politique gère aussi l’alimentation de la population. Elle doit prendre en compte trois dimensions : la quantité à produire pour satisfaire les besoins de la population ; La qualité nutritive et gustative ; la qualité sanitaire. À cet effet, une multitude de normes sont élaborés et appliqués avec plus ou moins de succès. Ces normes sont souvent déterminées par un jeu de rapport de force de groupes d’influences. (lobbys associations de consommateurs, pouvoirs publics). Ces paramètres dépendent du type d’agriculture utilisée et du type d’industrie (ou artisanat) agroalimentaire mise en œuvre. Il ne s’agit pas ici de détailler chacun de ces aspects : cela nécessiterait de longs développements.

Les exigences d’un te profit toujours plus élevé demandent une croissance incessante de la productivité tant dans la production agricole que dans la production alimentaire.

On retrouve ici la subordination réelle des processus de production au capital.

La mécanisation, la robotisation, utilisation de pesticides et d’engrais artificiels, les manipulations génétiques ont permis un accroissement considérable de la productivité certes pour satisfaire les besoins alimentaires de la population mais aussi et surtout pour augmenter les profits capitalistes.

Cette exigence cardinale du profit peut faire sombrer une population dans la famine : la financiarisation à outrance du capitalisme a permis de faire coter en bourse des denrées alimentaires et agricoles. Ainsi, par exemple, le blé et le riz peuvent devenir des produits financiers spéculatifs conduisant à des flambées de prix aléatoires.

Pour avoir plus de détails sur ce phénomène, voir la vidéo : les causes des émeutes de la faim.

https://www.youtube.com/watch?v=Tyt...

Cette augmentation de la productivité peut se faire au détriment de la santé de cette même population comme de nombreux reportages de l’émission cash investigation et Envoyé spécial, par exemple, ont pu le montrer concrètement.

Voir par exemple : Multinationales : hold-up sur les fruits et légumes https://www.youtube.com/channel/UC9...

Mais ce productivisme peut conduire à l’épuisement de ressources naturelles comme les poissons avec la pêche industrielle.

La pêche industrielle en eaux troubles (Cash investigation) https://www.france.tv/france-2/cash...

les pesticides peuvent non seulement polluer les seuls mais aussi la mères. Ainsi, un insecticide pour traiter les bananes en Martinique qui s’’est aussi répandu sur la côte a provoqué une pollution gigantesque interdisant notamment la pêche de la langouste. Ce produit a aussi gravement affecté la santé de la population voir le documentaire de France 5 : le dock du dimanche Coquillages et crustacés (décembre 2019–Pollution relatée après la 30e minute de vidéo) https://www.france.tv/france-5/le-d...

L’utilisation massive de pesticides détruits la biodiversité (oiseaux, insectes,…). Il en est de même de l’exploitation productiviste et aveugle des forêts

Force est de constater que les différentes normes européennes autres qui ont pour fonction de réguler ses différentes activités agricoles et industrielles reste d’une efficacité très limitée.

La puissance des lobbys la corruption systémique de représentants politiques au niveau européen notamment explique les limites de cet efficacité.

3.3 Les nouvelles technologies de la communication, du son et de l’image.

La bio politique s’applique aussi à la production et à l’utilisation des hautes technologies contemporaines.

La fabrication des téléphones portables constitue un exemple emblématique de la synthèse du pouvoir disciplinaire et du bio politique assujettie à la subordination réelle du travail au capital au niveau mondial, la Chine devenant dans ce domaine un moteur mondial.

On peut se reporter à l’excellente émission de cash investigation : les secrets inavouables de nos Smartphones https://www.dailymotion.com/video/x...

Sont décrits dans cette enquête l’exploitation des enfants (y compris la nuit) en Chine dans les chaînes de fabrication ; l’exploitation minière au Congo avec ensevelissement des corps de mineurs par centaines dans les éboulements fréquents des tunnels de forage ; l’exploitation du néodyne polluant Un lac et nappes phréatiques provoquant la quasi extermination progressive d’un village par ingestion journalière d’eau radioactive et riche en métaux lourds ; le laxisme et corruption des élites européennes ; corruption de milliers de journalistes par les multinationales de la high-tech pour faire la publicité de leurs produits : bref, un véritable tableau cauchemardesque d’une d’une biopolitique néolibérale brûlant les vies sur l’autel du profit.

Ce documentaire est une illustration de notre article : la division internationale du travail numérique http://www.gauchemip.org/spip.php?a...

La bio politique s’applique aussi à l’utilisation par les consommateurs de c’est nouvelle technologie.

Quelles actions sur la santé physique et mentale ? Quels sont leurs impacts sur le formatage idéologique et psychologique nouvellement possible avec la multiplication des petits et grands écrans ? Quelle surveillance contrôle social possible avec les objets connectés ?

Ces différentes questions ont été abordées sur notre site dans différents articles.

3.4 La biopolitique et l’écosystème.

Une autre action de la biopolitique contemporaine est la disparition de nombreuses espèces vivantes et l’engendrement de graves perturbations climatiques (réchauffement, tornade, inondations, fonte des glaces, montée du niveau de la mer).

Le caractère mortifère de la bio politique néolibérale et productiviste atteint dans ce domaine son paroxysme puisque c’est maintenant l’existence même de l’espèce humaine qui est en jeu.

Le refus des gouvernements néolibéraux de remettre en cause les processus de production en agriculture et dans l’industrie pour assurer la transition énergétique est une fois de plus un comportement criminel.

Si les populations ne chassent pas du pouvoir ces néobarbares libéraux, elles se ccondamneront elles-mêmes à mort.

C’est la prise de conscience progressive du caractère mortifère de cette biopolitique néolibérale qui ne permet plus à des millions de personnes de vivre, voire même de survivre, qui explique les mouvements sociaux puissants qui se développent actuellement dans de nombreux pays.

4–La biopolitique macronienne.

Elle hérite des caractéristiques mentionnées ci-dessus et n’a, sur ce plan, rien de particulier. Ce qui caractérise la biopolitique de Macron c’est une superposition étroite entre le pouvoir disciplinaire répressif et les biopouvoirs. La dérive de l’État de droit vers un État sécuritaire depuis 2013 et l’instrumentalisations croissantes de la police et de l’appareil judiciaire pour neutraliser, plutôt réprimer, la contestation sociale est un phénomène nouveau par son ampleur et son intensité. L’utilisation d’armes de guerre contre une population civile et la mutilation des corps, (considérés commes crimes de guerre en temps de guerre) constitue une innovation de la bio politique répressive dans les pays ditsdémocratiques. C’est La Répression En Marche. On assiste ainsi à une dégénérescence autoritaire et barbare du néolibéralisme. On insistera pas plus sur ces questions puisque nous avons consacré deux articles sur cette dégénérescence. Les yeux crevés et les gueules cassées au pays des droits de l’homme du XXIe siècle : http://www.gauchemip.org/spip.php?a...

Passage de l’État de droit à l’état de sécurité http://www.gauchemip.org/spip.php?a...

5–Des ressources sur biopouvoirs et biopolitique.

Texte 1 Bio politique et biopouvoirs parJudith Revel – Paris 1 – Philo http://www.implications-philosophiq... Source : implications philosophiques.org

On pourrait commencer par une espèce d’inventaire à la Prévert : un philosophe contemporain affirme qu’Auschwitz aurait été la matrice du paradigme biopolitique ; des associations de parents et d’enseignants réagissent à la proposition gouvernementale de détecter l’asocialité des tout petits enfants en première année de maternelle parce qu’ils y voient une mesure de contrôle biopolitique ; un président des Etats-Unis, au début des années 2000, parle de l’importance de relancer le thème – fondateur pour la politique américaine – de la « frontière » sous la forme d’une « nouvelle frontière biopolitique »[1]. En somme, on le voit : le mot « biopolitique » – et son apparent synonyme de « biopouvoir » – connaissent depuis quelques années une fortune très grande ; et pourtant, mais le sens qu’on leur attribue – et les usages qui en sont faits – sont bien loin d’être homogènes.

Par biopolitique, on semble malgré tout se référer dans tous les cas à un type particulier d’exercice du pouvoir (ou à un type d’intervention des dispositifs politiques) portant sur des objets spécifiques, et que l’on pourrait caractériser au sens littéral comme des « biopouvoirs », c’est-à-dire comme une application des pouvoirs à la vie. Du même coup, si la « biopolitique » implique la transformation d’un certain nombre d’éléments de nos vies en enjeux du pouvoir – alors même que nous considérions jusqu’alors comme extérieurs à la sphère politique en ce que nous les qualifions de « privés » -, deux grands axes de réflexion semblent en réalité se déployer.

Source : stock.Xcnhg Source : stock.Xcnhg

L’un privilégie l’interrogation sur les conditions historiques d’émergence de ce type de pouvoir : dans quel contexte, en fonction de quels impératifs, au nom de quelle rationalité de gouvernement la biopolitique est-elle devenue une forme nécessaire – ou peut-être même la modalité générale – de l’exercice du pouvoir ? L’autre préfère faire jouer dans notre propre présent la notion de biopolitique afin de redoubler l’analyse historique d’un discours pour aujourd’hui. Ce discours peut envisager l’extension du politique à des objets nouveaux, appartenant au champ de la vie, comme un nouveau défi qu’il s’agit de relever avec passion – c’est le cas par exemple des politiques de recherche autour de la question du séquençage du génome humain ; mais il peut tout aussi bien s’alarmer du fait que ces nouvelles politiques se traduisent souvent par des pouvoirs inédits qui « mordent » dans nos vies de manière nouvelle – il s’agit alors essentiellement de dénoncer les abus de ce pouvoir renouvelé, son ingérence dans nos existences, son extension sans limite, et les dangers que cela est susceptible de générer. Et, des techniques de reconnaissance de l’individu par son iris ou ses empreintes digitales, comme c’est désormais le cas aux frontières de nombreux pays, au fichage généralisé des goûts que nous professons, des idées que nous affichons, des images et des musiques que nous partageons, comme dans l’étrange publicisation du privé si caractéristique des réseaux sociaux sur internet, de plus en plus d’éléments de nos existences ramènent de fait à la dimension de la biopolitique .

En réalité, entre l’intention descriptive et le discours critique, entre l’archéologie d’une émergence et le diagnostic vigilant porté sur notre propre actualité, il n’y a pas de réelle opposition : chez Michel Foucault, à qui l’on doit le néologisme de biopolitique[2] (et celui, intimement lié, de biopouvoirs), l’un et l’autre sont tour à tour explorés.

On s’en souviendra peut-être : dans la réflexion foucaldienne, le terme de « biopolitique » désigne originairement la manière dont le pouvoir tend à se transformer, entre la fin du XVIIIe siècle et le début du XIXe siècle, afin de gouverner non seulement les individus à travers un certain nombre de procédés disciplinaires, mais l’ensemble des vivants constitués en « populations », c’est-à-dire en ensembles homogènes généralement définis à partir d’un ou plusieurs traits considérés comme « naturels ». La biopolitique redouble donc les disciplines, et superpose au gouvernement des individus un gouvernement des populations : c’est avant tout d’un changement d’échelle qu’il s’agit ; mais la biopolitique, parce qu’elle massifie le contrôle des disciplines, doit utiliser un levier nouveau ; et ce levier, ce sera celui du déplacement du contrôle du côté de champs d’existence qui, jusqu’alors, étaient considérés comme « extra-politiques ». Si l’on ne considère plus seulement les hommes en tant qu’individus, c’est-à-dire comme citoyens, mais qu’on les définit en tant que « vivants », comme appartenant à telle ou telle « population » (les « jeunes » et les « vieux » : les » sains » et les « malades » ; les « femmes « et les « hommes » ; les « féconds » et les « stériles » ; les « normaux » et les « porteurs de tares » etc.), le contrôle des naissance , les politiques de santé, la vigilance à l’égard des mœurs, l’attention à « normalité » de la structure familiale, l’imposition de normes d’hygiène et d’alimentation, la prévention de l’alcoolisme, de la violence intra-familiale ou de la « déviance sexuelle » deviennent autant de domaines d’action nouveaux. On n’y fera plus jouer la règle juridique (vieille expression de la souveraineté s’il en fut) mais un autre instrument – la norme – afin de déterminer en permanence la distribution massifiée des « populations » qu’il s’agira dès lors de gouverner.

Bien sûr, cette extension des rapports de pouvoir à l’existence des hommes considérés comme « vivants » (et la mutation qualitative qui affecte dès lors ces mêmes rapports en ce qu’ils sont désormais devenus « normatifs », et non plus seulement juridiques) se traduit par des interventions parfois extrêmement utiles et positives, qui changent très concrètement les conditions d’existence des hommes et des femmes en les améliorant – c’est le cas, par exemple, de l’essor des politiques de santé à partir du XIXe siècle ; mais ce que l’on pourrait considérer comme une soudaine « philanthropie » du pouvoir – dont les effets bénéfiques existent, encore une fois, de manière évidente : la construction de la conception contemporaine du welfare en dérive en bonne partie – possède en réalité une raison historiquement déterminée, et dont Foucault nous rappelle l’ambigüité.

Si l’on tente en effet l’analyse du cadre de rationalité politique dans lequel elle apparaît, la notion de biopolitique émerge avec la naissance du libéralisme. Ce libéralisme est économique (c’est-à-dire lié à une forme de production nouvelle, la production industrielle ; à une organisation du travail spécifique, celle de la structure de l’usine ; et à une pensée économique qui fait de la valeur d’échange et de la quantité de travail les deux éléments déterminants de la valeur d’une marchandise) ; mais il est également politique (pour faire en sorte que ce type de production croisse, il faut instaurer une conception du libre marché, c’est-à-dire préconiser un retrait, ou une suspension au moins partielle des interventions de l’Etat – précisément parce que pour laisser agir la « main invisible » du marché, il faut prendre garde à ne pas « trop gouverner »). La biopolitique répond donc à cette mutation, de deux manières.

D’une part, elle emprunte à cette nouvelle économie de la production sérielle des marchandises ses propres critères et les applique à sa gestion des hommes et des femmes. En somme : elle transforme son mode de gouvernement en une économie politique construite sur le modèle de l’économie libérale : il s’agit de maximiser les effets tout en réduisant les coûts, d’affirmer qu’on risque toujours de trop gouverner, en écho au libéralisme économique, et pourtant – malgré cela et en vertu de cela – d’obtenir des hommes, individuellement et ensemble, des prestations productives. De l’autre, puisqu’il s’agit de mettre les hommes au travail, il s’agit de rentabiliser au maximum ces mêmes prestations productives : il faut donc administrer non seulement leur temps de travail mais leur existence tout entière en fonction des impératifs de la production économique, dans la mesure où c’est toute l’organisation de la vie qui permet la maximisation de la production. L’hygiène, la démographie, l’alimentation, les mœurs, la sexualité : tout cela doit être contrôlé afin de permettre l’amélioration de la productivité des hommes – singulièrement, comme individus, et massivement, comme « populations », c’est-à-dire aussi comme force de travail.

Bien sûr, l’analyse « archéologique » de Foucault ne se borne pas à une description historique : par rebond, elle nous oblige à interroger la manière dont nos vies, en tant que potentiellement « productives » (de valeur économique), sont aujourd’hui redéfinies par une série de pouvoirs qui traversent leur matérialité quotidienne, alors même que l’économie et l’organisation du travail sont en pleine mutation, et laissent toujours plus de place à des formes de production de la valeur qui, bien loin des analyses archéologiques de Foucault, sont désormais cognitives, sociales, coopératives .

Aujourd’hui, la production de la valeur dépend en large mesure de l’interaction des hommes et des femmes, de leur activité libre et créatrice, de leur inventivité, des structures de réseau qu’ils réussissent à construire. Quelle biopolitique en assure-t-elle alors l’organisation, la rentabilisation et la captation ? Comment le capital construit-il des dispositifs de mise au travail de la socialité et de l’inventivité humaines afin d’en faire des sources de profit ? A travers quels biopouvoirs peut-il s’assurer de la mise au travail des existences, alors même que le lieu clos de l’usine, auquel la production industrielle était attachée, a aujourd’hui essaimé en une série infinie de contextes et de figures – formelles et informelles, spatialement mobiles et temporellement flexibles, précaires et intermittentes -, et que le temps de vie et le temps de travail tendent désormais toujours davantage à se superposer ?

Par ailleurs, cette archéologie interroge profondément une grande « lecture » de la biopolitique auxquelles on tend sans doute trop rapidement, aujourd’hui, à réduire l’enquête.

Celle-ci consiste en effet à « biologiser » la notion de vie sans tenir compte du fait que des « pouvoirs sur la vie » peuvent être tout aussi bien des « pouvoirs sur l’existence ». Bien entendu, la biologisation de l’idée même de vie est l’un des leviers sur lesquels se construit le discours biopolitique ; mais le levier n’est nécessaire qu’en ce qu’il permet paradoxalement de gouverner – au nom de cette « biologisation » – les existences dans leur dimension sociale, politique ou culturelle. Parler de détection précoce de l’asocialité chez les enfants de trois ans, n’est-ce pas pour les gouvernants, dans une sorte d’écho aux thèses lombrosiennes assez terrible, attribuer leur propre difficulté politique – à assurer l’intégration des individus dans la communauté démocratique des égaux – aux gouvernés eux-mêmes , c’est-à-dire enraciner par avance l’« intégration manquée » de certains individus dans le terrain biologique (une « anomalie comportementale » repérable dès les premières années de vie) qui serait dès lors désormais le seul responsable de tous les maux de la société ? En somme, la manipulation ultime de la biopolitique, n’est-ce pas de faire se recouvrir ces deux termes que la pensée grecque nous avait pourtant habitués à distinguer – la Zoè (la vie naturelle, biologique, animale) et le Bios (la vie politiquement et socialement qualifiée) ?[3] De rendre politiquement et socialement responsable la Zoè, alors même que nos existences (le Bios : notre vie quotidienne) sont mises à sac au nom d’une productivité elle-même en pleine redéfinition ? La crise financière est ainsi, pour certains, le dernier avatar d’un biopouvoir en mutation : comment gouverner les hommes et les femmes, alors même qu’ils sont devenus de plus en plus libres et indépendants, mobiles et productifs, reliés entre eux et en même temps autonomes, si ce n’est par l’hypothèque de leur existence dès la naissance ? Dans ce contexte, certains[4] n’hésitent pas à interpréter la récente crise des pays avancés non pas comme l’effet d’un système économique dévoyé par la finance, mais comme la mise au point d’un régime de gouvernementalité nouveau, fondé sur l’endettement, et touchant aux éléments les plus fondamentaux de l’existence – par exemple le logement (puisque la première bulle financière fut, aux Etats-Unis, celle des prêts immobiliers), ou la santé. Et l’on ne peut pas ne pas être attentifs (et sans doute impressionnés) quand l’on entend depuis quelques temps certains analystes annoncer que la prochaine bulle spéculative se prépare sur les prêts universitaires (et leur titrisation financière) – c’est-à-dire sur l’accès au savoir et à la formation[5]. La bulle annoncée est vertigineuse : 1000 milliards de dollars. L’homme endetté nouveau visage biopolitique du gouverné ?

[1] On aura peut-être reconnu, dans l’ordre de leur apparition, Giorgio Agamben (cfr en particulier : Homo Sacer I. Le pouvoir souverain et la vie nue, Paris, Seuil, 1997 ; Homo Sacer III. Ce qu’il reste d’Auschwitz. L’archive et le témoin, Paris, Payot-Rivages, 1999) ; la récente proposition de certains députés – récurrente depuis 2007 – d’introduire une enquête-diagnostic en petite section de maternelle afin de détecter de manière précoce les enfants asociaux et représentant potentiellement une menace pour le bon fonctionnement de la communauté ; enfin, les déclarations de Bill Clinton, le 26 juin 2000, à la suite de l’annonce de l’achèvement de l’ébauche de séquence du génome humain : Clinton avait alors parlé de « nouvelle frontière biopolitique ».

[2] Chez Foucault, le terme apparaît dès octobre 1974, dans le cadre d’une conférence faite au Brésil, à l’université d’Etat de Rio de Janeiro, publiée trois ans plus tard sous le titre : « La naissance de la médecine sociale ». Le texte est désormais repris in M. Foucault, Dits et Ecrits, Paris, Gallimard, vol. 3, texte n° 196. Foucault écrit alors : « Pour la société capitaliste, c’est le bio-politique qui importait avant tout, la biologie, le somatique, le corporel. Le corps est une réalité bio-politique ; la médecine est une stratégie bio-politique » (p. 210). Le terme deviendra central dans les analyses foucaldiennes de la fin des années 1970, en particulier dans les cours du Collège de France : voir à cet égard Naissance de la biopolitique. Cours au Collège de France 1978-1979, Paris, Gallimard, 2004.

[3] Le reproche a en particulier été fait à deux des plus importants et des plus féconds « lecteurs » de la pensée foucaldienne de la biopolitique : d’une part, Giorgio Agamben, dont l’usage du terme de « biopolitique » est retravaillé sans cesse par le thème, introduit à partir de références à W. Benjamin et à M. Heidegger, de la « vie nue » (Cfr. en particulier Homo Sacer I et Ce qui reste d’Auschwitz, op. cit.) ; de l’autre, Roberto Esposito, qui développe à partir du terme de « biopolitique » une analyse des paradigmes de contrôle des sociétés contemporaines fondée sur l’idée d’immunité – c’est-à-dire en reprenant la vieille idée moderne de la société comme corps, et en y greffant une biologisation du politique dont on ne sait jamais si elle vaut comme métaphore ou comme une description réelle (cfr. en particulier R. Esposito, Immunitas. Protezione e negazione della vita, Turin, Einaudi, 2002 ; Bios. Biopolitica e filosofia, Turin, Einaudi, 2004, et en français : Communauté, immunité, biopolitique, Paris, Les Prairies ordinaires, 2010). Chez Agamben comme chez Esposito, la différence entre Bios et Zoè est soigneusement rappelée – mais la superposition des termes semble paradoxalement revenir en permanence dans leur propre discours. Sur ce point, je me permets de renvoyer à mon : « Identity, Nature, Life. Three biopolitical deconstructions », in Theory, Culture, Society, special issue : Michel Foucault, 2009.

[4] Voir à cet égard le livre passionnant de M. Lazzarato, La fabrique de l’homme endetté. Essai sur la condition néolibérale, Paris, Amsterdam, 2011.

[5] C’est par exemple très clairement ce qu’indique un article du New York Times en 2011 : http://www.nytimes.com/2011/01/09/b.... L’idée semble désormais reprise par les analystes économiques eux-mêmes : voir par exemple un récente article des Echos (juin 2013) : http://www.lesechos.fr/economie-pol....

Fin de l’article

Texte 2 :

Bio politique et subordination réelle Source  : Actuelle Marx en ligne https://actuelmarx.parisnanterre.fr...

SUBORDINATION REELLE ET POUVOIR BIOPOLITIQUE. AUTOUR DE MARX ET FOUCAULT

Roberto NIGRO

1) Minda de Gunzburg -Center for European Studies -Harvard University 2) Dipartimento di Filosofia - Universitá di Bari - Italie

Actuel Marx en Ligne n°13 (20/11/2002)

Dans mon propos j’essaie de voir comment certaines analyses de Marx et de Foucault peuvent être ralliées l’une à l’autre, peuvent être reprises et ramenées sur des plans qui diffèrent de leurs origines et qui font surgir, de cette manière, de nouveaux objets de savoir. Les analyses de Marx et de Foucault esquissent une généalogie du capitalisme et aident à s’interroger sur notre actualité. Elles permettent qu’on s’interroge, pour utiliser une expression déjà employée par Foucault, sur l’ontologie de l’actualité. Je consacre ces pages à l’analyse de deux concepts : celui de subordination réelle et celui de pouvoir bio-politique qu’on retrouve, d’une part, chez Marx, et de l’autre, chez Foucault.

Dans les quelques propos qui suivent je voudrais esquisser quelques hypothèses de travail. Il ne s’agira pas d’évaluer la manière dont l’œuvre de Marx a été relue par Foucault, mais plutôt de voir comment certaines analyses de Marx et de Foucault peuvent être ralliées l’une à l’autre, peuvent être reprises et ramenées sur des plans qui diffèrent de leurs origines et qui font surgir, de cette manière, de nouveaux objets de savoir. Les analyses de Marx et de Foucault esquissent une généalogie du capitalisme et aident à s’interroger sur notre actualité. Elles permettent qu’on s’interroge, pour utiliser une expression déjà employée par Foucault, sur l’ontologie de l’actualité.

Je voudrais consacrer ces quelques pages à l’analyse de deux concepts : celui de subordination réelle et de pouvoir bio-politique. Le concept de subordination réelle traverse d’un bout à l’autre l’œuvre de Marx. Ici j’aimerais considérer quelques pages de l’œuvre de Marx, en particulier celles ayant pour titre Subordination formelle et réelle du travail au capital[1].

Ce que Marx décrit est la généalogie du capitalisme. Il appelle subordination formelle du travail au capital la forme générale de tout processus de production capitaliste. C’est le moment où le processus du travail devient l’instrument du processus de valorisation et d’auto-valorisation du capital – de la création de la plus-value. Le processus du travail – dit Marx - passe sous l’emprise du capital, et le capitaliste entre dans ce processus comme dirigeant. Marx écrit : « Lorsque le paysan autrefois indépendant et produisant pour lui-même devient un journalier qui travaille pour un fermier ; lorsque disparaît la structure hiérarchique du mode de production corporatif pour faire place au simple antagonisme entre le capitaliste et l’artisan devenu salarié ; lorsque l’ancien esclavagiste emploie comme salariés ses esclaves de jadis, etc., des processus de production d’un certain type social se changent en processus de production du capital »[2]. Force est de montrer qu’en outre, le capitaliste veille à ce que le travail ait le degré de qualité et d’intensité voulu. Il prolonge, dans la mesure du possible, le processus du travail afin d’en accroître la plus-value. « La continuité du travail augmente lorsqu’à la place des anciens producteurs, qui dépendaient de leurs clients individuels, les producteurs nouveaux, qui n’ont plus de marchandises à vendre, trouvent dans le capitaliste un maître payeur permanent ».[3] Cependant Marx souligne que ces changements n’ont pas en eux-mêmes modifié essentiellement le mode réel du processus du travail et de la production, car la subordination du processus du travail au capital s’opère sur une base antérieure à cette subordination et différente des anciens modes de production. En soi et pour soi, le caractère du processus et du mode réel du travail ne change pas parce que le travail se fait plus intensif, ou que sa durée augmente et qu’il devient plus continu et plus ordonné sous l’œil intéressé du capitaliste. Sur la base d’un mode de travail existant et d’un développement donné de forces productives, la plus-value ne peut être produite qu’en prolongeant la durée du travail sous la forme de la plus-value absolue. Marx insiste sur le fait que la subordination formelle du travail au capital s’applique à cette forme de production de la plus-value et à aucune autre.

Si l’on ouvre maintenant une première parenthèse, il me semble que ces analyses peuvent être mises en relation avec celles menées par Foucault, lorsqu’il s’interroge sur la généalogie de la société qu’il appelle disciplinaire. Les disciplines sont, pour Foucault, des procédures, mais mieux vaut dire des technologies pour assurer l’ordonnance des multiplicités humaines. Foucault souligne qu’il n’y a là rien d’exceptionnel, mais que le propre des disciplines est de tenter de définir à l’égard des multiplicités une tactique de pouvoir qui réponde à trois critères : rendre l’exercice du pouvoir le moins coûteux possible ; faire que les effets de ce pouvoir social soient portés à leur maximum d’intensité et étendus aussi loin que possible, sans échec, ni lacune ; lier cette croissance économique du pouvoir et le rendement des appareils à l’intérieur desquels il s’exerce ; bref faire croître à la fois la docilité et l’utilité de tous les éléments du système.[4] Il faut souligner, comme le fait Foucault, que ce triple objectif des disciplines répond à une conjoncture historique bien connue, à savoir la grosse poussée démographique du XVIIIe siècle : augmentation de la population flottante (un des premiers objets de la discipline, c’est de fixer ; elle est un procédé d’anti-nomadisme) ; changements d’échelle quantitative des groupes qu’il s’agit de contrôler ou de manipuler ; croissance de l’appareil de production, de plus en plus étendu et complexe, de plus en plus coûteux et dont il s’agit de faire croître la rentabilité . Ainsi, les disciplines sont à prendre comme des techniques qui permettent d’ajuster la multiplicité des hommes et la multiplication des appareils de production. Par production Foucault n’entend pas seulement ‘la production’ proprement dite, mais la production des savoirs et des aptitudes à l’école, la production de santé dans les hôpitaux, la production de force destructrice avec l’armée.

Si Marx décrit le décollage économique de l’Occident en se référant aux procédés qui ont permis l’accumulation du capital, Foucault insiste sur les méthodes de gestion de l’accumulation des hommes, qui ont permis un décollage politique par rapport à des formes de pouvoir traditionnelles. Les deux recherches trouvent ici des points communs de développement. L’accumulation des hommes ne peut pas être séparée de l’accumulation du capital. Il n’aurait pas été possible de résoudre le problème de l’accumulation des hommes sans le développement d’un appareil de production capable à la fois de les entretenir et de les utiliser ; inversement, les techniques qui rendent utile la multiplicité cumulative des hommes accélèrent le mouvement d’accumulation du capital. A un niveau moins général, les mutations technologiques de l’appareil de production, la division du travail, et l’élaboration des procédés disciplinaires ont entretenu un ensemble de rapports très serrés. Chacune a rendu l’autre possible et nécessaire ; chacune a servi de modèle à l’autre.

2. Jusqu’ici le texte de Marx a illustré le développement d’un rapport économique de hiérarchie et de subordination, la force de travail étant consommée, surveillée et dirigée par le capitaliste. En outre, on voit se développer une continuité, une intensité, et une plus grande économie dans l’utilisation des conditions de travail. Dans la subordination formelle du travail au capital, il y a contrainte au surtravail : formation de besoins et de moyens pour les satisfaire, production massive au-delà des besoins traditionnels du travailleurs et création de temps libre pour l’épanouissement humain. Marx insiste sur la croissance de la continuité et de l’intensité de travail, sur le développement de la différenciation des aptitudes au travail. Cette contrainte au surtravail change la relation du maître des conditions de travail au travailleur en une pure relation de vente et d’achat, en un rapport d’argent. Elle purifie le système d’exploitation de tous ses éléments patriarcaux et politiques, voire religieux.

Je voudrais considérer maintenant le deuxième point de ces analyses marxiennes, qui nous introduisent, à mon sens, dans une situation beaucoup plus proche de la situation actuelle. Pour Marx, la subordination formelle représente la sujétion directe du processus du travail au capital, quelles que soient les méthodes technologiques employées. Toutefois, sur cette base s’élève un mode de production technologique bien spécifique, qui transforme la nature et les conditions réelles du processus du travail. C’est le mode de production capitaliste : lorsqu’il apparaît se produit la subordination réelle du travail au capital. Marx écrit : « La subordination réelle du travail au capital s’opère dans toutes les formes qui développent la plus-value relative par opposition à la plus-value absolue. Avec elle, une révolution totale (et sans cesse renouvelée) s’accomplit dans le mode de production lui-même, dans la productivité du travail et dans les rapports entre le capitaliste et le travailleur »[5]. Les forces productives du travail social se développent sur une grande échelle, en même temps que la science et la technique sont appliquées à la production immédiate. Le mode de production capitaliste crée un nouveau type de production matérielle ; de surcroît – dit Marx – cette transformation matérielle constitue la base du développement du système capitaliste, dont la forme adéquate correspond par conséquent à un niveau déterminé de l’accroissement des forces productives du travail. Il faut souligner qu’en augmentant de valeur pour atteindre des dimensions sociales, le capital doit se dépouiller de tout caractère individuel. « C’est le rendement du travail – la masse de la production, la masse de la population et de la surpopulation – qui développe ce mode de production et fait constamment surgir, grâce au capital et à la main-d’œuvre devenus disponibles, des branches d’activités nouvelles où le capital peut s’employer derechef sur une petite échelle. Ces nouvelles activités parcourent à leur tour divers stades de développement, jusqu’à s’intégrer elles aussi dans une production à l’échelle sociale. Ce processus est continu. Simultanément, la production capitaliste tend à s’emparer de tous les secteurs industriels qu’elle n’a pas encore conquis et où règne encore la subordination formelle

Dans un passage des Grundrissen, concernant le machinisme, qui précèdent donc les textes qu’on vient de considérer, Marx écrit : « Mais à mesure que la grande industrie se développe, la création de la richesse vraie dépend moins du temps et de la quantité de travail employés que de l’action de facteurs mis en mouvement au cours du travail, dont la puissante efficacité est sans commune mesure avec le temps de travail immédiat que coûte la production ; elle dépend plutôt de l’état général de la science et du progrès technologique, application de cette science à la production »[6]. C’est pourquoi quelques lignes après, Marx peut écrire : « Le vol du temps de travail d’autrui, base actuelle de la richesse, paraît une assise misérable comparée à celle que crée et développe la grande industrie elle-même »[7].

Cette phase de subordination réelle du travail au capital (phase pouvant également aboutir à une négation du système de l’économie bourgeoise, selon l’économie du discours marxien) met en place de nouvelles technologies de pouvoir qui nous concernent. C’est pourquoi je voudrais revenir sur certaines analyses esquissées par Foucault, qui ont été laissées par l’auteur à un état de réflexion initiale.

D’après Foucault, pendant la seconde moitié du XVIIIe siècle apparaît une autre technologie de pouvoir, qui n’est pas disciplinaire, qui n’exclut pas la technique disciplinaire, mais qui l’emboîte, l’intègre, la modifie partiellement et qui surtout va l’utiliser en s’implantant en quelque sorte en elle et s’incrustant grâce à cette technique disciplinaire préalable[8]. « Cette nouvelle technique ne supprime pas la technique disciplinaire tout simplement parce qu’elle est d’un autre niveau, elle est à une autre échelle, elle a une autre surface portante, et elle s’aide de tout autres instruments »[9]. Ce à quoi s’applique cette nouvelle technique de pouvoir non disciplinaire, à la différence de la discipline, qui s’adresse au corps, c’est la vie des hommes, l’homme vivant, l’homme être vivant. « Donc, après une première prise de pouvoir sur le corps qui s’est faite sur le mode de l’individualisation, on a une seconde prise de pouvoir qui, elle, n’est pas individualisante mais qui est massifiante, si vous voulez, qui se fait en direction non pas de l’homme-corps, mais de l’homme-espèce »[10]. Ce qui se met en place, dans la phase de subordination réelle du travail au capital, est une nouvelle technologie de pouvoir, qui n’a pas a affaire à l’individu-corps ou à la société, mais à un corps multiple, à une notion qu’on peut appeler ‘population’. La bio-politique a affaire à la population, à des phénomènes collectifs, qui n’apparaissent avec leurs effets économiques et politiques qu’au niveau de la masse. « Ce à quoi va s’adresser la biopolitique, ce sont, en somme, les événements aléatoires qui se produisent dans une population prise dans sa durée »[11]. Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, se met en place le contrôle des processus de natalité, de mortalité, de longévité. Il va falloir modifier, baisser la morbidité, allonger la vie, stimuler la natalité, établir des mécanismes régulateurs dans cette population globale, pour fixer un équilibre, maintenir une moyenne, assurer des compensations, installer des mécanismes de sécurité, optimiser un état de vie.

Ce qui me semble important dans ces analyses, c’est le fait que ces mécanismes de pouvoir sont destinés, comme les mécanismes disciplinaires, à maximiser des forces et à les extraire, même s’ils passent par des chemins entièrement différents, car il ne s’agit pas de se brancher sur un corps individuel, comme le fait la discipline, mais d’agir de telle manière qu’on obtienne des états globaux d’équilibration, de régularité. Il faut assurer une sorte de régularisation. On a donc, depuis la fin du XVIIIe siècle, deux technologies de pouvoir qui sont mises en place avec un certain décalage chronologique, et qui sont superposées. Une technique disciplinaire, centrée sur le corps comme foyer de forces qu’il faut à la fois rendre utiles et dociles. Et, d’un autre côté, on a une technologie qui est centrée non pas sur le corps, mais sur la vie. Ces deux mécanismes ne sont pas du même niveau ; ce qui leur permet de ne pas s’exclure et de pouvoir s’articuler l’un sur l’autre. On peut résumer la thèse de Foucault en disant ceci : la société de normalisation est une société où se croisent, selon une articulation orthogonale, la norme de la discipline et la norme de la régulation. Dire que le pouvoir, au XIXe siècle, a pris possession de la vie, dire du moins que le pouvoir, au XIXe siècle, a pris la vie en charge, c’est dire qu’il est arrivé à couvrir toute la surface qui s’étend de l’organique au biologique, du corps à la population, par le double jeu des technologies de disciplines d’une part et des technologies de régulations de l’autre.

Depuis le XVIIe siècle, le pouvoir sur la vie s’est développé sous deux formes principales : d’une part, un faisceau de technologies a été centré sur le corps comme machine, ayant pour but de le dresser, d’extraire ses forces, de faire croître sa docilité, son intégration à des systèmes de contrôle efficaces et économiques (ce qui répond bien à ce que Marx décrit comme subordination formelle du travail au capital). D’autre part, la mise en place de mécanismes de contrôles régulateurs de la population (contrôle des naissance, de la mortalité, de la santé, etc) a représenté la deuxième forme de développement de technologies de pouvoir. C’est la mise en place à l’âge classique de cette grande technologie à double face – anatomique et biologique, individualisante et spécifiante, qui a ouvert l’ère du bio-pouvoir, le moment où le biologique se réfléchit dans le politique.

L’extension de la subordination réelle s’enchevêtre avec l’exigence d’un contrôle massif des forces sociales, des flux de populations. Des nouvelles technologies de pouvoir sont requises, afin de contrôler et encadrer les identités des peuples et des individus migrant. L’histoire du vingtième siècle témoigne de ce combat entre la vie et la mort pour le contrôle politique de la vie des peuples. Ce processus n’est pas clos derrière nous ; il représente l’enjeu majeure des politiques actuelles.

[1] K. Marx, Subordination formelle et réelle du travail au capital, dans Œuvres Economie, vol. 2, Gallimard, Paris 1968.

[2] Ibidem p. 365-366.

[3] . Ibidem.

[4] M. Foucault, Surveiller et Punir, Gallimard, Paris, 1975, pp. 219-220.

[5] K. Marx, Subordination formelle et ré la réduire la elle du travail au capital, op. cit. p. 379.

[6] K. Marx, Grundrisse, dans Œuvres Economie, vol. 2, op. cit., p. 305.

[7] Ibidem., p. 306.

[8] Cf. M. Foucault, Il faut défendre la société, Gallimard/Seuil, Paris, 1987, p. 215-216.

[9] Ibidem.

[10] Ibidem.

[11] Ibidem, p. 219.

Fin de l’article

Autres ressources

On peut se reporter aussi à :

Bio politique et bio pouvoir http://www.implications-philosophiq... (Source : implicationsphilosophiques.org)

Le biopouvoir chez Foucault et Agamben https://journals.openedition.org/me... (Source : journal Open édition)

Du bio pouvoir à la bio politique https://www.multitudes.net/Du-biopo...

(Source : Multitudes)

Le biopouvoir à l’épreuve de ses formes sensibles. https://www.cairn.info/revue-chimer...

(Source : cairn info ensibles. Revue Chimères. 74)

Quelques réflexions autour de la domination formelle et de la domination réelle http://tempscritiques.free.fr/spip.... (Source : tant critique)

Les formes contemporaines de la bio politique https://www.cairn.info/revue-intern... (Source : Cairn info. Revue internationale de politiques comparées)

La bio politique et le dressage des populations https://journals.openedition.org/co... (Source : journal Open éditions)

Les usages du bioopolitiques https://journals.openedition.org/lh... (Source : Open éditions)

Conférence sur les bio pouvoirs et la bio politique https://www.youtube.com/watch?v=dzb...

Hervé Debonrivage


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