La France déchirée bientôt en lambeaux

lundi 22 novembre 2021.
 

Une situation sociale et politique implosive.

La France déchirée bientôt en lambeaux.

La France d’en haut s’envole dans les nuages, la France d’en bas s’enfonce dans les marécages. Une France aux tissus déchirés bientôt en haillons ?

Pour éviter d’abord tout contresens, il ne s’agit pas ici d’une France dite « coupée en deux », où une partie de la population s’opposerait à l’autre. Non, il s’agit d’une fracture entre une très large majorité de la population et ses « élites », mot dont nous préciserons ici la signification. Nous avons déjà abordé cette thématique sur la longue durée dans un article intitulé : « Crise de la représentation politique : analyse globale de ses causes ». http://www.gauchemip.org/spip.php?a...

Nous ne reprendrons donc pas ici cette analyse causale mais nous indiquerons les décisions politiques majeures prises par les trois derniers gouvernements qui ont déchiré le tissu politique et le pacte républicain en France.

1) Le traité constitutionnel européen de 2005

Le premier coup de ciseaux date du référendum sur le traité constitutionnel européen de 2005. Après une arrogante campagne médiatique pour le oui menée tambour battant par les agents de l’action idéologique médiatique au service des grandes puissances économiques et financières, politiquement relayée par le PS et la droite, c’est finalement le NON qui l’emporte assez largement.

Premier divorce donc entre les représentants politiques majoritaires, les journalistes à leur service et la majorité du corps électoral. Intervient ensuite une deuxième coupure par le la ratification le 7 février 2008 du traité de Lisbonne (copie quasi conforme du traité de 2005 qui avait été rejeté par la majorité des Français) par les deux assemblées parlementaires réunies en congrès. Divorce cette fois entre la représentation politique majoritaire et le peuple. Voici pour la première phase de la déchirure.

2) La loi Travail de François Hollande

La deuxième phase intervient sous la présidence de François Hollande. En contradiction totale avec ses promesses électorales, le gouvernement Hollande conduit une politique d’austérité désavouant sa base électorale. Se déclarant « ennemi de la Finance » pendant sa campagne électorale, il s’installe, une fois élue, comme un ami intime de la Finance.

Tous les reniements du gouvernement Hollande ont fait l’objet d’un livre collectif publié par Mediapart : « Qu’ont-ils fait de nos espoirs ? » Mais la coupure avec le monde ouvrier et plus généralement salarié s’affirme avec violence lors de la discussion et l’adoption de la « loi travail ». Le nombre de grèves et de manifestations contre la loi travail est considérable et dure plusieurs mois. Certains Gilets jaunes, injustement critique envers les syndicats, semblent avoir oublié cet épisode dont on peut retrouver les détails dans l’article de Wikipédia accessible ici : https://fr.wikipedia.org/wiki/Gr%C3...

Minimisée par les grands médias, la répression policière (et judiciaire) n’en est pas moins très violente durant tout le printemps et l’automne 2016. Les ministres de l’intérieur Manuel Valls, Bernard Cazeneuve, Bruno Le Roux se succéderont pour maintenir cette répression à un haut niveau d’intensité.

À la violence policière succède une violence institutionnelle par l’utilisation de l’article 49.3 de la constitution pour faire passer la loi en force.

Ainsi, à tous les reniements s’ajoute une répression antisyndicale (notamment contre la CGT) relayée par des médias haineux. C’est la plus longue campagne de dénigrement médiatique anti CGT de la Ve République.

Pour mémoire, on peut se reporter par exemple à l’article : « Explosion des violences policières sous la présidence Hollande » : https://bourgoinblog.wordpress.com/...

En mai 2016, une demande de commission d’enquête parlementaire sur les violences policières avait été demandée par Amnesty international, la ligue des droits de l’homme et sept organisations syndicales : Deux organismes de l’ONU avaient interpellé déjà le gouvernement français sur le caractère démesuré de l’usage de la force par la police. Voir paragraphe 4 de notre article de l’époque : « Quinquennat Hollande : forces de l’ordre et mouvements sociaux. » http://www.gauchemip.org/spip.php?a...

Le député PCF du Nord Jean-Jacques Candelier avait déposé une demande de commission d’enquête parlementaire sur la manière dont les forces de l’ordre avaient été utilisées lors des manifestations. On peut retrouver le texte de cette proposition dans l’article : « Ne soyons pas amnésiques concernant la politique violemment répressive et antisyndicale du pouvoir Hollande ». http://www.gauchemip.org/spip.php?a... Cette demande de commission a été bloquée par le groupe socialiste à l’Assemblée nationale.

À cette violence policière s’ajoute une violence institutionnelle pour faire passer en force la loi travail par l’usage de l’article 49.3 de la constitution.

À cette violence institutionnelle s’ajoute une violence budgétaire : un cadeau de 40 milliards via le CIC E concocté par Macron alors ministre du budget. (l’Homme nouveau de 2017… !)

Cette politique antisociale menée par le gouvernement Hollande provoquera l’implosion de la gauche en France : être de gauche, dorénavant ne veut plus rien dire, du moins dans son sens institutionnel.

3) La grève des cheminots (2018)

Nous arrivons ensuite à la troisième phase après l’élection d’Emmanuel Macron. Celui-ci poursuit la politique de François Hollande et il est vertigineux de penser qu’un nombre relativement important d’électeurs aient pu croire que celui-ci puisse avoir des idées nouvelles. En continuité avec l’utilisation de l’article 49. 3, Macron va utiliser abondamment la procédure des ordonnances.

La déchirure se poursuit avec la grève des cheminots, la plus longue depuis 20 ans, avec 45 jours de grève.

Pour le détail : voir par exemple Le Monde : https://www.lemonde.fr/les-decodeur... Ces événements sont l’aboutissement d’une perte totale de crédibilité des partis politiques et, dans une certaine mesure des médias pour une large part de la population.

3 bis) A cette coupure globale entre le monde salarié et les politiciens qui se poursuit et s’amplifie encore après l’élection de Macron s’ajoute une déchirure plus spécifique. C’est la coupure entre la société civile représentée par les associations culturelles, écologistes, de défense des droits et libertés, du droit au logement, etc. dont les recommandations et revendications ne sont pas prises en compte par le pouvoir exécutif et législatif.

En outre, les syndicats de magistrats et d’avocats n’ont pas été écoutés par les parlementaires lors des projets de loi sur la loi renseignement, sur l’état d’urgence, sur le droit de manifestation, sur les fake news dont ils ont souligné le caractère liberticide. Ainsi, les avis d’expert de terrain sont ignorés par la représentation parlementaire animée par la démagogie sécuritaire.

4) Des perquisitions politiques contre France Insoumise au soulèvement des Gilets jaunes

La quatrième phase est une instrumentalisation d’un niveau sans précédent de la police et de la justice contre un mouvement politique d’opposition et contre un mouvement social important.

Le 16 octobre 2018 a lieu la perquisition des différentes personnalités de la France insoumise et des sièges du Parti de Gauche et de LFI.

Puis, à partir du 17 novembre 2018 surgit le soulèvement des Gilets jaunes dont la répression policière occasionne un nombre de mutilations et de blessés sans précédent chez les manifestants.

Cela s’accompagne d’une forte répression judiciaire.

C’est la continuité de la politique répressive de Hollande avec une augmentation atteignant un seuil maximal.

Une fois de plus, l’ONU dénonce le caractère démesuré de l’usage de la force. Cette même dénonciation émane d’Amnesty international, conseil de l’Europe.

Une fois encore, les grands médias font tout, du moins dans un premier temps, pour minimiser cette répression préférant surexposer les violences marginales de quelques casseurs et manifestants. On assiste ainsi conjointement avec l’instrumentalisation de la police et de la justice à une instrumentalisation maximale des médias pour affaiblir et discréditer autant LFI que les Gilets jaunes.

4 bis) Alors qu’à la suite des attentats, les Français s’étaient rapprochés de leur police en raison de son action protectrice, c’est le phénomène inverse qui apparaît maintenant en raison de l’usage démesuré de la force contre les manifestants.

La défiance qui existait déjà par rapport au système judiciaire s’est dorénavant considérablement aggravée.

C’est donc une nouvelle déchirure qui apparaît maintenant entre les citoyens et les appareils régaliens chargés en principe de les protéger

5) Un libéralisme sans démocratie

La déchire se poursuit encore : à la défiance envers les élus succède le constat de l’absence de toute possibilité de débat réellement contradictoire au sein du Parlement. Tout amendement proposé par l’opposition est systématiquement rejeté. Le Parlement en est donc réduit à une chambre d’enregistrement des propositions de loi émanant du gouvernement et donc de l’exécutif.

À la séparation des pouvoirs exécutifs, législatif et judiciaire apparaît donc maintenant une sorte de fusion des pouvoirs

Pire encore, le soi-disant quatrième pouvoir des médias fusionne à son tour avec les trois pouvoirs précédents.

On assiste donc à la mort de ce que l’on a coutume d’appeler démocratie libérale.

Par ailleurs, l’affaire Benalla, la privatisation des aéroports de Paris renvoient une image trouble de la nature de l’exécutif. On assiste donc à une déconnexion des élites gouvernementales et médiatiques comme repliées dans une forteresse isolée du reste de la société.

Répétons-le, la déchirure devient quasi-totale lorsque le pouvoir instrumentalise à outrance les médias, l’appareil policier et l’appareil judiciaire (contre la principale force d’opposition LFI, les Gilets jaunes et les syndicalistes) qui deviennent alors des appareils répressifs au service d’un pouvoir servant les intérêts d’une oligarchie ultra minoritaire. La définition marxiste–léniniste du pouvoir de l’État comme « exercice de la violence d’une classe sur une autre », qui avait perdu une partie de sa validité avec « l’État-providence » « l’État social » reprend avec le macronisme toute son actualité.

Par son extrémisme tous azimuts Macron est en train de faire imploser la notion de libéralisme comme Hollande a fait imploser la notion de gauche. La démocratie dite libérale a perdu de son sens et pour de nombreux Français le président de la république ne représente plus la souveraineté populaire chère à Jean-Jacques Rousseau et n’est plus le garant de la défense du bien commun. Il incarne plutôt la souveraineté des actionnaires et la défense d’intérêts privés.

Dans un tel contexte de déchirure et de fragmentation, le corps politique doit se redéfinir lui-même par de nouvelles institutions en convoquant une assemblée constituante.

6) Le coup de grâce de la loi retraites à la république

Annexe

« La démocratie est fragile et la violence sociale est toujours plus proche que l’on ne pense » Entretien avec Pierre Rosanvallon, titulaire de la chaire d’histoire du politique au collège de France https://www.telerama.fr/idees/pierr... Source : Télérama. 10 janvier 2014

Cet entretien qui date de janvier 2014 décrit la France comme une société déchirée avec une certaine clairvoyance. Il décide avec les éditions du seuil de créer une collection et un site pour faire parler et écrire les « invisibles ». Adresse du site « Raconter la vie » : http://raconterletravail.fr/

Dans cet entretien, l’historien a bien prévu les résultats électoraux avec la montée du FN et aussi, dans une certaine mesure, le mouvement des Gilets jaunes qui ne rejettent pas la démocratie au sens propre mais la démocratie telle qu’elle est devenue avec le pouvoir économique des néolibéraux.

Dans le même esprit, depuis 2002, existe sur France Culture une émission–documentaire, donnant la parole aux « invisibles » et aussi à toutes les catégories sociales.

C’est l’émission « Les pieds sur terre », de 13h30 14 heures, du lundi au vendredi. Responsables de l’émission : Sonia Kronlund Site de l’émission où l’on peut réécouter celles déjà diffusées. https://www.franceculture.fr/emissi...

Exemples d’ émissions récentes :

Profession, chauffeur routier : https://www.franceculture.fr/emissi...

Assemblée des gilets jaunes : quelles suites pour le mouvement ? https://www.franceculture.fr/emissi...

Journal d’une prostituée de campagne https://www.franceculture.fr/emissi...

Police : tu l’aimes ou tu la quittes https://www.franceculture.fr/emissi...

Cette émission permet de connaître la réalité sociale profonde de la France dans toute sa diversité. Une émission qui a donc le mérite d’éclairer le réel et non pas de l’obscurcir.

Hervé Debonrivage


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