Le 5 juin insoumis à Stalingrad

mercredi 1er juin 2016.
 

Editorial hebdomadaire national du Parti de Gauche

Le gouvernement Valls est devenu un bateau ivre aux embardées toujours plus dangereuses. Il aura tout tenté pour passer en force la troisième réforme structurelle promise depuis janvier à Bruxelles en échange d’un assouplissement de la règle d’or : l’intimidation, la répression et la division du mouvement social, les vraies fausses concessions, le 49-3 faute de majorité à l’Assemblée nationale et, ces jours-ci, l’attaque frontale contre la CGT à l’aide du même vocabulaire que celui utilisé contre le terrorisme (« prise en otage du pays », « syndicat radicalisé », etc.).

Mais contrairement aux lois Macron et Rebsamen, celle à laquelle Mme El Khomri a donné son nom rencontre une bien trop forte résistance pour un exécutif de moins en moins légitime. Rien de plus normal puisqu’elle touche à la structure juridique même de la protection sociale en France. En outre elle fédère aujourd’hui tous les mécontentements sociaux qui se sont accumulés depuis des mois.

Le mur n’a donc pas cédé. Au contraire même il s’est renforcé. Selon les sondages plus de 70 % des français-es s’opposent à la loi et malgré la propagande gouvernementale, ils seraient plus de 60 % à juger le gouvernement responsable du blocage du pays ! On a compté au moins le double de manifestant-e-s lors de la journée du 26 mai que la semaine précédente, ce qui préfigure bien de la manifestation nationale du 14 juin.

Plusieurs raisons à cela.

D’abord la ficelle est trop grosse, les responsables gouvernementaux et socialistes utilisent les mêmes arguments et méthodes que de Villepin face au CPE ou Sarkozy face au mouvement contre sa loi retraite, sauf qu’à l’époque ils les dénonçaient. Valls peut bien prendre un air martial, les français-es ont la mémoire politique trop longue pour tomber dans le panneau.

Le front syndical du retrait tient bon et se solidarise des blocages et des grèves sectorielles reconductibles qui s’additionnent efficacement. Tout se passe comme si les salarié-e-s de secteurs privés plus fragiles et moins syndicalisé-e-s faisaient ainsi grève par procuration. Ce n’est pas nouveau, rappelons-nous du mouvement de novembre/décembre 1995 contre le plan Juppé où les cheminots jouaient ce rôle de fer-de-lance de la contestation sociale. Voilà pourquoi, à la surprise des gouvernants, les français-es sont largement solidaires de blocages et grèves même quand cela les gêne dans leur vie quotidienne : ils savent que c’est fait également en leur nom.

Enfin, le gouvernement qui espérait tirer avantage de l’Euro de Foot pour juguler le mouvement pourrait se le prendre en pleine figure. D’une part, le match de finale de coupe de France PSG/OM au Stade de France a montré le fiasco des dispositifs et mesures de sécurité prévus. D’autre part, on ne voit pas comment Cazeneuve va pouvoir mobiliser les 60 000 fonctionnaires de police nécessaires à cette fin tout en comptant sur les mêmes forces de l’ordre comme dernier rempart à un mouvement aux formes multiples. C’était déjà un exercice dangereux, cela deviendrait explosif.

Enfin la possibilité d’adoption d’une motion de censure du gouvernement devient plus crédible. À droite ils sont en effet de plus en plus nombreux à annoncer qu’ils voteraient une motion présentée par des députés de gauche. Or il n’avait manqué que deux voix lors de la première lecture. Depuis, les signes de craquement dans la majorité se sont amplifiés jusqu’à plusieurs députés légitimistes appelant à revenir sur l’article 2, clef de voûte de la loi, car contenant l’inversion des normes.

La probabilité que le gouvernement cède sur la loi n’a donc jamais été aussi forte. Elle est proportionnelle à la volonté et la combativité accrues de ses opposant-e-s. Avec elle c’est très certainement aussi le Premier ministre qui sauterait. Il est temps. Cela ne changerait pas le fond de la politique de François Hollande, mais Valls accroît dangereusement la tension dans ce pays par sa manière autoritaire de gouverner. Chef de gouvernement, il est doublement responsable des effets pratiques de ses déclarations : il est donc le responsable direct, avec Cazeneuve, de la violence policière constatée le 26 mai un peu partout en France et cette fois quasi à sens unique ; il est le responsable indirect des pulsions qui ont conduit des chauffards à foncer sur des piquets de grève au point de blesser très grièvement un syndicaliste CGT à Fos S/mer. Ce provocateur qui fustige, manie des propos incendiaires et parle des grévistes comme les pires ministres de droite, installe une ambiance détestable.

Oui, il est temps que ces gens qui font mal au pays s’en aillent : Valls de suite, Hollande et consorts dans un an. Le basculement des sociolibéraux (socio ? Quand ? où ça ?) de l’autre côté de la barricade a un effet dévastateur sur l’économie, l’emploi, la démocratie, la désorientation des peuples. Ils ne peuvent prétendre en rien faire barrage à la montée de la nouvelle forme de peste brune qui infecte l’Europe. Au contraire, ils en font le lit. En faisant une politique de droite comme en France, en gouvernant carrément avec elle comme en Allemagne ou en Autriche, ils lui font même la courte échelle. Quand ils n’en viennent pas carrément à s’allier avec l‘extrême-droite comme le SPO autrichien l’a fait en région avec le FPO. Comment dans ce cas s’étonner qu’après plusieurs pays de l’Est, l‘Autriche ait été à deux doigts de se donner un président néo-fasciste ? Il a fallu un sursaut démocratique qui s’est porté sur un candidat écologiste indépendant pourtant lâché par le SPO qui a poussé l’ignominie jusqu’à ne même pas donner de consigne de vote.

Tant mieux, nous en sommes heureux. Mais là-bas comme ici, ce n’est que partie remise s’il ne survient pas une alternative franche au système qui étrangle les peuples européens. En Espagne elle peut venir aux législatives de juin de l’alliance entre Podemos et IU. En France, c’est le 5 juin qu’elle démarre avec le défilé des insoumis-es à Stalingrad. On ne pouvait finalement rêver mieux que cette date qui s’intercale entre celles de mobilisations contre la loi El Khomri. Elle contribuera ainsi au même combat : on peut battre la loi El Khomri dans les mobilisations sociales en juin, on peut battre le système par une révolution citoyenne par les urnes en mai 2017. Les deux sont possibles, les deux sont souhaitables, les deux sont indispensables. Voilà pourquoi le PG soutient la mobilisation des syndicats de salarié-e-s, des jeunes, des citoyen-ne-s de Nuit Debout, de tous ceux qui refusent l’ubérisation de la société comme ces inattendus chauffeurs de taxis qui appellent à battre la loi. Et comme nous ces mêmes chauffeurs de taxi soutiennent dans le même temps la proposition de candidature de Jean-Luc Mélenchon.

Une candidature qui paraît bien aujourd’hui le seul espoir pour éviter un duel entre le FN et la droite au 2ème tour des présidentielles et donc ouvrir l’espoir pour nous tou-te-s. Oui, le 5 juin rendez-vous à tou-te-s les insoumis-es à Stalingrad !

Eric Coquerel

Coordinateur politique du Parti de Gauche


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