La «  pensée Marx  » à tous les étages et de toutes les générations

dimanche 4 mars 2018.
 

Durant plus de douze heures, la trentaine d’intervenants invités par l’Humanité au Forum Marx ont nourri les échanges autour d’une pensée en mouvement. La forte affluence affirme un appétit rehaussé pour la politique. À suivre.

Plus de 2 000 personnes ont participé, dans la journée de samedi, qui avait pris des allures printanières, au Forum Marx co-organisé par l’Humanité en ce lieu mythique du monde du travail et de la création, la Bellevilloise. Des centaines de visiteurs par arrivées successives. Attentifs, curieux, discutant, débattant, annotant, prenant la parole, interpellant, tous s’interrogeant à la rencontre de la trentaine de personnalités intellectuelles invitées par le journal fondé par Jean Jaurès pour s’entretenir de l’actualité de la pensée de Marx. Beaucoup de jeunes aussi, qui avaient pris place jusque dans les travées de la grande salle chargée d’histoire, aujourd’hui baptisée «  le loft  ». Un lieu où Jean Jaurès prononça un discours en 1906. Au fil de la journée, l’événement prend la forme d’un rendez-vous populaire où un large public envahit les différents lieux de rencontre  : deux salles de débat, un espace dédié aux partenaires de l’événement (1), un véritable petit «  village du livre  », sans oublier le stand de l’Humanité où le hors-série Marx, un coup de jeune, présenté en avant-première, et l’Humanité des débats du week-end sont partis… comme des petits pains.

Intervenant pour lancer le forum et sa dizaine de rencontres et de débats, Patrick Le Hyaric n’a pas caché sa satisfaction devant la foule rassemblée malgré l’heure matinale. Le directeur de l’Humanité, soulignant l’étonnement des organisateurs de ce premier pas d’une année Marx engagée par le journal avec le collectif Marx 2018, y a vu un encouragement «  à faire preuve d’encore plus d’audace  ». Bon augure pour ce bicentenaire

De son côté, l’historien Jean-Numa ­Ducange, membre de l’animation du collectif Marx 2018, a salué cette affluence comme augure d’«  une dynamique  » pour ce bicentenaire. Cet élan nouveau pour Marx, qui s’est traduit en amont par la participation de nombreux jeunes ­chercheurs, se confirme et s’amplifie donc en aval par une participation aux débats digne des meilleurs crus de la Fête de l’Humanité.

Marx à tous les étages, dans tous ses états et sur tous les fronts des débats actuels. Au forum (rez-de-chaussée), c’est la découverte du philosophe à la plume littéraire acérée souvent méconnue, grâce à Pascale Fautrier, Jean Quétier et Jean-Pierre Lefebvre (2). De profil sur la couverture de plusieurs parutions et rééditions de référence au stand des Éditions sociales ou du Temps des cerises, c’est encore Marx qui est mis en discussion dans les ouvrages présentés par la librairie de la Renaissance qui donne au «  sas  » de la Bellevilloise des allures de «  village du livre  ». Au loft (deuxième étage), Jean Marie ­Harribey, Michael Löwy et Alain Obadia argumentent sur les analyses marxistes d’aujourd’hui, ainsi que sur la nécessité, pour le mouvement social, d’une prise en compte de la nature et des enjeux environnementaux. Lors de la table ronde intitulée «  Marx et la France  », Françoise Blum, Marie-Cécile Boujou, Jean-Numa Ducange et Stéphanie Roza explorent la «  pensée Marx  », entre hier et aujourd’hui pour construire «  demain au présent  ». La puissance de la critique du capitalisme par Marx et les ressources à y puiser pour comprendre les évolutions du travail et du capital traversent aussi les interventions de Frédéric Boccara, Anne Eydoux et Bernard Friot ou encore l’échange, fructueux, sur les luttes des classes, entre Pierre Khalfa, Saliha ­Boussedra et Nasser ­Mansouri. Et toujours, des jeunes à la tribune ou dans la foule, même si ce sont toutes les générations qui investissent les salles archicombles. Le temps des révolutions  ?

Au regard de ce succès éclatant, ce moment fort de rencontres pourrait bien décrire un appétit rehaussé pour la politique. Marx et le communisme retrouvent des couleurs, une pertinence dans les enjeux actuels (crise écologique, sociale et financière) et la recherche d’«  une visée  » qui s’appuie sur la pensée de Marx, comme l’explique le philosophe Lucien Sève dans son entretien filmé, présenté en primeur. Le temps des révolutions serait-il dépassé  ? Mathilde Larrère, Guillaume Roubaud-Quashie et Pierre Serna, en tout cas, mettent en garde tous ceux, momifiés dans leurs préjugés, qui souhaiteraient imposer une date de péremption aux aspirations révolutionnaires. Un peu auparavant, Jacques Bidet, Isabelle Garo et Michèle Riot-Sarcey avaient ouvert l’atelier «  Penser un monde nouveau avec Marx  ». Un chantier à ciel ouvert des révolutions à comprendre et à mener.

À tous, maintenant, d’en faire autant pour cette année Marx. «  Vous vous demandez sans doute comment je suis arrivé jusqu’ici  ?  » demande le Marx d’Howard Zinn aux spectateurs médusés. «  Il est des morts qui font germer les fleurs des champs  », chantait Léo Ferré. (1) Espaces Marx, la Fondation Gabriel-Péri, l’Institut CGT d’histoire sociale, la Fondation Copernic, les revues Cause commune, la Pensée et Économie & Politique, les Cahiers d’histoire, Livres en lutte. (2) Raoul Peck, le réalisateur du Jeune Karl Marx, et le philosophe Étienne Balibar se sont fait excuser.

La Bellevilloise, ancienne coopérative ouvrière et maison du peuple du 20e arrondissement de Paris, a résonné d’une étrange voix dans la soirée de samedi dernier. Placé en pleine lumière, déambulant devant des dizaines de spectateurs attentifs dans l’obscurité, un homme aux cheveux hirsutes et à la barbe grise et fournie. Karl Marx, le retour, s’entretenant d’histoire, de politique et de révolution, selon Howard Zinn. Revenu sur terre par miracle  ? Après avoir reçu l’autorisation de prendre le forme d’un spectre et de faire «  l’auréole buissonnière  » dans la fiction de l’historien américain qui voulait par ce biais «  montrer que la critique marxiste du capitalisme restait fondamentalement vraie  »  ? Sûrement. Par la grâce des transports en commun publics comme le Marx, mis en scène par Denis Lanoy et joué par Kader Roubahie, l’a affirmé non sans malice  ? Peut-être. «  Il est des morts qui font germer les fleurs des champs.  » Être ou ne pas être – to be or not to be… c’est à voir. Et c’était une journée pleine et entière de débats et d’espoirs.

Podcasts Et vidéos en ligne

À partir d’aujourd’hui, vous pouvez retrouver la vidéo de l’entretien de Lucien Sève et la rencontre «  La révolution, un projet périmé  ?  » avec les historiens Mathilde Larrère, Pierre Serna et Guillaume Roubaud-Quashie sur l’Humanité.fr et sur la page Facebook de l’Humanité. Ensuite, tout au long de la semaine, les vidéos des différentes rencontres seront mises en ligne au fur et à mesure sur l’Humanité.fr. Enfin, d’ici une semaine, la totalité des conférences-débats et les différentes interventions des invités seront également disponibles séparément en podcasts sonores sur l’Humanité.fr.

Pierre Chaillan et Jérôme Skalski


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