Union européenne FN opportuniste, dans la tradition fasciste

mardi 6 mars 2018.
 

Qu’on ne s’y trompe pas : le prétendu revirement du Front National à propos de l’Europe n’a rien de surprenant ni de définitif. Dans la tradition des mouvements fascistes prêts à tout pour conquérir l’opinion, le Front National n’a cessé d’osciller sur ces questions.

Les orientations du Front National sont, comme tout programme politique, liées à une conception de la situation d’ensemble, mêlant la géopolitique, et la réalité sociale de la population. Et sur l’Europe, il a souvent changé.

Pour combattre le Front National, il faut le comprendre, et pour cela disperser le brouillard médiatique. Marine Le Pen met en scène le changement de nom du parti, pour faire oublier d’où vient son mouvement, opération qu’elle n’a pas pu mener à terme en 2017 à cause de la présence de son père, fondateur historique. Mais cela ne change rien à l’essence fasciste de son mouvement.

Le Front National est un parti fasciste. Lorsque Jean-Luc Mélenchon a défendu cette thèse au tribunal de Paris qui lui a donné raison, il a rappelé que le « fascisme » n’est pas une injure mais une qualification politique, laquelle a ses caractéristiques, mise en évidence par les principaux historiens. Mouvement de masse qui se veut « ni de droite, ni de gauche », le fascisme peut bien souvent changer d’orientation tactique, tant qu’il peut tenter de réunir une partie des classes populaires et de la petite bourgeoisie déclassée sur des revendications unifiantes.

Le FN plutôt libéral que rouge !

Qui se souvient des meetings de Jean-Marie Le Pen, sur fond d’Ode à la Joie, Hymne de l’Union Européenne ? À cette époque le Front National n’a pas peur d’afficher sa compatibilité avec une certaine idée européenne. Le slogan en est « Europe, Le Pen, Liberté ! », il défend une Europe des nations, dont un des traits est déjà sa revendication des origines chrétiennes de l’Europe. Ce point reste constant, confirmé par la création du groupe « Europe des nations et des liberté » en juin 2015 au parlement européen à l’initiative de Marine Le Pen : le seul dénominateur commun des partis y adhérant, reste leur appartenance à l’extrême droite et un discours fortement anti-musulman.

Il reste un autre élément extrêmement important pour comprendre la tonalité pro-européenne du front national jusqu’aux années 1990 : non l’orientation fortement libérale de l’Europe magiquement apparue après Maastricht, mais l’anti-communisme. Parti Fasciste, le Front National a pour première fonction de s’opposer au mouvement ouvrier, et à ses organisations. Dans les années 70-80, avant la chute du mur, le Front National voit dans l’Europe, sous influence américaine, un rempart contre l’Union Soviétique. Son soutien affiché à Reagan, pourtant peu garant de l’indépendance économique, politique et militaire de la France, traduit la même orientation de fond.

A la conquête de l’électorat

La chute du mur de Berlin n’est qu’un des éléments qui expliquent le revirement du Front National. Voulant regrouper les classes moyennes défavorisées et les classes populaires autour de sa conquête du pouvoir, il renoue avec ses origines poujadistes. Il ne s’agit plus d’opposer les petits commerçants à un État centralisateur, mais à la bureaucratie européenne, qui, sur fond de libéralisme économique débridé, ne cesse de détruire toutes les solidarités. La ligne du Front National se fait alors souverainiste et solidariste. À la suite de son père, Marine Le Pen dénonce les méfaits de la destruction des services publics et la concurrence des travailleurs dues aux traités européens. L’ennemi soviétique disparu, il n’est plus nécessaire de cautionner explicitement les politiques ultra-libérales. Le discours officiel se concentre sur les méfaits de l’Europe, même si le programme économique du front national n’en devient pas pour autant social. La ligne « sociale-souverainiste » attribuée à Florian Philippot reste un discours de conquête de l’électorat qui ne se traduit pas dans les mesures économiques et sociales du Front National.

Un attelage trop contradictoire

La force de Jean-Marie Le Pen a consisté dans les années 1970 à réunir différentes fractions de l’extrême droite, aux orientations très diverses : les catholiques intégristes comme les païens, les ultras libéraux comme les solidaristes. Marine Le Pen a cru pouvoir bénéficier de l’image de son père, qui - on aurait tendance à l’oublier - a mis tout son poids lors de la passation de pouvoir pour imposer sa fille, et malgré les différents lui a apporté un soutien financier décisif en 2017. Entre 2014 et 2017, son discours n’a cessé d’entretenir un flou tactique. Elle devait à la fois donner des gages aux différentes tendances de son parti, tout en réussissant sa stratégie de conquête médiatique.

Dans un premier temps, elle affiche son orientation proprement anti-européenne : elle tente de confisquer le discours anti-libéral pour s’inscrire au cœur de l’échiquier contre les partis pro-européens, quelle nomme UM-PS. C’est un rôle de chien de garde assuré par le fascisme : empêcher qu’émerge un discours progressiste contre le système et faire mine d’incarner une opposition rassurante car repoussante. En 2014 elle déclare « si je suis élue en 2017, je ferai un référendum sur la sortie de l’Europe. » Le succès du Brexit lui fait un temps reprendre l’idée d’un scrutin analogue. Elle affirme souvent l’incompatibilité de son programme avec les traités qui en empêcheraient l’application à hauteur de 70%. D’où son premier « engagement » dans son programme de campagne : « Sortir de l’Union Européenne. »

Pourtant au cours de la campagne de 2017, grisée par des instituts de sondages bienveillants, elle croit nécessaire de conquérir la frange de l’électorat de droite, qui pourrait être inquiète des positions trop strictes vis-à-vis de l’Europe. Sur le plan de la politique économique elle ne peut plus systématiquement afficher une sortie de l’Euro, et ses déclarations changent d’un plateau à l’autre. Pour ce qui concerne la sortie des traités, elle édulcore son discours, affiche l’hypothèse d’une renégociation. Elle va encore plus loin en octobre 2017 en affirmant « on peut améliorer la vie quotidienne des français sans quitter l’Europe. »

Le Front National, enfermé dans les querelles internes, devenu médiatiquement inutile une fois Macron réélu, n’est pour l’instant plus audible. Son congrès se plaçant dans l’optique des européennes de 2019 affirmera sa nouvelle orientation. Sur l’Europe, il s’agira moins de conviction que de calcul électoral. L’orientation radicale de Laurent Wauquiez risque de lui couper la route, ce dernier multipliant les déclarations de méfiance vis-à-vis de la construction européenne : « L’Europe mécontente les peuples. Tout le monde le sait. Mais la classe politique actuelle, avec sa profonde médiocrité, n’a rien fait pour que ça change. » Reste à savoir, dans l’électorat de la droite et de l’extrême droite, qui sera préféré de l’original ou de la copie.

Benoit Schneckenburger


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