Pierre Clément «  La massification du bac s’est faite de manière très inégalitaire  »

lundi 3 septembre 2018.
 

Chercheur à l’université de Rouen, Pierre Clément assure que les clivages sociaux existants vont s’aggraver avec Parcoursup et les réformes à venir.

L’objectif de porter 80 % d’une classe d’âge au bac est quasiment atteint. Comment y est-on parvenu  ?

Pierre Clément La massification s’est produite parallèlement à une différenciation du bac. Car «  le  » bac n’existe pas, il y a trois types de bac  : général, technologique, professionnel. Ils ont le même nom, mais sont scolairement et socialement différents. Or, quand on regarde les taux d’accès au bac, la démocratisation dont on parle s’est faite grâce à l’extension des bacs professionnel et technologique. Sur une classe d’âge, 40 % obtiennent un bac général et environ 40 % un bac professionnel (un peu moins de 20 %) ou technologique (un peu plus de 15 %). Et cette différenciation vaut aussi pour le bac général, car tout le monde n’accède pas à la filière S. Il faut donc parler d’une massification par la diversification.

Ce phénomène connaît-il un coup d’arrêt  ?

Pierre Clément Non, si la démocratisation c’est le fait qu’une plus grande partie de la population accède au diplôme. De 1985 à 1995, le taux d’accès progresse jusqu’à atteindre 65 % en 1995. Là, il y a un coup d’arrêt jusqu’à la fin des années 2000. Et à partir de cette période, la réforme du bac professionnel relance le processus. Maintenant, si on se place du point de vue des compétences acquises, c’est plus difficile à évaluer. Les élèves les plus performants le sont toujours, mais on peut dire que les compétences sont plutôt à la baisse pour les élèves en difficulté. Enfin, si on regarde qui accède à quel diplôme, on voit que la massification s’est faite de manière très inégalitaire. La filière professionnelle demeure beaucoup plus défavorisée socialement que la filière technologique, qui elle-même l’est plus que la filière générale – et entre les filières générales, il y a aussi des différences sociales marquées. De ce point de vue, la démocratisation est à l’arrêt  : les inégalités sociales n’ont pas reculé.

Quelles vont être les conséquences de Parcoursup et de la réforme du bac  ?

Pierre Clément La réforme du bac va rendre l’orientation plus précoce et plus complexe. Or, plus la complexité des choix d’orientation est grande, plus sont avantagées les familles qui possèdent déjà des compétences sociales et scolaires. On sait aussi que plus l’orientation se fait tôt, plus elle est socialement marquée. La logique de «  tuyaux  » de Parcoursup va aggraver cela en déterminant dès la seconde, dans la pratique, la possibilité d’accéder au supérieur. Aujourd’hui, le bac, quel qu’il soit, permet à tout le monde de tenter sa chance dans le supérieur – même avec un fort risque d’échouer, mais une année d’échec n’est pas forcément une année perdue  ! Avec Parcoursup, ce ne sera plus possible. Notre système scolaire était déjà extrêmement inégalitaire  : là, on supprime les quelques ouvertures possibles.

Est-on en train de renoncer à la démocratisation de l’éducation  ?

Pierre Clément Dans une sorte de «  lettre de mission  » à Frédérique Vidal, la ministre de l’Enseignement supérieur, Édouard Philippe a clairement écrit qu’il allait falloir segmenter, hiérarchiser encore plus les universités et les filières, avec d’un côté quelques filières d’excellence et, de l’autre, la création de licences professionnelles. Donc, on ne renonce pas à augmenter le niveau général de qualification, mais on assigne à certains jeunes un certain type de filière, avec une orientation au mérite scolaire qui, dans les faits, n’est qu’une traduction scolaire des inégalités sociales.

Pierre Clément, Maître de conférences en sciences de l’éducation

Entretien réalisé par Olivier Chartrain, L’Humanité


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