Brexit, Trump, Salvini... Dans quelle crise sommes-nous ?

jeudi 5 juillet 2018.
 

En ce dixième anniversaire de l’effondrement de la banque Lehman qui a sonné la fin du capitalisme financier « classique », l’année qui vient de s’écouler marque un tournant vers le nouveau monde (voir articles précédents de la série : n° 1, 2, 3, 4, 5 ,6, 7, 8, 9). L’affrontement dialectique entre les capitalistes de l’ancien monde et les bâtisseurs d’un nouveau dispositif d’exploitation fait rage.

Le point chaud de cette confrontation s’est déroulé tout au long de l’année dans l’espace anglo-saxon. Si le Brexit est sur le point d’être définitivement négocié, c’est aux Etats-Unis, pour un temps encore première puissance mondiale, que l’opposition entre les deux factions du capital s’est révélée la plus violente. Mais, depuis le mois dernier, l’Italie est entrée dans la danse : dans la troisième puissance économique de l’Union européenne, se joue une opposition ultra violente entre la « bourgeoisie nationale » lombarde d’une part, et d’autre part, la finance de Bruxelles ou plutôt du Luxembourg.

En un mot (ou en trois) le « grand radiateur monétaire » vit peut-être ses ultimes moments. Pour rappel, le concept du « grand radiateur monétaire » : injection de liquidités monétaires massives par le haut pour soutenir un système financier « zombie », compensé par une contraction monétaire équivalente par le bas provoquée par une récession imposée (voir sur ce sujet l’article n° 7 et le n° 9) et mise en place il y a sept ans. « Un se transforme en deux »

Après le Brexit au Royaume-Uni l’an dernier, la célèbre « pensée de Mao », pour expliquer très simplement la dynamique de la dialectique, s’applique parfaitement à l’actualité politico-économique aux USA et, depuis mai dernier, en Italie. En un mot le Capital ne se fissure pas, il se divise carrément en deux blocs antagonistes.

Dans l’Amérique de Trump, les protagonistes agissent à visage découvert. D’un côté, le capitalisme national avec comme secteurs dominants l’industrie manufacturière non délocalisée, l’immobilier, l’extraction pétrolière texane et l’économie mafieuse, et de l’autre la finance aux dents longues de Wall Street. Les deux camps s’affrontent jour après jour, alternant batailles intenses et trêves de courte durée. Sur le plan médiatique, cette lutte d’influence se déroule sous la « forme spectaculaire » (suivant le concept créé par Debord) d’une hypothétique intervention russe lors de la dernière élection présidentielle. Ce jeu de masque n’est pas sans rappeler, en miroir, les affrontements au sein des partis communistes dans les années 1960 et 1970, où l’on brandissait la lutte contre l’impérialisme américain pour mieux combattre, en fait, la faction concurrente. Nous assistons à une pièce du théâtre de l’absurde, digne de Samuel Beckett où les Russes sont accusés d’avoir fait élire Trump, alors même que c’est le chef du FBI qui a influencé le résultat en rouvrant l’enquête sur les e-mails non sécurisés de Clinton à 9 jours du scrutin. On reproche aux Russes d’avoir utilisé les réseaux sociaux… Pourtant, l’entreprise Cambridge Analytica, qui a aspiré les données de 86 millions de comptes Facebook d’Américains, n’est pas une officine d’espionnage russe mais une entreprise capitaliste anglo-saxonne des plus classiques. La lutte contre l’ennemi extérieur sert de paravent à un affrontement sans merci entre deux camps du Capital.

Mais Trump a néanmoins marqué un point et se consolide : en rompant avec la récession, indispensable à ce que nous appelons le « grand radiateur monétaire », le président américain soude le camp capitaliste national autour du protectionnisme économique. Sans la rétractation de la masse monétaire induite par la récession imposée comme en Europe, les injections monstrueuses de liquidités seraient forcement génératrices d’inflation, voire d’hyper inflation. A terme, le grand radiateur monétaire est menacé de fermeture. Bref, Trump casse l’ambiance !

La reprise économique américaine et son effet d’entrainement pour l’Europe et l’Asie peuvent sonner le glas de la solution monétaire récessionniste. Mise en place vers 2010, elle a sauvé le système bancaire, endetté les états et appauvri les classes populaires ainsi que la petite et moyenne bourgeoisie. Pour reprendre la formule de Mao « un se transforme en deux », le problème est que ce sauvetage a fait diverger les intérêts des classes bourgeoises entre éléments dont les intérêts sont liés à la nation et l’hyper bourgeoisie financière qui œuvre à détruire l’espace national pour survivre en tant qu’élément dirigeant du capitalisme financier mondialisé.

Mais, une question se pose pour la finance internationale : comment continuer sans le grand radiateur monétaire et son transfert régulier de richesse à son profit ? Car nous nous retrouvons exactement dans la même impasse qu’en 2009, après l’échec de la tentative keynésienne de reprise. L’augmentation des taux d’escompte ne peut être la solution car elle entraînerait ipso facto une crise obligataire ravageuse. Face à cette impasse, risquons une hypothèse téméraire : la privatisation de la monnaie. Le bitcoin, la monnaie privée, remettrait peut-être les compteurs à zéro

Devant un « grand radiateur monétaire » qui risque de faire défaut, la solution ultime viendra peut-être… d’un changement monétaire tout simplement !

Dans notre série d’articles « Dans quelle crise sommes-nous ? », nous insistions déjà en 2014 sur l’aspect non négligeable de l’apparition des cryptomonnaies (voir n° 6). Il est possible que le passage des monnaies étatiques à ce type de support monétaire privé soit l’ultime option pour le système financier occidental, une sorte de joker de dernière extrémité. Les susdits articles ont souvent fait référence à la fermeture d’un « pli historique » ouvert au XVIe siècle, moment de création du système bancaire dans la vallée lombarde, puis sur la « route des foires ». À cette époque également, avait commencé l’inondation de liquidités dans le système monétaires avec l’or et surtout l’argent venus du Nouveau Monde. Il s’agissait, sans que les contemporains en aient la moindre conscience, d’une sorte de « quantative easing » de la Renaissance. A l’époque, cette injection de liquiditéspréparait en fait, après la guerre de Trente ans, l’introduction progressive de la monnaie papier, comme les assignats en France au début du XVIIIe siècle. Ce changement- cette conversion monétaire- a accompagné la naissance du capitalisme moderne en Angleterre et aux Pays-Bas.

Avec l’accélération exponentielle du tempo due à notre époque, n’assistons-nous pas à un phénomène comparable ? Clairement, que se passerait-il si une nouvelle crise financière de la même ampleur que celle dite des subprimes/Lehmann advenait. Submergés de dettes pour combler les pertes des banques de la décennie précédente, les états seraient dans l’incapacité de renouveler l’opération de renflouement de 2007-2008. Seule une dévalorisation massive des actifs pourrait sauver la mise de la finance mondialisée. Or quoi de mieux qu’une conversion monétaire pour y arriver ? La seule manière de rendre « admissible » cette perte de richesse, en particulier pour la petite bourgeoisie et les classes moyennes supérieures, ne serait-elle pas de changer tout simplement d’équivalent universel, c’est-à-dire de monnaie ?

En détail, l’hypothèse d’une révolution monétaire algorithmique aurait au moins trois avantages : tout d’abord intégrer au marché financier mondial les pays dotés de monnaies faibles, voire non convertibles, comme en Afrique par exemple ; ensuite elle renforcerait le contrôle universel des individus car, contrairement à une légende fort répandue, les blockchains qui sous-tendent les cryptomonnaies, sont des registres exhaustifs des transactions (demain, on pourra savoir où et à quelle heure vous avez acheté votre baguette) ; enfin l’ère du bitcoin serait une privatisation de la monnaie, ce qui enlèverait définitivement toute marge de manœuvre aux états ou aux unions monétaires et rendrait impossible une éventuelle politique favorable aux couches populaires.

Mais surtout, les quarante gros possesseurs de bitcoin, en particulier son mystérieux fondateur Satoshi Nakamoto, feraient la pluie ou le beau temps monétaire…de là à supputer que les banques soient derrière les 40 « baleines » (ce cétacé désignant les très gros détenteurs de bitcoin), il n’y a qu’un pas que nous franchissons pour notre part comme hypothèse de travail.

Bien sûr, le passage des monnaies étatiques vers les cryptomonnaies privées prendra des années, mais l’important est ailleurs : si la masse monétaire spéculative est principalement en bitcoin ou autres petites sœurs comme l’ethereum, le renflouement du système financier sera possible et la dévalorisation des actifs, en particulier des dettes bancaires, pourra se réaliser. Aujourd’hui, une première étape a été franchie : avec la flambée spéculative de décembre dernier où le bitcoin est monté à presque 20 000 dollars, la première étape du dispositif « spectaculaire » de mise en place est achevée. La multitude des habitants de notre planète, les individus étant aussi des « agents économiques » à travers le monde, savent qu’une autre monnaie est aujourd’hui possible : une réserve-étalon monétaire pilotée par un algorithme.

La crise provoque l’implosion des sphères politique, judiciaire et idéologique

Revenons au présent. L’opposition brutale entre les deux factions du Capital a provoqué l’implosion des sphères idéologiques de certains pays occidentaux, en particulier en France. Le secteur bancaire y a imposé une sorte de gestion directe, en un mot un « Directoire bancaire », sans intermédiaire, avec Macron à la présidence de la République. Ainsi, « La République en marche » n’est pas un nouveau parti politique remplaçant les anciens, mais un vide sidéral sans corps ni âme. Sur le plan économique, le jeune président en reste à la doxa néo libérale de privatisation du secteur public vers les groupes monopolistes, comme à la SNCF par exemple, et à une attaque en règle contre la bourgeoisie « fillioniste » qu’il qualifie de rentière. Comme le prouve sa mesure phare : la suppression de l’impôt sur la fortune et son remplacement par l’IFI, impôt sur la (seule) fortune immobilière.

Cela dit, rien n’est fait pour accélérer le rythme de rotation des échanges monétaires, seul à même de relancer l’économie française sur le moyen terme. Visiblement, les banques françaises jouent une croissance faible pour préserver le plus longtemps possible ce que nous appelons « le grand radiateur monétaire ».

Comme le reste de l’établissement européen, et en particulier dans la zone Euro, tout le monde retient son souffle devant les conséquences économico-monétaires des dernières élections en Italie : le gouvernement de coalition, assez loufoque et aux penchants xénophobes affirmés, entre le Mouvement 5 étoiles et la Ligue. La fragilité financière et monétaire de ce pays, troisième économie d’Europe, a de quoi donner la chair de poule aux adorateurs de la monnaie unique européenne. D’autant qu’il est de notoriété que ses comptes publics sont insincères, voire totalement faux depuis des années. Dans la péninsule, l’opposition entre la sphère financière mondialisée et le patronat national, victime de la récession, est évidente : à l’exemple de leurs aînés avec Mussolini, les chefs des PME de la vallée lombarde ont voté et fait voter, par l’intermédiaire des médias sous leur contrôle, pour la Ligue. Les entrepreneurs nationaux italiens ne suivent plus servilement la finance de Bruxelles et du Luxembourg pour conduire leur destin…chacun veut sauver sa peau.

Cette situation de sidération est également de mise aux Etats-Unis. Le parti démocrate ne s’est pas remis de l’affrontement entre Bernie Sanders et Hillary Clinton. Quant au parti républicain, il est encore paralysé par les fractions extrémistes type « Tea party ». Tous deux se trouvent dans l’incapacité de réagir face aux dérèglements aberrants médiatiquement, mais assez cohérents sur le fond, de Trump. Car il défend finalement assez bien les intérêts des « bourgeois nationaux » qu’il représente.

Plus généralement, la crise provoque la dépréciation des dispositifs idéologiques classiques tels que ceux de la sphère médiatique par exemple qui ne fait que relayer le discours bancaire, pro-pouvoir en France, anti-pouvoir aux USA où Wall Street affronte Trump au quotidien.

Notons également, pour l’ensemble de l’espace occidental, l’instrumentalisation de la justice à des fins de régulation des conflits au sein de l’état. Le « pouvoir judiciaire » est plus que jamais utilisé à des fins politiciennes et remplit le rôle de gardien de la cohérence du pouvoir. Bref, lorsqu’une confrontation apparaît, rappelons-nous quand Bayrou s’est opposé à Macron, une mise en examen opportune tranche le problème. La présidentielle avec l’affaire Fillon comme « juge de paix » a donc inscrit un tournant dans l’utilisation extravagante du « judiciaire » à des fins de règlements de compte politiciens.

Nous conclurons, comme souvent dans notre série d’articles, par l’Empire du Milieu.

En Asie, la Chine a gagné cette année une grande bataille. Car il est vraisemblable que la deuxième puissance du monde soit en fait le soutien discret du nord-coréen Kim Jong Un, utilisé comme « chevau-léger ».Deux incohérences soulignent cette piste. La première sur le plan technologique :comment ce petit pays sous embargo a-t-il réussi sans coup férir le passage de la bombe A à la bombe H ? Seconde incohérence : le passage de missiles balistiques atmosphériques aux missiles intercontinentaux nécessite une sortie de l’atmosphère. Soit deux sauts technologiques difficilement envisageables sans un coup de pouce extérieur… Peut-être l’aide secrète de la Chine. En fait, Pékin a joué avec Washington au « pile je gagne, face tu perds ». Les Etats-Unis avaient deux options : soit Trump attaquait Pyongyang en risquant une guerre générale atomique et le bombardement de Tokyo et Séoul. Une option qui aurait engendré à coup sûr une crise financière mondiale dont l’Occident a si peur. Soit Trump « laissait passer ». En choisissant cette seconde option, en négociant avec un Kim « super star » puisqu’il celui-ci a parfaitement rempli ses objectifs, Trump perd la face et obère la force de dissuasion militaire du Pentagone en Asie. Le Japon et la Corée du Sud savent maintenant qu’un accord avec Pékin est plus solide sur le long terme qu’avec les USA.


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