Les catholiques pratiquants moins tolérants envers les musulmans – Un « décrochage » par rapport à l’ensemble des Français

samedi 20 août 2016.
 

Les catholiques français sont réputés papistes, mais cela n’a pas empêché certains d’entre eux d’être interloqués par les propos récents de François sur l’islam.

Dans l’avion qui le ramenait des Journées mondiales de la Jeunesse (JMJ) de Cracovie (Pologne), dimanche 31 juillet, le pape s’est exprimé ainsi, quelques jours après le meurtre du Père Jacques Hamel dans une église de Saint-Etienne-du-Rouvray (Seine-Maritime) :

« Je n’aime pas parler de violence islamique. (…) Si je parlais de violence islamique, je devrais également parler de violence catholique. (…) Dans presque toutes les religions, il y a toujours un petit groupe fondamentaliste. (…) Il n’est pas juste d’identifier l’islam avec la violence. Ce n’est pas juste et ce n’est pas vrai ! »

Certains catholiques ont été heurtés par ce qu’ils ont perçu comme un déni des motivations djihadistes des deux jeunes assassins du prêtre catholique tué en plein culte. Or, cet attentat à la charge symbolique dévastatrice est survenu dans un contexte marqué, depuis plusieurs mois, par une défiance croissante des catholiques, notamment pratiquants, envers l’islam, indique une étude de l’IFOP, sur la base de sondages effectués ces dernières années, et en particulier depuis les attentats de janvier et de novembre 2015. Controverses incessantes dans le débat public autour des signes visibles de l’islam, crise migratoire et attentats ont tissé une trame qui inquiète plus particulièrement la composante catholique du pays.

« Raidissement »

Initialement, pourtant, les catholiques se définissant comme pratiquants étaient légèrement plus tolérants que la moyenne des Français envers les signes de la visibilité de l’islam, comme le port du voile à l’école et, dans une moindre mesure, la construction de mosquées. Mais cette relative ouverture aux manifestations de religiosité de la part des adeptes de la confession historiquement majoritaire s’est effacée ces dernières années, au point d’être aujourd’hui inférieure à celle de la moyenne nationale.

Ainsi, entre octobre 2012 et avril 2016, la part des catholiques pratiquants opposés à l’édification de mosquées est passée de 40 % à 55 %, contre 43 % à 52 % pour l’ensemble des Français. Ils sont aussi devenus plus nombreux (67 %, soit + 13 points en quatre ans) que les autres (63 % pour l’ensemble de la population, niveau inchangé) à rejeter l’idée que les jeunes filles puissent être autorisées à porter le voile à l’école publique.

Ce « raidissement vis-à-vis de l’islam, encore plus prononcé parmi les catholiques pratiquants que dans l’ensemble de la population », note l’IFOP, se manifeste aussi dans le regard qu’ils portent sur l’islam en général. Sur la même période, qui va de 2012 à 2016, ceux qui pensent que la présence de musulmans est « une menace pour l’identité de notre pays » sont passés de 47 % à 55 % chez les catholiques pratiquants, contre 43 % à 47 % pour l’ensemble des Français.

« L’égorgement du prêtre a été un choc émotionnel, résume Jérôme Fourquet, directeur du département opinion de l’IFOP, mais beaucoup de choses étaient déjà en gestation dans l’opinion catholique »

On relève même une progression de 11 points des catholiques pratiquants, pour qui « l’influence et la visibilité de l’islam sont trop importantes ». Dans l’ensemble de la population, cette opinion est restée presque stable, passant de 60 % à 63 % en quatre ans. « L’égorgement du prêtre a été un choc émotionnel, résume Jérôme Fourquet, directeur du département opinion de l’IFOP, mais beaucoup de choses étaient déjà en gestation dans l’opinion catholique. »

Le décrochage entre les catholiques pratiquants et l’ensemble des Français est spectaculairement mis en évidence par la question de l’« amalgame » entre musulmans et islamistes radicaux. En février 2015, après les tueries de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher, les catholiques pratiquants ne se distinguaient presque pas du reste des Français dans ce domaine : 64 % d’entre eux (et 62 % de l’ensemble des Français) jugeaient qu’il « ne faut pas faire d’amalgame » entre « les musulmans qui vivent paisiblement en France » et « les islamistes radicaux qui représentent une menace », un tiers des Français (32 %) considérant au contraire que « l’islam représente une menace ».

Déclin démographique

Mesuré immédiatement après l’assassinat du Père Jacques Hamel, après la série d’attentats qui l’ont précédé, l’équilibre n’a pas changé dans l’ensemble de la population. En revanche, la part des catholiques refusant l’amalgame a reculé de 15 points et celle considérant l’islam comme « une menace » a progressé de 12 points.

« L’idée d’une concurrence, d’une asymétrie entre la religion catholique, historique mais en déclin démographique, et un islam perçu comme en pleine dynamique démographique » contribuerait à dégrader l’image de l’islam davantage aux yeux des catholiques pratiquants que pour reste de la population, avance Jérôme Fourquet. Cette sourde inquiétude pourrait favoriser des crispations autour des récents propos du pape François sur l’islam.

Compte tenu de cette méfiance croissante à l’égard de l’islam, la crise des migrants – dont beaucoup sont musulmans – en Méditerranée a plongé les catholiques pratiquants dans un trouble évident. Entre septembre 2015 et mars 2016, la part d’entre eux favorable à l’accueil de ces migrants avait chuté de 10 points, passant de 48 % à 38 %, soit un recul supérieur à celui enregistré dans l’ensemble de la population (46 % à 42 %). Il a fallu le spectaculaire déplacement du pape François dans l’île grecque de Lesbos, le 16 avril, pour que l’adhésion des catholiques pratiquants à l’accueil de migrants, qui était tombée au-dessous de celle exprimée par l’ensemble des Français, rebondisse de 16 points. Il n’en demeure pas moins que seule une petite moitié (54 %) des pratiquants adhère à ce message pontifical, à peine plus que la moyenne nationale (46 %).

Encore faut-il noter que si, à Lesbos, Jorge Bergoglio avait su avoir l’oreille d’une partie des catholiques pratiquants, il n’a en revanche pas été entendu par ceux qui se disent catholiques non pratiquants, de loin les plus hostiles à une politique d’accueil (37 % seulement y sont favorables). Ce sont aussi ces catholiques « culturels », éloignés de toute pratique, qui font le plus de différence entre l’accueil de chrétiens d’Orient et celui des migrants en général. « Chez eux, note M. Fourquet, le devoir de miséricorde ne contrebalance pas l’inquiétude sécuritaire et identitaire. » Et ils semblent imperméables aux paroles du chef de l’Eglise catholique.

Cécile Chambraud

* LE MONDE | 13.08.2016 à 07h32 • Mis à jour le 13.08.2016 à 10h32


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