La loi travail décortiquée

mardi 7 janvier 2020.
 

Article original : http://robertmascarell.overblog.com...

La loi travail n’est pratiquement faite que de régressions sociales. Le prétexte à cette loi est la prétendue crise économique dans laquelle serait plongé notre pays. D’après le MEDEF et les gouvernements qui le servent sans discontinuer depuis 1983, cette supposée crise est due à nos trop importantes dépenses publiques, à notre manque de compétitivité, au coût du travail trop élevé. Bref, nous vivons au-dessus de nos moyens. Circonstance aggravante, le Code du travail est trop épais, trop compliqué. Il empêche les embauches. Il faut le réformer coûte que coûte. La loi travail est donc indispensable. Dixit le gouvernement, le MEDEF et la droite.

. 1ère RÉGRESSION : LE RETOUR AU DROIT D’AVANT 1910

Avant 1910, il n’existait pas de droit du travail. Quand, par hasard, il existait un écrit entre le salarié et son patron, il ne s’agissait pas d’un contrat de travail, mais d’un simple contrat de droit commercial.

Un contrat de droit commercial, c’est un contrat passé de gré à gré, entre deux égaux, sans aucune contrainte de contenu.

Puis est arrivée la catastrophe minière de Courrières. 1100 mineurs ont péri. L’émotion populaire a été telle qu’elle a obligé le pouvoir à créer, dans un premier temps, le ministère du travail, et en 1910, le Code du travail. Le législateur a fait le choix fondamental, sous la pression populaire, d’adapter le travail aux humains et non pas les humains au travail. Comme c’était le cas jusque-là.

Depuis, les droits des salariés sont dissociés des intérêts de l’entreprise. Le droit du travail n’a qu’une seule fonction : protéger les salariés. Ce droit reconnaît l’existence d’un lien de subordination entre le salarié et son employeur.

Désormais, le contrat passé entre le salarié et son employeur devient un contrat de travail, devant être conclu dans le respect des dispositions du Code du travail et de la convention collective de branche (CCN) dont fait partie l’entreprise concernée, ou pouvant leur être plus favorable. Il permet donc à tous les salariés de bénéficier des droits collectifs inscrits dans le Code du travail et dans la CCN.

Or, avec le projet de loi travail, le retour à la situation d’avant 1910 est manifeste dès son titre. Jugez-en ! Il est dénommé : « Projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs ».

Dans ce titre, rien n’est innocent. Le mot salarié n’est même plus employé. La protection des entreprises passe avant celle des humains (les actifs).

L’article 1 poursuit dans la même veine. Il y est écrit que les libertés et droits de la personne au travail peuvent être limités « par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise ». C’est la traduction juridique de ce que Hollande a déclaré quelques semaines avant : il s’agit, a-t-il dit « d’adapter le droit du travail aux besoins des entreprises ». Tout est clair !

Et n’allez surtout pas croire que l’adaptation des droits des salariés aux nécessités de l’entreprise va permettre de créer des emplois. Le 21 février dernier, Hollande le reconnaissait sans ambages, ajoutant aussitôt, à propos de la loi travail : « Il s’agit d’installer un nouveau modèle social ». Nous sommes donc en pleine contrerévolution juridique et humaine. Exit le lien de subordination ! Place à l’accord librement consenti entre deux égaux. On nage en pleine fiction.

. 2ème RÉGRESSION, À MES YEUX LA PLUS GRAVE : L’INVERSION DE LA HIÉRARCHIE DES NORMES JURIDIQUES ET SA CONSÉQUENCE, LA PRÉÉMINENCE DES ACCORDS D’ENTREPRISE

Elle est si grave que, même si d’un seul coup Hollande décidait de retirer toute la loi travail, sauf l’inversion de la hiérarchie des normes, notre action contre cette loi devrait continuer encore plus fortement.

Dans ce retour au droit d’avant 1910, il y a une autre conséquence juridique. Depuis 1910, les lois du travail sont attachées aux droits humains. C’est-à-dire qu’elles ont une valeur universelle. Elles s’appliquent à tous les salariés, quelle que soit la taille de l’entreprise où ils travaillent, sa branche, sa localisation.

Jusqu’à aujourd’hui, les lois du travail font autorité sur les conventions collectives, les accords d’entreprise, les contrats de travail. C’est une garantie figurant dans la déclaration des droits de l’homme de 1948, dans la charte européenne des droits fondamentaux des humains de 1999, dans les conventions n° 81 et 158 de l’OIT.

Mais qu’est-ce que ces normes juridiques ?

Le droit du travail français repose sur des textes de valeur différente, régis entre eux par le principe dit de faveur. Le plus petit de ces textes est le contrat de travail, au-dessus, il y a l’accord d’entreprise, puis la convention collective ou l’accord de branche, et au sommet, le code du travail. Je laisse de côté les directives européennes, qui normalement font autorité sur tout notre droit.

Le principe de faveur veut que la convention collective ou l’accord de branche puisse différer du Code du travail, mais à condition de lui être plus favorable.

Idem pour l’accord d’entreprise. Il peut différer de la convention collective et/ou du Code du travail, mais à condition d’être plus favorable que ces textes. Et ainsi de suite.

Avec le projet de loi travail, l’accord d’entreprise devient le cœur du droit du travail, le siège du droit commun, en lieu et place du Code du travail.

L’argument de propagande du gouvernement, pour justifier ce bouleversement du droit du travail, met en avant sa volonté de favoriser la démocratie à l’intérieur des entreprises, à permettre aux actifs (je fais exprès de reprendre l’appellation du gouvernement) de s’exprimer au plus près de leurs intérêts. C’est évidemment une tromperie.

La procédure de mise en œuvre des accords d’entreprise par l’employeur, va commencer, là où existent des syndicats, par leur consultation. Si l’accord proposé par le patron est rejeté par des syndicats représentant + de 50 % du personnel, ceux ne représentant que 30 % pourront demander à l’employeur d’organiser une consultation de tout le personnel. Si, à la suite de ce référendum, + de 50 % du personnel le votent, l’accord d’entreprise, même moins favorable à la CCN ou au Code du travail, sera entériné.

Dans les entreprises où n’existe pas de représentation syndicale, un ou plusieurs salariés devront être mandatés par l’organisation syndicale de leur choix pour que la procédure d’adoption ou de rejet de l’accord d’entreprise puisse être engagée.

Dans toutes les entreprises, même les plus grandes, où pourtant peuvent exister de vrais et puissants syndicats, il n’est pas difficile d’imaginer que le chantage à l’emploi qu’exerceront les patrons sur les salariés aura toutes les chances d’aboutir au résultat souhaité par l’employeur.

A terme rapide, le Code du travail et les CCN n’auront plus d’utilité. Chaque entreprise sera dotée de son droit du travail.

Les situations les plus ubuesques vont se développer. Par exemple, dans les groupes ou entreprises comportant plusieurs établissements, chacun d’entre eux pourra avoir son propre droit du travail.

Mais le plus grave, c’est que le dumping social entre les entreprises françaises d’une même branche et/ou d’un même groupe va devenir la règle.

Voilà, à quoi va mener l’inversion de la hiérarchie des normes juridiques.

Le projet de loi El Khomri ne se contente pas de renverser la hiérarchie des normes juridiques. Il s’attaque aussi aux contrats de travail, au bas de la hiérarchie des textes.

Un principe de notre droit constitutionnel veut que le contrat fasse la loi entre les parties, dès lors que ses clauses ne dérogent pas défavorablement aux dispositions du Code du travail ou de la CCN idoine. Avec le projet de loi El Khomri, ce ne sera plus le cas. Le salarié ne pourra plus invoquer son contrat de travail pour s’opposer à l’application de dispositions moins favorables de l’accord d’entreprise. S’il le fait, il pourra être licencié pour faute.

. 3ème RÉGRESSION : LA MODIFICATION DES RÈGLES DES LICENCIEMENTS ÉCONOMIQUES

Pour cette régression, j’ai estimé plus efficace et surtout plus éclairant, pour votre compréhension, de reproduire partiellement l’exposé des motifs figurant dans le projet de loi travail. La servilité de notre gouvernement aux injonctions de l’Europe y est, sur ce chapitre, encore plus éclatante que dans les autres. Pour ce faire, Hollande n’hésite pas à aller à l’encontre des arrêts de notre propre Cour de cassation. Tout cela est motivé par la volonté du gouvernement de sécuriser la procédure de licenciement économique. Par sécuriser, entendez qu’il veut sécuriser les employeurs, pas les salariés.

A l’article 30 du projet de loi (page 264 du texte), modifiant l’article L 1233-3 du Code du travail, le gouvernement n’hésite pas à critiquer la Cour de cassation, en ces termes : « … s’agissant du périmètre d‘appréciation des difficultés économiques, la jurisprudence actuelle peut dans certains cas conduire à des solutions qui privent de toute possibilité de réorganisation des entreprises manifestement confrontées à des difficultés économiques sur le territoire national mais relevant d’un groupe dont les activités dans le monde sont florissantes (Cass. soc 28 février 2012, 10- 21.050). ».

Plus loin, le gouvernement poursuit : « Cette évaluation de la détérioration de la situation économique des entreprises positionnées sur le marché français au regard du périmètre mondial des groupes auxquels elles appartiennent se fait en méconnaissance et au détriment de la logique économique et opérationnelle qui prévaut au sein de ces entreprises et groupes. En effet, l’existence de liens capitalistiques entre une entreprise française en difficulté et des activités similaires dans le monde plus florissantes ne signifie pas pour autant que le groupe aura la capacité financière suffisante pour venir en aide à sa filiale et ainsi éviter les suppressions de poste. Quand bien même le groupe aurait les ressources suffisantes à court et moyen termes pour appuyer sa filiale, in fine une telle logique de « perfusion » financière conduit à une aggravation des difficultés de l’entreprise qui n’aura pas pu procéder à la réorganisation nécessaire à la poursuite d’une activité autonome, voire à sa survie. C’est l’emploi qui peut être pénalisé par des ajustements trop différés. »

Et le gouvernement de conclure de façon péremptoire, page 268 : « ….. le périmètre d’appréciation sera le secteur d’activité commun aux entreprises du groupe auquel l’entreprise appartient implantées sur le territoire national et non plus à une échelle européenne ou mondiale. Ce faisant, la France rejoint les pays européens dont aucun ne contraint le juge à rechercher l’exigence de sécurisation de l’emploi. »

La sécurisation de l’emploi n’est donc pas l’objectif des Hollande, Valls et Macron. Quant à la vassalisation de notre pays à l’Europe libérale elle est ici on ne peut plus patente.

Enfin, cerise sur le gâteau, après avoir cajolé les grandes entreprises, le gouvernement vient de décider de faciliter les licenciements économiques dans les petites et moyennes entreprises.

Après un seul trimestre de baisse de leur chiffre d’affaires, elles pourront licencier. Ainsi, ni les juges ni les défenseurs des salariés n’auront plus la possibilité de contrôler si la baisse est effective et pourquoi elle a eu lieu. Les bilans et comptes de résultats permettant ces contrôles ne sont établis, en effet, qu’une fois par an.

. 4ème RÉGRESSION : LES MULTIPLES DÉTÉRIORATIONS DU CODE DU TRAVAIL

Les heures supplémentaires :

Leur majoration pourra n’être que de 10 %, au-delà de 35 heures par semaine, au lieu de 25 et 50 %.

Mais le plus énorme arrive. Si la loi travail passe, l’article L 3121-39 du Code du travail édicte une nouvelle règle d’ordre public. La voici : « Lorsqu’il est mis en place un dispositif d’aménagement du temps de travail sur une période de référence supérieure à la semaine, les heures supplémentaires sont décomptées à l’issue de cette période de référence. Cette période de référence ne peut dépasser trois ans en cas d’accord collectif et neuf semaines en cas de décision unilatérale. »

Lissées sur trois ans, les heures supplémentaires effectuées vont quasiment toutes disparaître. Pour les rares qui subsisteront, les salariés devront attendre trois ans pour en obtenir le paiement.

Quant à la possibilité donnée aux employeurs de décider UNILATÉRALEMENT que le calcul des heures supplémentaires pourra s’effectuer après neuf semaines de travail, elle va léser considérablement les salariés. Aujourd’hui, le droit commun dit que les heures supplémentaires doivent être calculées par semaine. Avec le projet de loi, elles seront lissées sur neuf semaines.

La durée maximale quotidienne de travail va pouvoir passer de 10 heures à 12 heures (article L 3121-18).

Ne seront considérées comme travail de nuit que les heures travaillées entre 22 heures et 5 heures (article L 3122-3), au lieu de 21 heures à 6 heures.

Les dommages et intérêts pour licenciement abusif seront plafonnés, mais selon un barème incitatif. Nous pouvons être sûrs que la plupart des juges se conformeront à ce barème.

Toutes les négociations obligatoires dans les entreprises seront plus espacées. Celles obligatoires tous les ans pourront avoir lieu tous les 3 ans, celles obligatoires tous les 3 ans, pourront avoir lieu tous les 5 ans, celles tous les 5 ans, tous les 7 ans. Vive le dialogue social !

Les compétences de la médecine du travail seront amoindries. Le rôle de l’inspecteur du travail également.

Le délai de modification du calendrier des congés payés, ainsi que le délai de modification des horaires pour les salariés travaillant à temps partiel ne sont plus fixés. Ces délais sont aujourd’hui, respectivement, d’un mois et de 7 jours.

Un accord d’entreprise pourra forfaitiser le temps de travail de tous les salariés (article L 3121-61). Par là, il faut entendre la possibilité pour les employeurs de faire travailler leurs salariés sans aucune limite de temps pendant 218 jours par an, maximum.

Cette liste de régressions n’est évidemment pas exhaustive.

. LES AMUSE-GUEULE

J’en arrive maintenant aux amuse-gueule, à partir desquels la CFDT, la CGC, la CFTC et la FAGE, justifient finalement leur soutien à ce projet de loi scélérat, après avoir fait mine de s’y opposer.

1/ LE COMPTE PERSONNEL D’ACTIVITÉ (CPA)

Ce qu’il propose n’est pas négatif, mais n’est en aucun cas une nouveauté. Seule l’appellation est nouvelle. Le CPA regroupe en fait deux comptes déjà existants, censés suivre le salarié pendant toute sa vie professionnelle : le Compte personnel de formation (CPF) et le Compte pénibilité.

Le Compte personnel de formation (CPF) : Il n’est utilisable, durant le temps de travail, que si l’employeur donne son accord, aussi bien sur la durée que sur le contenu de la formation.

Selon ce CPF, chaque salarié sans diplôme (les plus exposés au chômage) bénéficiera « d’un capital de formation supplémentaire », 40 heures chaque année contre 24 aujourd’hui, dans la limite de 400 heures, contre 150 aujourd’hui. Enfin, pour répondre aux plus précaires, tout demandeur d’emploi non qualifié devra bénéficier d’un « capital formation ». Tout cela va dans le bon sens. Seulement, il y a un tout petit hic : le financement de cette mesure n’est pas prévu. Ami(e)s, entendez-vous le bruit du vent ? Moi oui ! Berger est sourd au vent, mais sensible aux murmures de Hollande, Valls et Gattaz.

Le Compte pénibilité prend en compte, à l’origine, 10 facteurs de pénibilité. Or, le projet de loi travail n’en reprend que 4. L’application des six autres est renvoyée à l’adoption de décrets après le 1er juillet 2016. Les employeurs n’en veulent absolument pas. Autant dire que les décrets ne sont pas près d’être pris. De toute façon, ce Compte pénibilité est une véritable usine à gaz.

2/ LA GARANTIE JEUNES

Le 14 mars dernier, sur France 2, devant Pujadas, Valls est venu faire le service après-vente de sa loi. Nous étions au pays des merveilles. A l’entendre, les jeunes ont gagné le gros lot, et Valls de leur dire qu’ils allaient tous pouvoir bénéficier du droit UNIVERSEL à la Garantie jeunes.

Le lendemain matin, sur RMC, devant Bourdin, le même Valls ne parlait plus de droit UNIVERSEL à la Garantie jeunes, mais d’un droit qui concernerait seulement 200 000 jeunes au maximum.

Or, 900 000 jeunes de moins de 26 ans sont en situation de précarité. Donc, entre le 14 mars et le 15 mars, 700 000 jeunes viennent de se voir fermer la possibilité de bénéficier de la Garantie jeunes.

Monsieur Berger et les dirigeants de la FAGE, voilà une des potentialités positives qui s’effondre comme un château de cartes. Le 14 mars, pourtant, les dirigeants de la FAGE tweetaient frénétiquement sur la conquête du droit universel à la Garantie jeunes. Loupé ! C’est nigaud, vous ne trouvez pas ?

Mais qu’est-ce que la Garantie jeunes ? Créée en 2013, elle est réservée aux jeunes de 18 à 25 ans, pas ou peu diplômés, qui ne sont ni en cycle d’études, ni en formation et dont les ressources ne dépassent pas le plafond du Revenu de solidarité active (RSA). La garantie jeune offre une allocation mensuelle de 461,26 euros. D’une durée d’un an, elle peut être prolongée de 6 mois, au cas par cas. (http://www.huffingtonpost.fr/2016/0...).


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