Panama Papers : derrière les soupçons autour du FN, le monde violent du GUD

lundi 11 avril 2016.
 

Frédéric Chatillon, un ancien dirigeant du Groupe Union Défense et proche de Marine Le Pen, est cité dans les révélations du Monde. L’occasion de retracer l’histoire de ce mouvement longtemps plus féru de barres de fer que de comptes offshore.

Dans les révélations des Panama papers du Monde de ce mardi 5 avril, un nom ressort : celui de Frédéric Chatillon. Ce proche de Marine Le Pen est soupçonné par le quotidien d’avoir contourné les règles pour faire sortir de larges sommes du territoire français. De quoi renforcer la suspicion de mauvaises fréquentations du parti d’extrême droite. Surtout que Frédéric Chatillon est un ancien dirigeant du Groupe union défense (GUD), un mouvement à la réputation très sulfureuse.

Pour comprendre l’origine de ce groupuscule étudiant d’extrême droite, dont l’histoire est liée à celle du FN, il faut remonter aux années 1960. Le Mouvement Occident, fondé en 1964, est dissout à l’automne 1968 à la suite de violences répétées et d’un début de dérive terroriste d’une partie de ses chefs. Alain Robert, son principal leader, décide alors de fonder un syndicat étudiant à l’université d’Assas : l’Union Droit. Celui-ci se retrouve de suite surnommé par les étudiants d’extrême gauche le « GUD » pour « Groupe Union Droit », appellation reprise par les intéressés, de même que l’étiquette de « gudards » pour désigner les membres du mouvement. Avec les années, le GUD s’est moins adressé aux étudiants et plus à la jeunesse activiste, si bien que le « D » a fini par vouloir dire Défense.

Au commencement était l’action...

Le GUD a trouvé ses premiers financements en assurant des services d’ordre pour la campagne présidentielle de Georges Pompidou (élu président de la République en 1969). Il s’est fait connaître en cherchant systématiquement l’affrontement physique avec les groupes étudiants, principalement trotskystes mais aussi avec les maoïstes ou d’autres groupements des extrêmes droites osant tenter de s’implanter en son sanctuaire universitaire. Pour lui, Assas doit être sa base inviolable, comme l’université de Nanterre est le sanctuaire des gauchistes –d’où le surnom qu’il a donné à son bastion : « Waffen Assas ».

Le GUD manie sur les campus tant la barre de fer que le cocktail molotov. Cela lui a permis de se présenter comme le fer de lance de la réaction à Mai 68. Fin 1969, il est à l’origine de la fondation du mouvement Ordre Nouveau (ON). Ce dernier est présenté à la presse comme réunissant tous les groupuscules nationalistes, mais en fait il s’agit de la réunification des diverses structures nées de la dissolution d’Occident. Pour lancer ON, selon Jean-Marie Le Pen, le GUD eût lui-même fait sauter la salle où devait se tenir sa première réunion, afin de se présenter comme la victime prioritaire de la violence gauchiste.

vec le développement d’ON, le GUD devient le syndicat étudiant du mouvement. À partir de la fin 1970, le GUD s’auto-représente à travers les personnages des « rats noirs », invention du dessinateur néofasciste Jack Marchal.

Le symbole essaime dans toute l’Europe occidentale comme auto-représentation de l’extrême droite radicale juvénile et activiste. À partir de là, le GUD a une légende et restera dans cette esthétique : la provocation, l’humour noir et la revendication de la violence spontanée –mais, au niveau de la communication, sans jamais retrouver le niveau du talent, tout à fait réel, de Jack Marchal.

Entre violence et compromis

Le GUD et ON bénéficient de l’indulgence des pouvoirs publics, qui les estiment utiles dans le cadre de la répression de l’agitation d’extrême gauche. Mais, après 87 faits de violences urbaines imputables à ses formations selon les services de police, le meeting d’ON du 21 juin 1973 provoque de tels affrontements entre contre-manifestants gauchistes et forces de l’ordre que 76 policier sont blessés, dont 9 sérieusement brûlés par l’usage intensif des cocktails molotovs. Ordre Nouveau est donc dissout par l’État en même temps que la trotskyste Ligue Communiste.

Le décret n’interdit pas le GUD et divers cadres envisagent de verser les militants d’ON dans cette structure que leur a laissé l’État. Mais Alain Robert s’y refuse et décide de prendre le contrôle du Front National, qu’ON a fondé en 1972 et que préside Jean-Marie Le Pen. Ce dernier s’y opposant, les membres du GUD cherchent un financement en faisant en 1974 le service d’ordre de la campagne présidentielle de Valéry Giscard d’Estaing (ils en feront de même pour la campagne présidentielle de 1981) puis grâce à des fonds patronaux. Est ainsi lancé le Parti des Forces Nouvelles dont le GUD devient officiellement le syndicat étudiant.

La ligne idéologique est adoucie, le GUD et le PFN se présentant avant tout comme anti-communistes, pro-américains, soutenant le Chili de Pinochet, etc. L’idée défendue est que le FN représenterait la réaction et le PFN la modernité, afin de l’intégrer au bloc des droites – ne proposition d’alliance soutenue par divers cadres de la majorité giscardienne. Le PFN ne parvient pas à sortir du stade groupusculaire et au fur et à mesure de la décennie l’espoir de réussir politiquement s’épuise.

Le coup de grâce est donné en 1980 : le GUD et d’autres groupuscules nationalistes ont prévu de se refaire une santé auprès de la jeunesse désireuse d’action en allant chercher l’affrontement à Nanterre. Les jeunes militants voulaient ainsi se réinscrire dans le légendaire activiste de leurs aînés. Or, c’est une humiliation : les gauchistes contre-attaquent, écrasent les gudards qui sont contraints à une fuite désordonnée. L’épisode a tant marqué qu’en 2015 encore un cadre d’extrême droite évoquait cette « humiliation ». Par ailleurs, la bienveillance des pouvoirs publics n’existe plus : les gudards sont poursuivis par la justice. Le GUD a donc quasiment disparu lors de la victoire de François Mitterrand à l’élection présidentielle de 1981, et a dissous de lui-même la structure qui lui servait de cache-sexe à Assas.

Néanmoins, grâce aux fonds gagnés lors de la campagne, ceux qui demeurent actifs décident de contribuer au lancement du Renouveau nationaliste, proposition de rassemblement de l’ensemble des groupuscules juvéniles lancé par le PFN en 1982.

Renaissances

Le GUD bénéficie des manifestations-fleuves de 1984 qui rassemblent toutes les droites contre le projet de loi sur l’enseignement. Il se positionne de nouveau comme la pointe activiste de l’extrême droite, et obtient ainsi le ralliement des étudiants qui ne souhaitent pas se limiter à la manifestation conservatrice. Dans diverses villes, ces nouveaux groupes travaillent dorénavant avec les sections du Mouvement nationaliste-révolutionnaire (un groupuscule avec lequel il avait longtemps été en désaccord, par exemple autour de l’interprétation de la révolution iranienne analysée par le GUD comme un événement négatif car anti-occidental, par le MNR comme un événement positif car constituant un régime organique contre les États-Unis et Israël).

Néanmoins, le regain d’activisme ne peut masquer le manque d’issue politique : aux élections universitaires de 1984 à Assas le GUD n’obtient que 93 voix sur 4000 suffrages. À l’été 1984, alors que le gouvernement a retiré sa loi sur l’enseignement et que le FN a atteint les 11% des suffrages, le GUD et le MNR décident de s’unir pour former la Jeune Garde. Puis, des sections locales MNR et PFN fusionnent. En novembre 1985 est annoncé la création de Troisième Voie (TV), mouvement censé réunir le MNR, le GUD et la Jeune Garde, lancé avec le soutien du Groupement de recherche et d’études pour la civilisation européenne (Grece, la principale organisation de la Nouvelle droite, mené par Alain de Benoist).

Les cadres du MNR se montrent soucieux de, certes, jouir de l’étiquette GUD mais de contrôler les militants, en particulier leur violence (le GUD se déchaînant contre les étudiants de gauche manifestant en 1986, et attirant ainsi l’attention des médias mais aussi des risques de dissolution) ou leurs provocations lors de manifestations (chemises noires, salut fasciste etc.). À leur contact, le GUD évolue idéologiquement et devient nationaliste-révolutionnaire, pro-palestinien et anti-américain. Mais les tensions autour de la question de l’autonomie du GUD amène à ce que ce dernier annonce sa rupture avec Troisième voie en mai 1988 (les gudards ayant alors gagné de l’argent en faisant les services d’ordre de la campagne présidentielle de Raymond Barre). Les mauvaises relations vont jusqu’à ce que le GUD attaque à la barre de fer un meeting du mouvement un an après avant de fuir devant les fusils.

Le GUD se trouve de nouveaux partenaires en participant au Renouveau Étudiant que lance le FN en 1990, énième tentative de rassemblement de tous les groupuscules juvéniles. On s’exalte lors du meeting fondateur en en appelant à la violence physique contre la gauche, afin d’emporter « le pouvoir pour mille ans »... Jean-Marie Le Pen lui-même doit intervenir pour expliquer que lorsqu’on est au FN, on ne doit pas s’adonner à un fascisme folklorique.

Les Gudards et les Le Pen

Frédéric Chatillon, le nouveau chef des gudards est à l’université d’Assas avec Marine Le Pen, et il reconnaît que sa formation n’a guère le choix : « on aide le Front, parce que sinon on ne serait qu’une poignée ». Samuel Maréchal (alors mari d’une des filles de Jean-Marie Le Pen et père adoptif de Marion Maréchal-Le Pen), ancien de TV, soutient le développement du GUD en souhaitant nuire à la main-mise des proches de Bruno Mégret sur le Front national de la jeunesse.

Ensuite, en 1998, le GUD accepte de se rallier à Unité Radicale. Il doit composer avec Fabrice Robert, aujourd’hui président du Bloc identitaire, responsable des jeunes de la mouvance.

Le GUD lance un nouveau mot d’ordre (« la barre de fer comme moyen d’expression ») et un nouveau journal qui fait l’apologie du Hamas –mais qui a une vraie tenue intellectuelle. Après avoir soutenu Bruno Mégret lors de l’avant-scission du FN, les gudards décident d’une ligne baptisée « ni œil de verre ni talonnettes ».

Si le GUD multiplie les actes de violence, ceux-ci ne visent plus des groupes mais des personnes isolées (au motif que ces dernières seraient des gauchistes, ou bien qu’elles sont noires, etc.). Début 2002, Maxime Brunerie, qui allait tirer sur Jacques Chirac le 14 juillet suivant, réclame d’ailleurs d’avoir une carte où est inscrit « GUD » et non « Unité radicale ».

Le GUD continue alors à affirmer avec constance son slogan issu du début des années 1990 « à Paris comme à Gaza : Intifada ! », assurant que l’Europe est victime de la même colonisation sioniste que la Palestine. Lorsque, suite au 11 septembre 2001, Bruno Mégret adresse des messages aux Français juifs et qu’UR évolue de l’antisionisme à l’islamophobie, le GUD crie à la trahison et annonce qu’il reprend son autonomie. Lorsque, suite à la tentative d’assassinat du président de la République Jacques Chirac, Unité Radicale est dissoute par l’État, le GUD échappe encore une fois au décret.

Il disparaît néanmoins derechef, en ce climat peu propice, remplacé par le Rassemblement Étudiant de Droite (RED, soit « rouge », selon un humour typiquement gudard) qui parvient à être présent à Assas mais aussi à Lille. Dès 2007, le RED est à son tour en difficultés suite au passage à tabac d’un professeur censé être de gauche. Le RED s’auto-dissout en 2009 et le GUD est relancé. Ses nouvelles places-fortes sont Paris, Nancy et Lyon.

Pendant ce temps, les générations précédentes du GUD bénéficient de la politique de dédiabolisation de Marine le Pen. On les trouve à la manœuvre quand en 2007, avec l’écrivain Alain Soral et le lancement d’Égalité & Réconciliation, il s’agit de tenter d’ouvrir le segment électoral beur au lepénisme. Philippe Péninque cite le philosophe de gauche Jean-Claude Michéa pour critiquer l’abandon des classes populaires par la gauche. En cherchant des « candidats issus de la diversité » pour le FN, il s’agit de contribuer à sa normalisation en démontrant que le parti ne serait pas raciste. Dans le même temps, Philippe Péninque présente Marine Le Pen aux nombreux chefs d’entreprise qu’il connaît. Un travail de crédibilisation utile à la présidente du FN.

Galaxie et business

Devenue présidente du FN en 2011, Marine Le Pen a individualisé, voire privatisé, les relations avec des figures issues de la mouvance radicale. Celles-ci n’ont pas la carte du FN et ne disposent plus de structures militantes mais plutôt d’entreprises, ce qui lui permet d’affirmer que le parti ne serait pas lié à des éléments radicaux. Les structures des entreprises sont croisées, et on retrouve souvent plusieurs générations de gudards travaillant ainsi ensemble dans les mêmes entreprises privées. Ces dernières bénéficient des contrats de communication du FN, ce qui a amené à la mise en examen des gudards dans le cadre des soupçons d’escroquerie.

Le microparti de Marine Le Pen fondé en 2010, Jeanne, est ainsi passé de la direction d’Olivier Duguet à celle d’Alex Lousteau (présent sur les listes FN aux élections régionales en 2015), lorsque le premier a été condamné pour ce motif. Le second, également mis en examen pour escroquerie en 2015, est responsable du cercle Cardinal destiné à prospecter les milieux patronaux, et tout particulièrement ceux des PME-PMI, pour le compte du FN. La communication des candidats frontistes, elle, est entre les mains de Frédéric Chatillon, mis en examen pour escroquerie, faux et usage de faux, abus de biens sociaux et blanchiment entre 2012 et 2015.

Les amitiés des gudards ne se limitent pas au FN. En 2013, le journal Le Monde a révélé les liens d’amitié et d’affaires de Jérôme Cahuzac (également impliqué dans les Panama papers) avec d’anciens membres du GUD : Jean-Pierre Emié, Philippe Péninque et Lionel Quedot. Philippe Péninque a ouvert le compte UBS de Jérôme Cahuzac en 1992. Enquêtant sur l’affaire Cahuzac, le juge Renaud Van Ruymbeke avait déjà eu l’occasion de s’intéresser aux anciens du groupuscule d’extrême droite lors de l’Affaire Elf. Il s’agissait de Lionel Quedot, associé à Paris à Philippe Péninque, ayant à Genève une société de gestion de fortune.

Si les anciens sont donc imbriqués en force réseaux, leurs jeunes protégés tentent également de se développer. L’actuel chef du GUD, Logan Djian dit « Duce », blason de la division SS Charlemagne tatoué sur le bras, a profité de la fermeture administrative du bar de Serge Ayoub en 2013 (lors de la vague de dissolution décrétée par le gouvernement). Djian a ouvert son propre bar, « Le Crabe-Tambour ». Le lieu a reçu un bon accueil du public, et attire la jeunesse d’extrême droite des classes moyennes et supérieures. Il propose également des soirées-conférences sur des thèmes conspirationnistes et ésotériques. Logan Djian bénéficie du soutien de la vieille génération, et de sa figure centrale qu’est Frédéric Chatillon. Cependant, il est aujourd’hui impliqué dans le passage à tabac d’un ancien cadre gudard.

Une question politique

Régulièrement prise à partie, quant à sa fréquentation d’un individu aussi radical que Frédéric Chatillon, Marine Le Pen répond toujours que ce dernier est un gamin provocateur et qu’il n’est pas encarté au FN. N’en demeure pas moins qu’alors même qu’elle a exclu son propre père à l’été 2015 au motif des sorties antisémites de ce dernier, Frédéric Chatillon et Alex Loustau s’affichaient à l’université d’été frontiste afin de faire comprendre aux soutiens de Jean-Marie Le Pen que tenter de pénétrer dans les lieux serait une mauvaise initiative. La terreur physique reste l’un des moyens d’expression du GUD, même chez les cinquantenaires devenus d’habiles businessmen.

À l’heure actuelle, il importe de souligner que la présomption d’innocence vaut pour tous, et qu’aucun élément ne lie directement les Panama papers au FN. Frédéric Chatillon avait d’ailleurs pris les devants sur Facebook avant même la publication de l’article du Monde.

La question pour le FN n’est pas aujourd’hui judiciaire mais politique. De longue date, des membres du FN estiment que le sens du management de Marine Le Pen est catastrophique et que ses liens personnels, financiers et politiques avec la galaxie gudarde sont un danger pour le parti. Force est de constater que, pour le moment, aucune incidence électorale n’a jamais pu être relevée.

Nicolas Lebourg


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