«  La police nie systématiquement les violences  »

mardi 28 février 2017.
 

À Aulnay-sous-Bois comme lors d’autres affaires, ces violences sont toujours contestées par l’institution. Elles visent pourtant des territoires et des populations bien précis…

Responsable de l’Acat France (Association chrétienne pour l’abolition de la torture), Aline Daillère a signé l’an dernier le rapport intitulé «  L’ordre et la force  ». Une radiographie des violences policières qui avait recensé un décès par mois en moyenne, au cours des cinq dernières années, imputable à des opérations de police ou de gendarmerie. Elle dresse un état des lieux guère rassurant, alors que l’émotion suscitée par l’affaire d’Aulnay-sous-Bois ne retombe toujours pas.

Pour de nombreux habitants des quartiers populaires, les affaires d’Aulnay-sous-Bois, Beaumont-sur-Oise ou Drancy sont la face émergée de violences beaucoup plus nombreuses. Qu’en est-il  ?

ALINE DAILLÈRE En la matière, l’institution policière est d’une opacité extrême et pratique le déni systématique. Lors de notre enquête, nous avions étudié 89 cas de blessures graves survenues entre 2005 et 2015 ayant entraîné la mort pour 26 d’entre eux. Mais, à l’exception de deux ou trois cas qui nous ont été transmis par des avocats, ce ne sont que des affaires qui ont été médiatisées d’une manière ou d’une autre. Sans le relais journalistique, nous n’en aurions jamais entendu parler. Quand ces affaires revêtent un caractère de violence sexuelle (comme dans le cas du jeune Théo à Aulnay – NDLR), cette dimension complique encore la donne, ce type d’abus étant souvent dissimulé par les victimes.

Nous traversons une séquence politique très brutale, avec l’état d’urgence, les violences lors des manifestations anti-loi travail, la mort d’Adama Traoré… Quel bilan dressez-vous du quinquennat en matière policière  ?

ALINE DAILLÈRE Le PS a suivi la lancée de la droite, en amplifiant le mouvement. L’usage des armes «  non létales  » – Flash-Ball, Taser, grenades de désencerclement – s’est massifié. Deux lois sur l’usage de la force ont été votées. Celle sur la possibilité d’ouvrir le feu en cas de «  périple meurtrier  », en juin 2016, et la réforme sur «  les conditions d’ouverture du feu  », étudiée hier à l’Assemblée. Depuis deux ans, et dans le sillage des attentats, nous n’avons cessé de franchir de nouveaux caps dans la violence. C’est devenu normal d’éborgner un gamin en manif ou de faire des tirs de sommation à balles réelles contre des jeunes, comme ce fut le cas lundi soir à Aulnay.

La violence semble se concentrer sur des territoires comme la Seine-Saint-Denis ou des populations ciblées, en raison de leur couleur de peau…

ALINE DAILLÈRE Là aussi, l’opacité policière fait que nous manquons de chiffres pour une étude plus précise. Impossible de savoir aussi si un commissariat comme celui d’Aulnay-sous-Bois se distinguait déjà en termes de violences. Mais il y a des faits récurrents et indubitables. Les violences se concentrent dans les quartiers populaires, les périphéries des grandes villes. Et elles sont le plus souvent accompagnées d’injures racistes. Sur les 26 décès que nous avons étudiés, seul quatre concernent des personnes blanches (dont le militant zadiste Rémi Fraisse). La question du racisme nécessiterait une remise à plat spécifique des procédures policières et de la manière dont elles visent les personnes de couleur.

Pourquoi les policiers auteurs de violence échappent-ils aussi souvent à la justice  ?

ALINE DAILLÈRE Parce qu’il y a une véritable omerta de l’institution policière. Les auteurs ne sont pas dénoncés et l’enquête est réalisée par d’autres policiers. Du côté de la justice, la proximité entre magistrats et policiers complique aussi la menée des instructions. Enfin, dans l’opinion publique, il existe aussi une forme d’indulgence qui remonte avant même les attentats. Elle dit en substance ceci  : «  Les policiers font un métier difficile, alors, un petit dérapage de temps à autre, ce n’est pas si grave.  » C’est évidemment une idée aberrante, tant ces violences sont puissamment contre-productives.

Entretien réalisé par Mehdi Fikri, L’Humanité


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