Quand Bayrou et Bové puisent aux mêmes sources de l’antimodernité

lundi 14 mai 2007.
 

Par Jean Jacob , maître de conférences en sciences politiques à l’université de Perpignan

François Bayrou et José Bové partagent quelques influences communes qui les placent aux marges d’une certaine philosophie progressiste. C’est non sans malice que le candidat centriste (traduire démocrate-chrétien) à l’élection présidentielle, François Bayrou, avouait récemment au micro de France Culture être bien plus proche de certains milieux altermondialistes et écologistes qu’on pourrait le penser.

Dans la troisième livraison de la revue Le Meilleur des mondes qui vient de paraître, il donne à ses lecteurs quelques éléments complémentaires sur le sujet. Adolescent, il a été fortement impressionné par la personnalité de Lanza del Vasto puis, jeune adulte, par la figure de Jacques Ellul. Il n’a pas été le seul. Le syndicaliste paysan José Bové, également candidat à la même élection présidentielle, a aussi souvent fait état de ces deux influences. Ainsi Lanza del Vasto et Jacques Ellul ont eu leur petite postérité et drainé quelques disciples dans le sillage de Mai 1968. Mais dans le giron de « seventies » non violentes nimbées de spiritualité et de gravité existentielle.

Cependant, c’est souvent vainement que l’on cherchera dans les articles ou ouvrages politiques trace de leur passage sur terre. Esprits profondément religieux, ces deux penseurs ont en effet longtemps subi un certain ostracisme et très vite été relégués aux oubliettes de l’histoire politique française par de nombreux commentateurs, embarrassés de trouver des esprits aussi antimodernes dans le sillage de Mai 1968 et dans le terreau de l’écologie politique naissante.

Lanza del Vasto (1901-1981) était indubitablement réactionnaire. Marqué par Gandhi, ce docteur en philosophie situait néanmoins sa réflexion à la confluence de différentes traditions spirituelles, dont le catholicisme. De nombreux ouvrages en ont témoigné. Violemment hostile à l’individualisme du monde contemporain, déplorant les méfaits de la Révolution française, Lanza del Vasto s’était ainsi fait le chantre d’un mode communautaire de vivre-ensemble très austère. Il avait ainsi tenté de façon très concrète de donner corps à sa révolte. C’est lui, en effet, qui avait fondé les fameuses Communautés de l’Arche, de véritables lieux de vie en quête d’autarcie maximale. Ces communautés se situent aux antipodes du monde moderne, de toute façon promis à une prochaine apocalypse. On ne saurait manifester réaction plus radicale vis-à-vis du monde moderne...

Jacques Ellul (1912-1994) jouit depuis peu d’un regain de notoriété dans certains milieux alternatifs. Mais c’est bien une maison d’édition de droite, La Table ronde, qui réédite aujourd’hui frénétiquement un bon nombre de ses écrits. Non sans raison. Historien du droit réputé, auteur prolixe (une soixantaine d’ouvrages !), Jacques Ellul a, en effet, dans de nombreux écrits, proposé une analyse désespérante du monde contemporain, selon lui phagocyté par la technique. Dans de nombreux ouvrages, il a peint avec de sombres couleurs la situation de l’homme moderne, qui n’aurait plus prise sur rien. Dans sa fureur contre le monde moderne, il est allé jusqu’à se demander, par exemple, si le sida ne serait pas la manifestation d’une forme de jugement de Dieu sur notre perversion sexuelle...

Aujourd’hui, Lanza del Vasto et Jacques Ellul paraissent bien loin des préoccupations contemporaines. Néanmoins, ces deux penseurs de droite ont encore, l’un et l’autre, des disciples particulièrement actifs. Il suffit de feuilleter de temps à autre le mensuel non violent Silence, la revue trimestrielle L’Écologiste ou l’impertinent mensuel La Décroissance pour croiser des adeptes des Communautés de l’Arche en quête d’un mode de vie alternatif en France. Aux États-Unis, une Jacques Ellul Society a été créée dans le sillage d’une très puissante Foundation for Deep Ecology, qui finance quant à elle, par millions de dollars, des actions contre la mondialisation et le nivellement culturel. Plus globalement, ces militants, Français ou Américains, ne sont pas sans chérir une forme de vie communautaire présumée plus en harmonie avec la nature.

José Bové a rappelé, à maintes reprises, la vitalité des communautés dans le monde entier et l’importance des racines paysannes. Tout comme François Bayrou n’a cessé de plaider en faveur d’une reconnaissance des communautés de proximité, des identités régionales et des corps intermédiaires. En tout état de cause, on rompt dans ces différents cas de figure avec un certain optimisme des Lumières qui pensaient que la politique pourrait, sur terre, renverser radicalement ces assignations à résidence communautaire en faisant table rase du passé et traduire ainsi concrètement les idéaux de liberté et d’égalité.

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