De la citoyenneté antique à une citoyenneté révolutionnaire

mardi 16 janvier 2018.
 

Comment repenser la citoyenneté, ce concept fondamental de la démocratie  ?

Pour aller dans le sens d’une nouvelle attribution du concept de citoyenneté, il nous faut revenir sur l’histoire des valeurs qui, au cours des siècles, ont construit les différents modes d’exercice propres à cet idéal.

La citoyenneté vient du latin civitas, qui fixe les règles, les finalités, les prérogatives, les droits et les devoirs, dans la Rome républicaine, de tous ceux qui appartiennent à la cité dans une société oligarchique qui n’est pas démocratique. Ici, le principe d’égalité est strictement juridique et la citoyenneté a surtout une fonction d’identification et de protection. Pour autant, c’est dans les cités-États de la Grèce antique qu’il faut en rechercher les fondements, à travers le mot grec politeia, qui évoque, en même temps que la citoyenneté, une communauté de citoyens, dont les femmes, les esclaves, les métèques et les étrangers sont exclus, mais dans laquelle l’assemblée du peuple prend la parole sur l’agora pour décider des affaires de la cité. Nécessairement majeurs, les citoyens d’Athènes, reconnus comme tels par la communauté, se prétendent des hommes «  libres  », égaux devant la loi, dans une société qui se veut «  démocratique  ». Une autre représentation s’impose au Moyen Âge, celle du système féodal, qui rend le prince dépositaire du bien commun tout en substituant aux finalités civiques celles du christianisme. Le féodalisme renvoie le citoyen à un ordre politique dans lequel il devient sujet, éclipsant ainsi la citoyenneté pendant près d’un millénaire. Bien que la traduction de la Politique d’Aristote et l’enseignement du droit romain dans les universités, liés au développement de l’activité économique et politique au cours des XIIe et XIIe siècles, raniment une certaine citoyenneté, celle-ci renaîtra sous une forme moderne avec la Révolution française de 1789 et dans la Constitution américaine de 1787.

C’est surtout De l’esprit des lois de Montesquieu et Du contrat social de Jean-Jacques Rousseau qui avanceront la nécessité d’un contre-pouvoir et l’affirmation de la supériorité de la «  volonté générale  » sur l’absolutisme monarchique, préparant ainsi le citoyen à une nouvelle acception du concept de citoyenneté. Outre la France, ce nouveau concept s’étendra à d’autres États-nations de l’Europe. Mais la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ne distingue pas l’homme du citoyen, et il faudra attendre la Constitution du 24 juin 1793 pour que soit reconnu que «  le peuple souverain est l’universalité des citoyens français  ».

Depuis lors, le concept de citoyenneté a été remodelé de façon permanente. Il suffit pour s’en convaincre de se souvenir de la distinction faite par la Constitution de 1791 entre citoyens «  actifs  » et citoyens «  passifs  », supprimée par l’Assemblée législative de 1792, de l’abolition de l’esclavage, de la liberté de la presse, de la reconnaissance du droit au travail et de l’instauration (pour les hommes seulement) du suffrage universel en 1848, de l’écrasement de la Commune de Paris et de la défiance du mouvement ouvrier vis-à-vis des pouvoirs institués, de l’existence de catégories différenciées de citoyens et non-citoyens dans l’Empire colonial, de la reconnaissance tardive du droit des femmes en 1944, de l’élection du président de la République au suffrage universel en 1962, de l’institution d’une citoyenneté européenne en 1992, et, enfin, de la proposition actuelle de l’instauration d’une VIe République.

Le concept de citoyenneté peut tantôt se décrire comme un ensemble de droits et d’obligations et tantôt se comprendre comme une invitation à s’engager dans une communauté et à partager un certain nombre de valeurs qui peuvent donner lieu entre citoyens à des positions de classe aux intérêts contradictoires. C’est pourquoi il est nécessaire d’accoupler le mot de citoyenneté à celui de révolutionnaire, afin de le sortir du concept flou dans lequel il s’est trouvé historiquement enfermé.

Le concept de citoyenneté révolutionnaire suppose non seulement de s’appuyer sur des valeurs revendiquant l’abolition des classes sociales, mais aussi sur la définition d’un pacte social et philosophique liant les citoyens à un objectif commun de construction d’une société nouvelle. Néanmoins, il ne peut y avoir de citoyenneté révolutionnaire sans possibilité d’assurer collectivement l’exercice plein et entier de la démocratie telle que les citoyens tentèrent de la pratiquer dans l’assemblée de la Grèce antique. De plus, il n’y a pas de citoyenneté révolutionnaire si celle-ci n’est pas dynamique, c’est-à-dire en capacité de se transformer pour aller vers toujours plus de démocratie.

À travers ce concept, nous pouvons aussi élargir le champ de la citoyenneté nationale à celui d’une citoyenneté internationale permettant de caractériser les valeurs universelles telles que la solidarité de classe dans tous les domaines, les coopérations nécessaires et le développement des interdépendances des hommes de tous les pays sur les questions de la production de biens utiles, de la paix, de la santé, de l’éradication de la pauvreté, de la préservation de l’environnement, etc.

En dehors de l’enjeu de classe de la citoyenneté révolutionnaire, une logique strictement citoyenniste est donc nécessairement réformiste. Car, même si elle défend des perspectives de changement social qui peuvent être justes, sa conception d’aménagement de l’existant, sans toucher aux structures étatiques du pouvoir et de l’économie de marché, renforce la crise structurelle du capitalisme à laquelle nous sommes de plus en plus confrontés.

Dans l’Idéologie allemande, Marx nous explique que le changement social suppose la transformation des institutions et des structures du pouvoir, et que ces changements juridico-légaux, pour être efficaces, doivent correspondre à des changements structurels et socioculturels. C’est donc en s’engageant dans un processus de transformation où chaque individu s’implique démocratiquement en conscience que l’enjeu de la citoyenneté révolutionnaire prend tout son sens et devrait nous permettre de travailler à un réel changement de société.

Par André Prone Poète et essayiste


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