Du baptême de Clovis (Noël 496 ?) au cléricalisme, royalisme, nationalisme et fascisme français

mardi 26 décembre 2023.
 

Le baptême de Clovis ne relève pas de l’histoire humaine mais de trois origines jumelles faisant fonction d’auto-justifications, d’une part "l’histoire sainte", d’autre part la noblesse d’Ancien régime, enfin les mythes nationalistes portés par les courants d’extrême droite. Pour les trois, la France naît de cet évènement.

La hiérarchie catholique et les cléricaux trouvent dans cette invention l’auto-justification de leur rôle central dans l’histoire, les institutions, la société, l’enseignement du pays. Dieu a choisi la France et ses rois pour remplir une mission Providentielle consistant à baptiser ( de gré ou de force) chaque humain, moment clé dans la longue marche du péché originel vers la rédemption finale.

Les nobles d’Ancien régime déduisent de leur prétendue ascendance franque les privilèges féodaux conquis par la valeur de leur sang puis sanctifiés par Dieu. Leur fonction sociale était et reste de combattre, le peuple soumis par les armes travaillant pour eux.

L’extrême droite utilise évidemment cette légende comme élément essentiel du mythe national sur lequel ce courant a toujours spéculé dans tous les pays du monde.

Les dernières visites papales en France ont relancé l’actualité de ces croyances grâce à la complicité du pouvoir politique et des médias.

En 1980, Jean-Paul II y fait référence explicitement lors de son voyage pontifical : " France, fille aînée de l’Eglise, es-tu fidèle aux promesses de ton baptême ?"

En 1996, l’odeur rancie des lubies capétiennes et cléricales empuantit la France. Du Front National au RPR, toute la droite retrouve ses origines royalistes du 19ème siècle et fascistes de 1940. Quel évènement sensationnel est à l’origine d’un tel retour aux ancêtres de la famille ? toujours le baptême de Clovis.

Il est vrai que Clovis symbolise le combat des fous furieux de la guerre sainte contre les hérétiques du premier millénaire et par référence contre les musulmans durant les Croisades, contre les Protestants à la Renaissance puis contre les Républicains... Il est choisi comme emblème par les royalistes pré-fascistes, par les cléricaux, par Pétain (francisque) enfin par le Front National sur ses cartes de membres. Quelle généalogie !

Il est vrai que la droite au gouvernement apporte toujours dans ses valises des relents bigots d’Ancien régime pour plaire à une partie décisive de son électorat. En 1987, elle avait fêté le "millénaire capétien". Le 20 janvier 1996, Jacques Chirac en visite officielle au Vatican comme président de la république avait présenté la France à Jean-Paul II comme "fille aînée de l’Eglise".

A) Les Francs et Clovis

B) La bataille de Tolbiac, coeur du mythe Clovis

C) Baptême de Clovis : la Sainte Ampoule

D) De la naissance de Jésus à Noël au baptême de Clovis à Noël

E) Le rôle de Saint Rémi

F) Clovis, assassin, polygame, incestueux, roi par choix de Dieu

G) Textes fondateurs du mythe central de Clovis dans la tradition idéologique du royalisme absolutiste français, du cléricalisme scolaire et du fascisme traditionaliste

H) De la Sainte Ampoule de Noël à la France monarchique, fille aînée de l’Eglise. Clovis et l’antisémitisme

I) L’importance de Clovis pour la papauté, pour la dynastie capétienne puis pour la droite

J) La gauche aveugle devant le rôle central de Clovis dans la tradition idéologique du royalisme absolutiste, du cléricalisme scolaire et du fascisme traditionaliste

K) En 1996, le 1500 ème anniversaire du baptême de Clovis

A) Les Francs et Clovis

Les Francs constituent une ligue de tribus ( Chamaves, Chattes, Angrivariens, Bructères, Chérusques, Hattuaires, Tubantes, Tenctères, Usipètes) établies dans le nord des territoires germains antiques.

Ils apparaissent tardivement dans les textes romains lorsque Aurélien (tribun de la VIème légion) les affronte prés de Mayence car "ils ravageaient toute la Gaule". En 275, ils passent le Rhin ; les mots férocité, cruauté, atrocité évoquent faiblement leur rapport aux populations. L’historien Camille Jullian affirme "Ni dans le passé de la Gaule, ni dans celui de la France, nous ne trouverions un pareil malheur. La migration des Cimbres, la conquête de César, l’invasion d’Attila, les pirateries des Normands, les guerres des Anglais, rien n’approchede la catastrophe de cette année." L’armée romaine réussit à les rejeter sur la rive droite du Rhin. Au IVème siècle, l’Empire affaibli prend les Francs saliens à son service et les installe dans le Nord de la Belgique seconde. Cette province comprenait douze "cités" : Reims (métropole, c’est à dire capitale), Soissons, Châlons, Vermand, Saint Quentin, Senlis, Beauvais, Amiens, Arras, Therouanne, Boulogne, Cambrai et Tournai.

Lorsqu’ils s’établissent en Gaule, ils n’ont pas connu précédemment l’expérience de la citoyenneté urbaine, d’un Etat durable, d’un droit écrit ou d’une langue écrite. Leurs royautés tribales, escortées de guerriers, s’entretuent et s’enrichissent du pillage des territoires voisins. Sortis majoritairement de forêts aux clairières clairsemées, les mots de leur organisation sociale et politique reproduisent la simplicité des gestes manuels (saisir, désaisir, tenir, soumission de l’épouse "dans la main" du mari) et la hiérarchie de la famille patriarcale ( la "chambre", le "service" de la femme, des enfants puis du vassal, le "sang" par lequel le père transmet la propriété et les vertus). Leurs valeurs culturelles sont militaires, articulées autour de l’idéologie du Chef. Chaque "preux chevalier" se taille un fief où il est propriétaire du pouvoir politique, économique, fiscal, judiciaire, du droit de pêche, de chasse... Tout chef indépendant porte le titre de roi, seul mot disponible pour eux.

Concernant la vie de Clovis lui-même, les historiens disposent d’un faible nombre de documents fiables.

Chlodweg naît en 466 de parents germaniques :

- de Childéric (roi des Francs saliens) chassé pendant huit ans de son peuple parce qu’il se comportait en propriétaire personnel de toutes les femmes et s’était alors réfugié auprès du roi de Thuringe

- de Basine, épouse du roi de Thuringe, enlevée ou séduite par Childéric

Ce Childéric a imposé son pouvoir grâce à l’appui et l’alliance du grand Aegidius qui défendait le dernier "royaume" gallo-romain, héritage de la civilisation romaine, de la Somme à la Loire et de la Manche à la Haute-Meuse. Une lettre de l’évêque de Reims à Clovis semble confirmer un rôle important de Childéric puis de son fils comme gouverneur civil et militaire du Nord de la province romaine de Belgique seconde « Une grande rumeur parvient à l’instant de nous. Vous venez de prendre en main l’administration de la Belgique seconde. Ce n’est pas une nouveauté que vous commenciez à être ce que vos parents ont été ».

En fait, le royaume de Childéric comme celui de Clovis au départ, n’est qu’une grosse seigneurie militaire. En 481, lorsque Chlodweg succède à son père dans leur capitale de Tournai (Belgique), les Francs saliens de Thérouanne (distant de 60km à l’Ouest) ont Chacaric pour roi et ceux de Cambrai (distant de 50 km au sud) ont Ragnacaire pour souverain. Tous ces Francs saliens vouent encore un culte païen aux Ases. Cependant, leur intégration progressive dans l’empire romain a contribué à donner un vernis de culture antique à leur classe dominante.

La principale force proche, c’est le territoire gallo-romain établi entre Somme et Loire. En 486, Clovis oublie ce qu’il doit aux Romains et s’attaque au fils d’Egidius nommé Syagrius, établi dans la riche cité de Soissons. Celui-ci est battu, fait prisonnier puis égorgé sur ordre du roi des Francs.

Après cet écrasement de Syagrius, l’Eglise comme l’aristocratie gallo-romaine n’ont pas d’autre choix que la reconnaissance de Clovis. Pour les évêques une autre raison pousse en ce sens : ils luttent contre l’hérésie arienne dominante parmi les autres peuples "barbares". Le rapprochement entre Clovis et l’Eglise explique l’épisode du retour du vase sacré de Reims volé puis rendu à Remi en 487.

Pour battre les peuples (Burgondes, Wisigoths...) qui empêchent Clovis de s’emparer de toute l’ancienne Gaule et de dominer tous les Francs, celui-ci a besoin des forces héritées de l’ancien empire romain devenu évanescent.

B) La bataille de Tolbiac, coeur du mythe Clovis

Le mythe clérical concernant Clovis explique son baptême par l’aide que lui fournit Dieu pour battre les redoutables guerriers Alamans lors de la bataille de Tolbiac ( Zülpich près de Cologne, Allemagne) en 496. Les soldats francs subissent de lourdes pertes ; ils reculent et risquent d’être balayés par une nouvelle charge de leurs adversaires ; Clovis constate que les dieux de ses ancêtres ne lui servent à rien pour modifier le sort de la bataille. Il invoque alors le Dieu des chrétiens.

Voici ce qu’écrit Grégoire de Tours dans son Histoire des francs sur le sujet :

... Les deux armées combattant avec un grand acharnement, celle de Clovis allait être taillée en pièces. Alors Clovis, plein de ferveur, éleva les mains vers le ciel, et, fondant en larmes, s’écria : « O Jésus-Christ, que Clotilde affirme Fils du Dieu Vivant, toi qui donnes du secours à ceux qui sont en danger, et accordes la victoire à ceux qui espèrent en toi, je sollicite avec dévotion la gloire de ton assistance ; si tu m’accordes la victoire sur mes ennemis, et que tu me donnes la preuve de la puissance miraculeuse dont le peuple qui t’est consacré déclare certain qu’elle émane de toi, je croirai en toi, et me ferai baptiser en ton nom ; car j’ai invoqué mes dieux, et je vois bien qu’ils m’ont refusé leur appui. Je crois donc qu’ils n’ont aucun pouvoir, puisqu’ils ne secourent pas ceux qui les servent. C’est toi que j’invoque maintenant ; c’est en toi que je veux croire ; fais seulement que j’échappe à mes ennemis ! »

Le chef Alaman, sentant la victoire proche, harangue ses hommes pour qu’ils enfoncent les Francs apeurés. Clovis observe la scène avec attention et fixe le chef de ses ennemis. Soudain, une flèche apparait de nulle part et, sifflant dans les airs, se plante mortellement dans la poitrine du roi alaman. Effrayés par un tel revirement de situation, les Alamans s’enfuient en désordre poursuivis par les Francs.

Nos lecteurs peu habitués à l’imagination infinie des mythes cléricaux, doivent comprendre que Dieu a entendu la prière de Clovis ; c’est lui qui a ensuite tiré la flèche tuant le roi des Alamans ; le regard du roi franc a dirigé la flèche divine vers le coeur du souverain ennemi.

Qu’en disent les sources historiques ? la bataille de Tolbiac a opposé aux Alamans les Francs rhénans et non les Francs saliens de Clovis, alors bien éloignés.

Clovis a bien écrasé les Alamans dix ans plus tard (récit de Cassiodore) mais ce ne peut être la même bataille... ou alors tous les récits autour du baptême de 496 (selon le mythe clérical), 497 (selon ferdinand Lot), 498 ou 499 (selon Philippe Levillain) sont une invention.

Quiconque se penche sur les sources, peut honnêtement se demander si toute ces histoires concernant Clovis en 496 ne relèvent pas plus du mythe écrit a posteriori que de la réalité historique. Même les sources cléricales se contredisent, par exemple sur le processus de conversion et la ville de baptême (pourquoi pas Chartres par exemple ? parce que Reims sera la ville symbole de la monarchie où les rois à venir seront sacrés).

C) Baptême de Clovis : la Sainte Ampoule

Commençons par rappeler le mythe clérical concernant cet "évènement". Il a été imaginé 250 ans plus tard par un faussaire réputé nommé Hincmar, évêque de Reims. L’épisode miraculeux de la Sainte Ampoule en constitue le coeur.

« Alors qu’ils étaient parvenus au baptistère, le clerc qui portait le chrême fut arrêté par la foule, de sorte qu’il ne put atteindre le bassin. Après la bénédiction du bassin, le chrême manqua par le dessein de Dieu. Et comme, à cause de l’affluence, personne ne pouvait ni entrer ni sortir de l’église, le saint pontife, les yeux et les mains dirigés vers le ciel, commença à prier en pleurant. Tout à coup une colombe plus blanche que neige apporta dans son bec une ampoule pleine de chrême saint, dont l’odeur merveilleuse... remplit tous les présents d’un plaisir infini. Le saint pontife ayant reçu cette ampoule, la forme de la colombe disparut." »

Le baptême de Clovis a-t-il eu lieu, à Reims ou ailleurs, en 496 ou plus tard ? Oui, au moins pour la raison avancée par l’historien Michel Trouche. En 497, le roi ostrogoth Theodoric, maître de l’Italie, a reçu de Byzance (où l’empire romain se perpétue avec éclat) la reconnaissance de son pouvoir et les insignes impériaux hérités des empereurs anciens. Or, Theodoric est arien. L’Eglise doit absolument valoriser un souverain baptisé par elle et valorisé par elle comme héritier de la civilisation romaine.

Pour le roi des Francs, ce sacrement représente une nécessité politique car il est ainsi conforté par le soutien de l’Eglise face à ses adversaires ariens et paîens : Wisigoths, Burgondes, Alamans, Ostrogoths...

En se baptisant, en même temps que 3000 de ses guerriers, Clovis passe une alliance avec l’Eglise catholique qui représente une force très importante issue de l’Empire romain finissant ( grands propriétaires, évêques chefs civils et religieux des cités, poids culturel de cette religion sur une société en plein désarroi).

L’Eglise gagne dans cette alliance un protecteur face aux révoltes populaires (émeutes de l’an 500) et face aux "barbares hérétiques ariens". N’oublions pas que Alaric (roi des Wisigoths), Gondebaud (roi des Burgondes), Lanthilde et Alboflède (soeurs de Clovis), les Lombards... sont ariens, hérésie chrétienne concurrente de l’Eglise.

En se baptisant, Clovis passe aussi une alliance avec une part importante de l’aristocratie gallo-romaine de toute l’ancienne Gaule, même si Theodoric, roi des Ostrogoths va tenter le même rapprochement.

Nous connaissons les objectifs politico-religieux poursuivis par l’Eglise en baptisant Clovis grâce à la lettre que lui a envoyée Saint Avit (titulaire du siège épiscopal prestigieux et respecté de Vienne) à cette occasion.

D) De la naissance de Jésus à Noël au baptême de Clovis à Noël

Ce Sextus Alcimidius Ecdicius Avitus représente le prélat type de l’époque : fils de l’archevêque de Vienne, petit neveu de l’empereur Eparchus Avitus, descendant d’une riche famille sénatoriale romaine, politique accompli, très instruit, marié et père de plusieurs enfants. Evêque de Vienne sur le Rhône, cité d’une grande importance, il vit à la cour du roi des Burgondes où il rédige les Lettres royales.

Qu’écrit donc Saint Avit à Clovis :

" Les sectateurs de tout schisme, vides de la vérité du christianisme, se sont efforcés d’envelopper la finesse de votre discernement de l’ombre de leurs discours aux idées changeantes." Cette phrase nous informe que des tenants de l’arianisme ont essayé, eux aussi, de gagner le roi des Francs à leur religion. Dieu est intervenu lui-même pour gagner au catholicisme

" Dès à présent a jailli le trait de lumière... La divine Providence a trouvé son arbitre. En faisant votre choix, c’est pour tous que vous prononcez le jugement ; votre foi est notre victoire" Avit pose Clovis en arbitre au nom de Dieu et de l’Eglise par dessus les autres rois qui sont alors totalement indépendants de lui, plus puissants que lui mais n’ont pas su rejoindre l’Eglise

" Dans ces cas-là, d’ordinaire, la plupart des hommes objectent les coutumes nationales et l’observance religieuse de leurs pères... Ainsi avouent-ils ne savoir que choisir ; que leur coupable retenue renonce donc à cet échappatoire après un tel miracle" Confrontée à la puissance des peuples ariens envahisseurs, l’Eglise a craint de disparaître d’Europe occidentale sur la fin du 5ème siècle. Elle n’a pas réussi à convertir leurs rois qui ont conservé leurs "coutumes nationales et l’observance religieuse de leurs pères". Aussi, le baptême de Clovis constitue pour les évêques un miracle.

" Ne gardant de toute une lignée d’antique origine que la seule noblesse, vous avez voulu extraire de vous-même, pour votre race, tout ce qui peut rehausser le rang d’une haute naissance. Vous êtes digne de vos ancêtres puisque vous régnez en ce monde ; vous avez fondé pour vos descendants afin de régner au ciel " Cette phrase montre que la hiérarchie sénatoriale romaine, civile ou religieuse est déjà porteuse d’une idéologie de type féodal pour laquelle la noblesse est une race par le statut et le sang des aïeux, pour laquelle la royauté est un don de Dieu sur la terre comme au ciel au profit des descendants de Clovis.

" Que la Grèce se réjouisse d’un prince de notre loi... L’éclat illumine aussi ton pays et, du côté de l’occident, resplendit sur le roi la lumière de l’antique étoile du matin. Elle commença de luire à la bienvenue naissance de notre Sauveur." L’Empire romain d’Orient n’est plus seul à reconnaitre la vraie Eglise du Seigneur ; la lumière de Jésus resplendit aussi à l’Occident : sur le roi Clovis.

" Que l’onde de la régénération vous dispose au salut en ce jour où le monde a reçu le maître du ciel né pour sa rédemption. Que ce jour soit votre anniversaire comme il est celui du Seigneur, le jour où vous êtes né au Christ, le jour où le Christ est né au monde, le jour où vous avez consacré votre âme à Dieu... votre gloire à la postérité" va et vient stupéfiant entre naissance de Dieu et baptême de Clovis comme même source de régénération

" Que dire donc de cette glorieuse solennité de votre régénération... quand se courbait devant les serviteurs de Dieu cette tête terrible aux nations... Puisque, par vous, Dieu va faire votre nation toute sienne, répandez aussi... des semences de foi vers les peuples d’au-delà..." Votre régénération et celle de votre peuple par votre baptême vous apporte le soutien de l’Eglise pour imposer notre religion aux peuples "encore fixés dans l’ignorance"

E) Le rôle de Saint Rémi

Le mythe du baptême de Clovis serait bancal sans la présence d’un évêque donnant l’onction de Dieu et de l’Egise au royaume qu’il fonde. Saint Rémi, évêque ayant sacré Clovis, joue ce rôle.

D’après la Tradition écrite du catholicisme royaliste nationaliste :

- il naît dans une grande famille gallo-romaine, fils d’Emilius comte de Laon

- comme l’archange Gabriel a annoncé la naissance de Jésus, un ermite aveugle nommé Montanus (Saint Montain) "qui habitait au milieu des bois de La Fère" annonce à Sainte Céline qu’elle enfantera un garçon malgré son âge avancé : « Le Seigneur a daigné regarder la terre du haut du ciel, afin que toutes les nations du monde publient les merveilles de sa puissance et que les rois tiennent à honneur de le servir : Céline sera mère d’un fils qu’on nommera Remi ; je l’emploierai pour la délivrance de mon peuple »

- comme Marie avait enfanté sans relation sexuelle avec un homme, l’évêque choisi par Dieu dès sa naissance pour sacrer Clovis, est un demi-dieu. En effet, tous les textes religieux affirment qu’il est né libéré de tout pêché comme Saint Jean-Baptiste

- il réalise des miracles dès ses premiers mois. En annonçant la future naissance de Rémi, l’ermite Montanus avait demandé à Saint Céline " Quand tu sèvreras l’enfant, tu me frottera les yeux de ton lait, et je recevrai la lumière." Une fois sevré, le bébé met lui-même du lait maternel sur les yeux de l’aveugle qui retrouve aussitôt la vue.

- A vingt-deux ans, le voilà élu évêque de Reims sans jamais être entré dans les ordres. "Les miracles relevèrent encore l’éclat de sa sainteté. Il ne tarda guère à opérer des miracles comme délivrer des possédés de l’emprise du démon, rendre la vue aux aveugles, préserver de l’incendie et de la mort, changer de l’eau en vin et même ressusciter des morts" (citation du site Notre Dame des neiges)

- Durant les jours précédant le baptême de Clovis, Rémi l’instruit de l’arrestation de Jésus par les Romains puis du supplice de la croix. Le roi des Francs réagit d’une façon logique dans l’idéologie guerrière féodale « Ah ! que n’étais-je là avec mes Francs ! »

- La veille du baptême, l’évêque Rémi prêche devant le roi, son épouse (Sainte Clotilde) et leur suite ; il leur annonce "les grandeurs futures des rois de France" ; l’église se remplit d’une lumière et d’une odeur célestes, et l’on entend une voix qui dit : « La paix soit avec vous ! ».

- Durant le baptême sacre du roi des Francs, c’est encore Rémi qui intercède auprès du Ciel pour oindre Clovis par le Saint Chrême.

F) Clovis, assassin, polygame, incestueux, roi par choix de Dieu

Clovis a indiscutablement joué un rôle important dans l’histoire de France et de l’Eglise. C’est lui qui unifie temporairement les territoires de la Manche aux Pyrénées, de l’Atlantique aux Alpes. C’est lui qui installe sa capitale à Paris. C’est lui qui convoque le concile général d’Orléans en 511. C’est lui qui rétablit une hiérarchie stricte de l’Eglise, interdisant par exemple aux religieux (réguliers et séculiers) de s’adresser à la cour royale sans l’autorisation de leur évêque. C’est lui qui engage le ralliement des religieux ariens en conservant leur statut hiérarchique lorsqu’ils se convertissent.

On ne peut cependant oublier la brutalité crasse du personnage.

Parmi les innombrables assassinats dont Clovis s’est rendu coupable, nous avons déjà signalé celui de Syagrius.

Aussitôt après son baptême, conformément aux voeux de Saint Avit, le meurtrier Clovis se surpasse pour devenir le seul roi des Francs saliens. Voltaire écrit fort justement qu’après avoir reçu le baptême, il fut plus sanguinaire et se souilla de plus grands crimes que lorsqu’il était païen.

Il fait arrêter Chacaric et ses fils qui règnent sur les Francs saliens de Thérouanne (nord du Pas de Calais), les tond, les ordonne comme prêtre et diacres puis les fait exécuter.

Il fait arrêter Ragnacaire (roi des Francs saliens de Cambrai) et lui fend la tête. Il s’adresse alors à Riquier "Si tu avais porté secours à ton frère, il n’aurait pas été pris" ; second coup de hache. Reste un troisième frère, Rignomer, assassiné quelques jours plus tard.

Signalons aussi sa fourberie vis à vis des Francs ripuaires. Il convainc l’héritier royal d’assassiner son père Sigebert ; le forfait accompli, le parricide présente ses nouveaux trésors à Clovis... un nouveau coup de hache lui fend la tête.

Plutôt que de continuer la liste, laissons Saint Grégoire (539-894) résumer le personnage Clovis dans sa fameuse Histoire des Francs « Quand il eut tué beucoup d’autres rois et de proches parents, il élargit son royaume dans toutes les Gaules. Cependant, on rapporte que, ayant réuni les siens, il s’exprima ainsi au sujet des parents qu’il avait perdus "Malheur à moi qui suis resté comme un pèlerin au milieu d’étrangers, car je n’ai plus de parents pour pouvoir m’aider, si l’adversité surgissait". Ce n’est pas par affliction pour leur mort qu’il disait cela, mais par ruse pour savoir, si par hasard, il pourrait en découvrir un autre à tuer. »

Le concile général d’Orléans aurait également pu lui reprocher ses rapports incestueux. Nous savons cela par les écritures saintes (hagiographes) d’Eleuthère, évêque de Tournai, lieu de la vie familiale de Clovis. Toujours après son baptême, celui-ci aurait commis un péché qu’il "n’est pas permis d’avouer publiquement"...

Le concile général d’Orléans aurait également pu lui reprocher sa polygamie. Conformément aux structures familiales polygamiques germaniques (surtout dans la noblesse), Clovis avait épousé au moins une autre femme avant Clotilde et ne s’en était pas séparé ; d’ailleurs, Thierry 1er, né de cette union, sera le principal bénéficiaire du partage organisé par lui : Reims et toutes les terres du Nord-est de la France actuelle, l’ancienne Belgique première (avec Trèves), une grosse partie de la Belgique seconde (avec Reims et Châlons), les deux Germanies (avec Cologne et Mayence), une sorte de protectorat sur les Alamans, l’Auvergne et une frange orientale de l’Aquitaine (en particulier les cités de Clermont, Le Puy, Cahors, Albi, Rodez, sans doute Limoges, peut-être Javols, terres décisives pour l’Eglise, terres décisives pour Clovis pour sa conquête des Gaules).

Dans la réalité, non seulement le concile général d’Orléans ferme les yeux sur tout cela mais l’Eglise va ensuite poursuivre un travail idéologique permanent de valorisation de Clovis comme bras armé de Dieu.

G) Textes fondateurs du mythe central de Clovis dans la tradition idéologique du royalisme absolutiste français, du cléricalisme scolaire et du fascisme traditionaliste

En France, les racines idéologiques du fascisme puisent essentiellement leur sève dans le courant catholique monarchiste, traditionaliste et anti-moderniste né au 16ème siècle avec la Sainte Ligue, poursuivi au 17ème par exemple par le parti dévôt, prolongé au 18ème par les Anti-Lumières, au 19ème par les légitimistes puis l’Action française. Depuis la Sainte Ligue catholique, opposants impitoyables à tout progrès social, démocratique et laïque, Clovis est installé au centre de la tradition cléricale française

Dans cette tradition puissante (parce que portée généralement par l’Eglise elle-même), le baptême de Clovis joue un rôle central : rôle de Dieu comme fondateur de la royauté française, alliance du trône et de l’autel, France fille aînée de l’Eglise, race guerrière où la force compte plus que le droit...

Voici les textes concernant Clovis et son baptême auxquels se sont référés et se réfèrent encore les courants monarchistes, nationalistes, cléricaux et fasciste français.

G1) Prêche de Saint Rémi lors du baptême de Clovis (d’après Flodoard, Historia Ecclesiae Remensis) au coeur de la tradition monarchiste cléricale nationaliste française :

« Apprenez, mon Fils, que le royaume de France est prédestiné par Dieu à la défense de l’Église romaine qui est la seule véritable Église du Christ .

Ce royaume sera un jour grand entre tous les royaumes.

Et il embrassera les limites de l’empire romain.

Et il soumettra tous les peuples à son sceptre.

Il durera jusqu’à la fin des temps ! »

G2) La Prière des Francs

« Dieu Tout-puissant et Éternel,

qui pour servir d’instrument à Votre divine volonté dans le monde,

et pour le triomphe et la défense de Votre Sainte Église,

avez établi l’empire des Francs... »

G3) Prologue de la Loi salique (rédigé vers le milieu du 8ème siècle) :

« La nation des Francs, illustre, ayant Dieu pour fondateur, forte sous les armes, ferme dans les traités de paix, hardie, agile et rude au combat, depuis peu convertie à la foi catholique, libre d’hérésie...

" Puis lorsqu’avec l’aide de Dieu, Clodwigh le chevelu, le beau, l’illustre, roi des Francs eut reçu le premier le baptême catholique... fut dressé ce décret :

Vive le Christ qui aime les Francs !

Qu’Il garde leur royaume et remplisse leurs chefs des lumières de sa grâce !

Qu’Il protège l’armée !... »

(Traduction de l’abbé Lemann d’après les Leges Salicae illustratae de Godefroy Wandelin. Anvers 1649)

H) De la Sainte Ampoule de Noël à la France monarchique, fille aînée de l’Eglise. Clovis et l’antisémitisme

L’épisode fondamental du récit, c’ est celui de la Sainte Ampoule comme nous l’avons vu ci-dessus. Au moment où Saint Rémi, évêque de Reims, va baptiser le royal Clovis par le Saint Chrême, il constate qu’il manque d’huile. Il lève les yeux au Ciel et prie Dieu d’y pourvoir. Une blanche colombe descend alors des cieux, portant une fiole pleine d’un baume miraculeux. Le saint prélat s’en saisit et en oint le front du prince franc Chlodweg, ainsi baptisé comme roi au nom de Dieu et de son Eglise.

Jusqu’au 20ème siècle, la Tradition idéologique cléricale nationaliste utilise encore Clovis :

- comme fondateur de la France

- comme ancêtre de la « Première race de France »

- comme fondateur du royaume de France

- comme "chef d’une glorieuse lignée de monarques"

- comme chef militaire invincible, protecteur de l’Eglise

- comme seigneur choisi par Dieu le père pour défendre son Eglise

Quel est le moment de l’année choisi par la Tradition cléricale pour symboliser cette onction de Clovis par les Cieux ? Noël, évidemment, comme la naissance d’un nouveau Dieu sur terre.

Quel est le peuple élu pour cette nouvelle alliance avec Dieu ? les Francs de France, bien sûr.

Quelle est l’origine de ce peuple franc ? les Troyens, bien sûr. La légende est bonne mère.

En ce début du 21ème siècle, les jeunes n’imaginent pas l’importance qu’avait récemment une phrase comme "Gesta Dei per Francos" ("L’action de Dieu passe par les Francs") dans la vie quotidienne des régions où l’Eglise et la Tradition cléricale avaient conservé un rôle important. En 1940, les très nombreux adhérents de la Légion pétainiste des anciens combattants sortaient chaque fin d’après-midi de la messe pour défiler et apeurer leurs boucs-émissaires ("rouges", laïques, juifs...) en arborant ces mots au son des tambours et trompettes.

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Parmi les raisons qui devraient pousser la droite à être prudente dans sa valorisation de Clovis, je tiens à insister sur l’importance du règne de Clovis dans le développement de l’antisémitisme.

Durant son règne où monarchie et Eglise étaient très liées, le concile d’Agde prit des décisions clairement stigmatisantes à l’encontre des Juifs "Tout chrétien, clerc ou laïc doit s’abstenir de prendre part aux banquets des Juifs... il est indigne et sacrilège que des chrétiens touchent à leur nourriture..."

I) L’importance de Clovis pour la papauté, pour la dynastie capétienne puis pour la droite

I1) Le Testament de Saint Rémi

« Que de cette race sortent des rois et des empereurs qui, confirmés dans la vérité et la justice pour le présent et pour l’avenir suivant la volonté du Seigneur pour l’extension de sa sainte Eglise, puissent régner et augmenter tous les jours leur puissance et méritent ainsi de s’asseoir sur le trône de David dans la céleste Jérusalem ou ils règneront éternellement avec le Seigneur. Ainsi soit-il. »

(D’après Flodoard, Historia Ecclesiae Remensis)

I2) Textes postérieurs à Clovis et Saint Rémi

Citons par exemple, le moine Guibert de Nogent (1055-1125) dans son histoire de la première croisade qu’il intitule "Gesta Dei per Francos" : "L’action de Dieu passe par les Francs".

I3) L’Eglise royaliste et les royalistes eux-mêmes célèbrent en 1896 le 1400ème anniversaire du baptême de Clovis

Retenons seulement l’affirmation du cardinal Langénieux, archevêque de Reims « Vous avez fait de la France, ô mon Dieu, par le ministère de Saint Clotilde et de Saint Rémi, la fille première née de votre Eglise. »

I4) 1996 Quand l’Action française barre le chemin d’un défilé républicain hostile aux commémorations Clovis

Le samedi 14 septembre 1996, une phalange d’Action française barre la rue Clovis Hugues d’Aix en Provence. Casqués et masqués, ils mettent le feu à des bonnets phrygiens. Que font-ils là ? ils barrent la route d’un défilé bon-enfant qui va tenir une réunion hostile aux commémorations du 1500ème anniversaire du baptême de Clovis.

J) La gauche aveugle devant le rôle central de Clovis dans la tradition idéologique du royalisme absolutiste, du cléricalisme scolaire et du fascisme traditionaliste

Lorsque l’extrême-droite française puis la droite et l’Eglise ont décidé de valoriser cette tradition, de lui redonner vie à l’occasion du "1500ème anniversaire du baptême de Clovis" en 1996, la presse réputée "de gauche" s’est faite remarquer par la superficialité du traitement de ce sujet dans une majorité de ses articles.

Ainsi, par exemple, le journaliste réputé Renaud Dély a trouvé judicieux d’interviewer comme expert, l’universitaire et militant d’extrême-droite Raoul Girardet (Action française, OAS, Nation française), simplement présenté comme "historien" dans Libération du 13 avril 1996. Il est vrai que le courant maurassien se veut monarchiste de raison et non de tradition.

Dans cet entretien, certaines affirmations de Girardet sont exactes, par exemple "Clovis est plutôt sorti de l’esprit des milieux de l’extrémisme catholique. Pour ces gens-là, ce qui importe c’est le baptême. Clovis évoque à la fois la France chrétienne et l’adoubement monarchique... Le FN fait une gracieuseté aux catholiques traditionalistes en se joignant à ces célébrations."

Ceci dit, en présentant les cérémonies pour le 1500 ème anniversaire du baptême comme "la première exploitation politique de Clovis", il avance un mensonge. L’exploitation politique de Clovis est aussi ancienne que la tradition intellectuelle pré-fasciste française.

Quant au journaliste Renaud Dély, il gobe cette énormité et de fait, la valide dans l’entretien.

J1) Messieurs Dély et Girardet ignorent, semble-t-il, que l’exploitation politique significative du baptême de Clovis est ancienne. Deux périodes me paraissent décisives

* le moment où la monarchie française chercha à s’imposer comme principale dynastie du monde chrétien, c’est à dire au 15ème siècle

* surtout la naissance du pré-fascisme français de 1814 à 1830

Joseph de Maistre considère le baptême de Clovis comme une « élection divine » lui donnant le statut de fille aînée de l’Eglise, de Royaume aimé et chéri du Christ.

Durant tout le 19ème siècle, le camp de la Contre-révolution s’assemble lors de commémorations (en particulier le baptême de Clovis) célébrant la vocation catholique de la France autour de ses Rois, exaltant la « France, fille aînée de l’Eglise » et la fameuse Gesta Dei per Francos

Voici quelques citations prouvant le maintien du mythe de Clovis et de son baptême depuis un peu plus d’un siècle au coeur de la tradition idéologique du royalisme absolutiste, du cléricalisme scolaire et du fascisme traditionaliste.

J2) Messieurs Dély et Girardet ignorent, semble-t-il, l’importance de l’Encyclique "Nobilissima Gallorum gens" (Léon XIII 1884) dans la tradition cléricale française :

"La très noble nation française, par les grandes choses qu’elle a accomplies dans la paix et dans la guerre, s’est acquis envers l’Eglise catholique des mérites et des titres à une reconnaissance immortelle et à une gloire qui ne s’éteindra pas. Embrassant de bonne heure le christianisme à la suite de son roi Clovis, elle eut l’honneur d’être appelée fille aînée de l’Eglise, témoignage et récompense tout ensemble de sa foi et de sa piété. Souvent, dès ces temps reculés, vénérables frères, vos ancêtres, dans de grandes et salutaires entreprises, ont paru comme les aides de la Divine Providence elle-même. Mais ils ont surtout signalé leur vertu en défendant par toute la terre le nom catholique, en propageant la foi chrétienne parmi les nations barbares, en délivrant et protégeant les saints lieux de Palestine, au point de rendre à bon droit proverbial ce mot des vieux temps : Gesta Dei per Francos."

J3) Messieurs Dély et Girardet ignorent, semble-t-il, la longue et dure bataille des forces réactionnaires de 1871 à 1892 contre l’instauration du régime institutionnel de la république qui s’est faite autour du mythe du baptême de Clovis et du slogan "Vive le Christ qui aime les Francs".

J4) Messieurs Dély et Girardet ignorent, semble-t-il, l’importance donnée par le Vatican et toute l’Eglise à l’héritage de Clovis lors de la béatification de sainte Jeanne d’Arc par Pie X :

"Vous direz aux français qu’ils fassent trésor des testaments de Saint Remy, de Charlemagne et de Saint Louis, ces testaments qui se résument dans les mots si souvent répétés par l’héroïne d’Orléans : "Vive le Christ qui est Roi des Francs !"

J5) Messieurs Dély et Girardet ignorent, semble-t-il, l’importance donnée par le fascisme catholique dans les années 1930 et particulièrement par Pacelli Pie XII au baptême de Clovis :

" Une lumière resplendissante ne cesse de répandre sa clarté sur toute l’histoire de votre peuple ; cette lumière qui, même aux heures les plus obscures, n’a jamais connu de déclin, jamais subi d’éclipse, c’est toute la suite ininterrompue de saints et de héros qui, de la terre de France, sont montés vers le ciel. […]

Saint Rémi, qui versa l’eau du baptême sur la tête de Clovis... "

Cardinal Pacelli (futur Pie XII), 13 juillet 1937, extrait du discours prononcé à Notre-Dame de Paris.

J6) Messieurs Dély et Girardet ignorent, semble-t-il, l’importance donnée par la tradition machiste française à Clovis " « Quant à la terre, qu’aucune portion n’en échoie aux femmes, mais qu’elle aille toute au sexe masculin ». C’est en ces termes que la première loi salique, édictée par Clovis, roi des Francs saliens entre 507 et 511, écarte pour des centaines d’années les femmes du pouvoir, symbolisé par la possession de terres constituant les « royaumes ».

J7) Messieurs Dély et Girardet ignorent, semble-t-il, l’importance donnée par l’Etat français de Pétain à l’ancêtre Clovis par le choix de la francisque, "arme des Francs ", comme emblème.

En fait, le mythe de Clovis a joué un rôle central du début du pré-fascisme en France vers 1880 au fascisme pétainiste des années 1940. Il y aurait matière à rédiger un livre ou une thèse sur la question. Voici un extrait de l’article de fond rédigé par l’abbé Thellier de Poncheville et publié par les journaux catholiques pétainistes en juillet 1940 (par exemple le quotidien L’Union Catholique en date du 25 juillet) :

"Depuis ses origines au baptistère de Reims, tout le passé de notre pays proclame qu’il fut et demeure l’objet d’une sollicitude divine particulière...

" Ce qu’une expérience quinze fois séculaire nous a appris des desseins de Dieu nous autorise à interpréter sa conduite à notre égard...

" Sa bonté nous poursuit dans les violences mêmes qui viennent accomplir les apprêts nécessaires de cette tâche sainte.

" Elles ne nous frappent pas pour nous abattre mais pour nous relever. Car ce qui s’écroule, ce n’est pas notre pays, ce sont les erreurs qui l’égaraient... Dès qu’il sera purifié dans la souffrance, l’heure de sa délivrance sonnera."

J8) Messieurs Renaud Dély et Raoul Girardet ignorent, semble-t-il, l’importance du baptême de Clovis pour les dirigeants historiques de la droite française

Voici par exemple ce que dit le Général de Gaulle " Pour moi, l’histoire de France commence avec Clovis, choisi comme roi de France par la tribu des Francs qui donnèrent leur nom à la France... L’élément décisif pour moi, fut que Clovis fût le premier roi de France à être baptisé chrétien. Mon pays est un pays chrétien et je commence à compter l’histoire de France à partir de l’accession d’un roi chrétien..." (Les Trois Vies de Charles de Gaulle, Julliard 1965, p. 170)

J9) Pour ceux qui douteraient du maintien de ce mythe du baptême de Clovis, en 2010, qu’ils jettent un coup d’oeil sur le blog : "Le débat sur l’identité nationale a son site"

Dès la deuxième ligne de la page d’accueil, vous trouverez cette citation de Bernard Antony, animateur des catholiques traditionalistes au sein du Front national : " Le baptême de Clovis en 496 a remarquablement marqué et symbolisé tous les facteurs constitutifs de son identité pendant des siècles. Le germanique Clovis, de la tribu des Francs saliens, a été sacré roi selon des formes et une tradition d’essence biblique, symbolisée par les gestes judéo-chrétien de l’onction davidique par l’huile sainte, et celle du baptême dont s’inspire le sacre..."

K) En 1996, le 1500 ème anniversaire du baptême de Clovis

Il faut avoir en tête toute cette histoire du mythe de Clovis dans la tradition monarchiste absolutiste, cléricale, réactionnaire et fasciste française pour mesurer la gravité des cérémonies de 1996 à l’occasion du prétendu 1500ème anniversaire du baptême de Clovis.

K1) Les royalistes avaient mis en avant, les premiers, le 1500ème anniversaire du baptême de Clovis

Il faut dire que Clovis constitue le socle de leurs mythes : le prénom Louis des nombreux rois de France vient de Clodwigh ; les textes du baptême font du royaume de France le coeur de l’univers...

Les nobles se sont souvent prétendu descendants des Francs de Clovis pour justifier leur sang et leur race différente des autres Français. C’est ce qu’affirme par exemple Henri de Boulainvilliers "Après la conquête des Gaules, ils (les Francs) furent les seuls reconnus pour nobles, c’est à dire Maîtres et Seigneurs". C’est surtout lors de la naissance du préfascisme français de 1814 à 1830 que la théorie faisant des nobles une race à part, descendante des Francs (alors que le peuple venait de Gaulois esclaves) fut développée "Race d’affranchis, nous ne sommes point de votre communauté, nous sommes un tout par nous-mêmes. Votre origine est claire. La nôtre est claire aussi... Les Francs furent une sorte d’élite formée chez un peuple qui fut lui-même l’élite des peuples."

Il suffit au lecteur de cliquer aujourd’hui sur un site royaliste français et il constatera l’importance du postulat suivant " ce qui est implicite depuis Clovis, à savoir que le vrai Roi de France est Notre-Seigneur Lui-même et que le roi d’ici-bas n’est que son lieu-tenant."

Lors des déplacements du pape en Vendée, les nombreux drapeaux aux fleurs de lys et ceux marqués du Sacré-coeur vont rappeler dans quelle tradition idéologique se moule le pape lors de ce voyage.

K2) En 1996, le 1500 ème anniversaire du baptême de Clovis par le Front national

Derrière leur chef de file Bernard Antony, les catholiques traditionalistes du Front National avaient également pris les devants dès 1995 par la création d’un Comité Clovis. C’était logique pour l’extrême droite. Ils plaçaient ce roi ignare et assassin au fondement de "l’identité nationale française".

"Le baptême de Clovis en 496 a remarquablement marqué et symbolisé tous les facteurs constitutifs de son identité pendant des siècles. Le germanique Clovis, de la tribu des Francs saliens, a été sacré roi selon des formes et une tradition d’essence biblique, symbolisée par les gestes judéo-chrétien de l’onction davidique par l’huile sainte, et celle du baptême dont s’inspire le sacre. Dans sa soumission spirituelle à Saint Rémi, modèle des grands évêques défenseurs des cités face aux déferlements barbares, Clovis accomplit l’acte fondamental de l’intégration décisive de la France, « fille aînée de l’Eglise » dans la chrétienté."

A la mi-avril, le 1500 ème anniversaire du baptême de Clovis servit également de prétexte à un grand rassemblement national du FN dans la salle de la Mutualité. Le grand chef Jean-Marie put décliner sa panoplie héroïque de Clovis à Pétain ( « Le Maréchal, qui s’est efforcé de rassembler et protéger les Français »). Bernard Antony put stigmatiser « l’école de la République cosmopolite » et Bruno Gollnish remémorer les combattants de la LVF morts en Ukraine au sein de l’armée nazie.

K3) En 1996, le 1500 ème anniversaire du baptême de Clovis par les intégristes catholiques

Le lundi de Pentecôte 1996, la Fraternité Saint Pie X organise une messe sur le parvis de la cathédrale de Chartres au nom du 1500ème anniversaire du baptême de Clovis. L’abbé Xavier Aulagnier défend la "France chrétienne" contre "les rats féroces", " la juiverie et la franc-maçonnerie". Contre le concile Vatican II, il pointe l’ennemi principal d’aujourd’hui "Nous n’avons rien de commun avec ceux qui adorent le Coran".

K4) En 1996, le 1500 ème anniversaire du baptême de Clovis par la droite

La droite, victorieuse aux législatives de 1993 et aux présidentielles de 1995, se rêve pour longtemps au pouvoir. Aussi, son moi profond exhale l’odeur putride de la mythologie fasciste traditionaliste française. Elle décide de baptiser 1996 comme "l’année Clovis".

Le 20 janvier 1996, en visite d’Etat au Vatican comme président de la république française, Jacques Chirac rencontre le pape Jean-Paul II et l’ assure de la fidélité de la France, « fille aînée de l’Église ».

Le 2 avril 1996, Alain Juppé, premier ministre, installe un " Comité pour la commémoration des origines : de la Gaule à la France", chargé de célébrer le 1500ème anniversaire du baptême de Clovis et le 1600ème anniversaire de la mort de Saint Martin. La symbolisation des "origines de la France" par ces deux dates religieuses mythologiques pose éminemment problème pour une nation dont la Constitution affirme qu’il est laïque. Juppé n’en a cure ; pour lui, la République "ne peut occulter la dimension authentiquement religieuses du baptême de Clovis" et "ignorer la part essentielle qui revient à la foi religieuse dans la constitution du patrimoine national, ni le rôle des confessions dans la vie présente et future de notre vie sociale."

K5) En 1996, le 1500 ème anniversaire du baptême de Clovis par l’Eglise de France

Monseigneur Lustiger, cardinal de Paris, assume parfaitement la mythologie du baptême de Clovis et l’importance qui lui a été donnée " L’histoire du baptême de Clovis fait partie du patrimoine national et même du patrimoine de l’Europe."

En fait, la signification donnée au baptême de Clovis par l’Eglise de France ne se différencie pas de celle développée par les royalistes, les intégristes et le Front National. Durant cette année 1996, une prière est affichée sur la cathédrale symbolique de Reims faisant de ce baptême "l’aube de l’histoire de France".

Après avoir rappelé le fondement raciste du mythe Clovis pour le pré-fascisme et le fascisme français, Pierre Bergé résume bien le problème posé par l’attitude de l’Eglise en 1996 "La résurgence, à la fin du XXème siècle, des spéculations sur les origines franques, dans le cadre de cérémonies organisées de façon provocantespar l’Eglise de France, montre bien qu’en dépit de Vatican 2... cele-ci demeureencore engluée dans une conception rétrograde, religieusement connotée de la nation et de son passé." (L’affaire Clovis, Editions Plon).

K6) Le voyage idéologiquement très clérical conservateur de Jean-Paul II à l’occasion du le 1500 ème anniversaire du baptême de Clovis

Les étapes du voyage de Jean-Paul II me paraissent préparées pour soutenir moralement ce qui reste du courant fasciste clérical en France : au coeur des terres de Philippe de Villiers pour le 20ème siècle, Saint Anne d’Auray pour la mémoire des Chouans, Saint Louis-Marie Grignon de Montfort pour les Anti-Lumières et l’écrasement des hérétiques aux 17ème et 18ème siècles.

K7) Prise en charge des frais du voyage par l’Etat et les collectivités publiques

L’Etat, des conseils régionaux, des conseils généraux, des communes ont payé les frais de ce voyage pourtant bien plus politique et antirépublicain que religieux.

Conclusion

La Tradition idéologique cléricale est bâtie comme un ordre immuable créé par Dieu le Père, reposant sur le roi et l’Eglise. Elle utilise des récits symboliques pour valider historiquement et pour légitimer la hiérarchie sociale de la féodalité puis de la royauté absolue (noblesse, haut clergé).

Les débats autour du Bicentenaire de la révolution française comme sur le 1500 ème anniversaire du baptême de Clovis ont montré que les courants idéologiques conservateurs héritiers de cette Tradition, n’ont guère bougé, sur le fond, depuis le fascisme clérical des années 1924 à 1944. Dans ce contexte, les républicains et socialistes doivent s’efforcer de dissiper les mythes sur lesquels se fonde leur propagande.

Jacques Serieys


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