Suite de la discussion sur le bilan du lambertisme… (Pierre Salvaing)

mardi 13 mars 2018.
 

Réponse ou éléments de réponse aux réflexions de Robert Duguet ( par Pierre Salvaing)

Lambertisme... Quelques réflexions sur le travail de Pierre Salvaing inspirées par ma propre histoire (Robert Duguet)

Pour un bilan du lambertisme, résumé succinct du travail de Pierre Salvaing

Le 8 janvier 2017

Les réflexions de Robert Duguet apportent déjà à mon travail une réponse très positive, puisqu’il éveille discussion. J’espérais, sans pouvoir en être certain, que ce serait le cas. Et j’espère qu’il aidera à ce que d’autres bouches s’ouvrent pour comprendre ce passé, non par nostalgie ni acrimonie quelconque, mais comme élément indispensable dans la perspective d’une construction.

La confrontation des expériences est absolument nécessaire concernant l’histoire de l’OCI-PCI. Il ne s’agit en rien d’une histoire morte : les succédanés de l’OCI-PCI existent encore, et constituent à mon avis un obstacle important à la perspective de construction d’un parti et d’une internationale révolutionnaire.

L’expérience personnelle à partir de quoi Robert Duguet construit ses réflexions n’est pas du tout la mienne, bien que nous ayons été tous deux des militants de longue date. La sienne manquait à peu près absolument à mon travail : je n’ai pas pu trouver au cours de son élaboration d’anciens militants ayant été investis dans le PS, comme il l’a été. C’est une carence importante dont j’avais conscience.

Sur quelques points cruciaux, il apporte un éclairage qui enrichit et modifie en partie l’analyse que j’ai tenté de faire, principalement à partir de la question des relations entre la direction de l’OCI et celle du PS, pas seulement.

1/ Sur la question de la période historique : si je pense que l’expression « imminence de la révolution » est profondément fausse, parce que l’ensemble du cycle historique ouvert avec la révolution russe, avec l’ « ère des guerres et des révolutions » répond à cette caractérisation. Je pense qu’il aurait été beaucoup plus juste de se cantonner à définir la période comme une de celles, au XXème siècle, où le prolétariat eut l’initiative dans la lutte des classes, à l’échelle internationale. La précédente avait été l’immédiat après-guerre. A partir de 1968, les conditions semblaient bien encore plus favorables, d’abord par leur caractère plus général – y compris aux Etats-Unis -, s’étendant à certains pays où était en jeu la question de la révolution politique, ensuite par le développement de l’OCI et d’autres organisations trotskystes comme le POR de Bolivie.

« Imminence de la révolution » : ces termes racoleurs eurent en effet beaucoup d’effet – et de conséquences matérielles - sur les jeunes militants dont j’étais… Etait-ce leur fonction ?

De ce point de vue, je suis cependant en désaccord avec la qualification de « la période qui s’ouvre en 1970 » comme étant « celle d’une décomposition constante et profonde des représentations de la classe ouvrière, plaçant celle-ci en position de ne pas pouvoir trouver une alternative anticapitaliste ». Comme révolutionnaires, nous avons toujours combattu – ou affirmé combattre, ce serait bien plus juste s’agissant du PS - pour la destruction des partis ouvriers bourgeois au profit de la construction de la IV° Internationale et de ses partis nationaux. Dans la période considérée, ouverte en 1968, et qui dure jusqu’environ au milieu des années 80, cette « décomposition constante » dont parle Robert Duguet est surtout manifeste en ce qui concerne l’appareil stalinien. Elle touche aussi la social-démocratie, délitée internationalement (la IIème…), et envahie par le Bad-Godesberg déjà inauguré en Allemagne. Mais cette décomposition était positive : elle accompagnait, d’une part une montée générale du prolétariat à l’assaut du pouvoir dans de nombreux pays importants, d’autre part la progression dans ce que nous pensions aller vers la reconstruction de la IV (lutte contre le pablisme comprise). Autrement dit, la question de la « recomposition du mouvement ouvrier sur un nouvel axe », pour reprendre une expression mille fois ressassée, pouvait être à l’ordre du jour. Et nous pouvions nous fixer l’ambitieux et nécessaire objectif : la IV° Internationale devait être cette fois « au rendez-vous de l’Histoire ».

Bien entendu, même pendant cette période, le capital n’a pas cessé ses attaques, il n’avait pas le choix. Mais celles-ci se heurtaient alors à des résistances, voire à des explosions sociales, qui n’avaient pas de rapport avec ce qui se passe aujourd’hui.

Je ne suis pas d’accord avec ce que Robert Duguet qualifie de « nouvelle étape de développement du capitalisme ». Le début des années 70 marquait alors précisément l’inverse : la fin des trois décennies de reconstitution d’après-guerre des forces productives massivement détruites depuis l’ouverture de la crise de 1929.

L’erreur fondamentale de l’OCI à l’époque, j’y reviens longuement, ne porte pas sur l’analyse des événements, pas davantage que ses analyses économiques, mais sur les prévisions auxquelles elle s’est crue autorisée, qui se transformèrent vite en prédictions indiscutables, mécaniques, mécanistes. Soudain disparaissait, et durablement, la dimension essentielle (toujours à mes yeux) de la nécessaire existence d’un parti et d’une internationale révolutionnaires pour permettre à la classe de prendre le pouvoir. Or c’est précisément un trait essentiel de cette période : elle permettait le développement d’organisations révolutionnaires, la marche à la construction de partis constituants de l’Internationale. On ne peut expliquer le développement rapide de l’OCI ces années-là à partir des accointances de sa direction-Lambert avec certains appareils.

(Car l’ensemble de mon travail, et c’est peut-être sa contradiction volontaire, est que j’ai voulu en faire un travail militant. Mon point de vue est fondamentalement interne : je suis un produit des décennies que j’ai passées, d’abord dans l’OCI-PCI, ensuite dans le Comité qui en représentait à mes yeux la continuité historique véritable bien que très limitée. Ma conviction demeure qu’en dépit de toutes ses tares, l’OCI fut en France l’organisation la plus à même de combattre sur des positions révolutionnaires. Ce qu’elle fit sur le plan international, je ne l’ai pas travaillé, je m’interdis donc d’en parler à ce stade.)

La situation actuelle est pratiquement inversée : la bourgeoisie est à l’initiative depuis plusieurs décennies ; la décomposition accélérée des organisations ouvrières, partis et syndicats se fait de manière différenciée, et certes pas au profit du « nouvel axe » annoncé et attendu. La puissance organique de la classe a été largement entamée dans des pays comme la France, l’Italie, etc. La perte « objective » de son poids social dans un pays comme la France n’est pas seulement du domaine quantitatif : elle a des répercussions importantes sur la conscience dans la mesure où elle est le produit de défaites face à la bourgeoisie, et le produit de défaites impulsées, organisées par les appareils, qui s’y sont en quelque sorte, et comme de juste, sacrifiés, au moins y ont sacrifié leur influence sur le prolétariat.

D’une part, la classe ouvrière perd ses organisations politiques traditionnelles. D’autre part, la marche des syndicats à l’intégration à l’Etat se poursuit. Mais les deux facteurs majeurs sont, d’une part, que l’initiative politique appartient à présent à la bourgeoisie (indépendamment de l’usage qu’elle peut en faire, encore dans l’état de crise avancée où elle se trouve sur le plan international comme sur les plans nationaux), et d’autre part que la IVème Internationale est définitivement morte tandis que la perspective de la révolution politique a perdu tout champ d’action. C’est ce qui fait la valeur du texte Une nouvelle perspective adopté par le Comité de Just quelques semaines avant la mort de ce dernier, dont je cite des extraits dans mon travail.

Cette disparition des partis ouvriers-bourgeois (l’éclatement du PS et sa transformation en parti bourgeois sont à l’ordre du jour, semble-t-il bien) et de toute organisation d’un peu de poids pouvant prétendre à représenter une continuité dans le combat pour l’Internationale ouvrière révolutionnaire, prépare une situation où, dans le cas de l’explosion d’une crise économique ouverte générale, la classe ouvrière serait singulièrement plus désarmée qu’elle ne le fut dans les années 30. Le fait que, de la révolution russe, il ne reste plus que la commémoration de son centenaire, est une composante essentielle de la situation actuelle.

2/ Je partage pleinement ce que dit Robert Duguet à propos du PS à partir des dernières années 70. La « stratégie de la LOR » signifiait alors, si on lui accorde quelque valeur, s’intéresser d’abord à ce qui pouvait se passer à l’intérieur du PS. La classe ouvrière – une partie combattante d’entre elle - pouvait voir dans le PS une sorte de levier permettant de s’opposer au stalinisme encore dominateur. Le renforcement de l’influence politique du PS en France est concomitant de la montée prérévolutionnaire (j’utilise encore ce qualificatif bien qu’il ait pris désormais pour cette période une connotation dégradée). C’est, comme l’écrit Robert Duguet, à l’intérieur du PS que pouvaient alors se développer des courants centristes, et pas à l’extérieur.

Si la direction de l’OCI ne l’a pas vu ou n’a pas voulu le voir, c’est certainement parce qu’elle avait déjà engagé, sous l’impulsion de Lambert, avec la direction du PS, les marchandages et les offres d’allégeance que Robert Duguet décrit, et dont je n’avais pas vu grand’chose. De ce point de vue, je me demande si l’on ne peut pas aller jusqu’à dire que la manière dont ces dizaines de militants valeureux furent confiés à la direction du PS ne servit pas au contraire à s’opposer à l’émergence de véritables courants centristes évoluant vers la IV° Internationale. Et je pense que Lambert en était parfaitement conscient.

Mon travail ne rend effectivement pas compte de cet aspect majeur : si Lambert a impulsé dès longtemps une politique secrète d’accords pourris avec la social-démocratie, en même temps qu’il les passait avec l’appareil majoritaire dans FO, et dans une moindre mesure, et moins longtemps avec celui de la FEN, la partie essentielle de ces accords se faisait à l’insu de sa propre organisation et s’opposait à l’orientation générale, affirmée, de l’OCI.

Il n’y avait pourtant pas d’écran total entre les deux positions au moins au niveau de la direction : la présence d’Alexandre Hébert à la direction de l’OCI depuis le milieu des années 60, acceptée par toute la direction - qui acceptait également de la tenir cachée à l’organisation - est un élément plus que troublant, et beaucoup plus qu’anecdotique. C’est, du point de vue du « centralisme démocratique » dont l’OCI avait fait officiellement son guide de fonctionnement, un manquement majeur, criant.

Je trouve donc que Robert Duguet est parfaitement fondé à dire que les militants investis dans le PS étaient « prêtés » à sa direction plutôt que destinés à y construire une force, et qu’ils ont donc été amenés à conduire dans le PS une politique conforme aux intérêts de sa direction, une politique contrerévolutionnaire. C’est un bilan très lourd qui demande(rait) à être tiré de manière plus complète. Nous avons ainsi notamment nourri le « mélenchonisme », qui est fort éloigné de la politique d’un Marceau-Pivert en effet.

Je ne reprends qu’en partie à mon compte ce que Robert Duguet explique sur la position de l’OCI en 1974, tout en corrigeant mon appréciation qui en fait une position correcte. En 1974, la direction Lambert de l’OCI n’était encore qu’à mi-chemin de ce qu’elle allait parachever en 1981. Car il reste à mes yeux que cette position n’est pas absolument comparable à celle de 1981 : en 1974, l’OCI critiquait encore ouvertement le programme de la social-démocratie, ce qui disparait totalement en 1981.

De même, si je suis d’accord sur le fait qu’il faut revoir, et au moins fortement nuancer, la qualification de ce qui sortit du congrès d’Epinay de 1971, je reste cependant convaincu que l’opération qui visait à transformer la SFIO en parti bourgeois a échoué. Cet échec n’a pourtant pas laissé la SFIO, devenue PS, intacte. Les courants ouvertement pro-bourgeois en ont été renforcés.

3/ Sur la question de la laïcité, je ne suis pas remonté à ses principes comme le fait Robert Duguet. Cette question ne m’est apparue qu’en déroulant mon travail, incidemment en quelque sorte, ce qui m’a amené à m’interroger sur la correspondance entre l’asservissement à la bureaucratie Force Ouvrière, l’entreprise de destruction de la FEN, et les mots d’ordre étêtés de leur nécessaire développement révolutionnaire, qui furent – et demeurent - ceux employés au sujet de l’école, de la laïcité, matérialisés par la défense et la promotion de la loi bourgeoise de 1905. Je ne l’ai donc analysée qu’en tant qu’instrument, cheval de Troie construit par Lambert et cie. pour finaliser la destruction de l’OCI. C’est pour cela que j’utilise la comparaison entre les deux mots d’ordre : Fonds publics à l’école publique et une seule école, l’école laïque.

Les remarques de Robert Duguet sur la FCDL et la Libre-Pensée me paraissent tout à fait pertinentes. Tout cela est à relier avec les positions de la bureaucratie majoritaire dans FO (dont Hébert est une composante à part entière).

Et si mon texte donne l’impression que j’oppose la question des libertés démocratiques au programme révolutionnaire, c’est une maladresse (que je ne pense d’ailleurs pas avoir commise) et certes pas une conviction.

4/ Je ne crois pas moi non plus que les positions de Stéphane Just en 1983, ni même au printemps 1984, étaient d’une grande solidité. J’en ai beaucoup discuté avec lui avant de rejoindre le Comité. Il avait énormément hésité avant de s’engager dans la bataille, il n’avait pas analysé clairement le tournant pris en 1980-81, n’avait rien vu de la question jeune, essentielle pourtant, etc... J’énumère ces carences dans la partie 1984. Ce n’est qu’après coup qu’il a repris et creusé certaines de ces questions, sans pouvoir aller jusqu’au bout de son projet (il n’en a pas eu le temps).


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