Réalité et complexité du capitalisme (éléments de stratégie) : Errance à propos de la « crise du capitalisme »

samedi 19 septembre 2015.
 

Depuis 2008, il est question de la « crise économique mondiale » dans les journaux, aussi bien les plus prestigieux des sociétés dites développées ou du Nord que ceux presque anonymes des sociétés dites sous-developpées ou du Sud, dans les revues académiques, qu’elles soient “neutres” ou critiques du capitalisme, dans des ouvrages savants ou/et militants, dans les grandes rencontres médiatiques des « maîtres du monde » et de leurs agents politiques. Un “constat” tellement consensuel qu’il semble inutile de l’interroger, à moins de courir le risque de passer pour une personne vivant hors réalité. Pourtant, il nous semble que ce constat ainsi que l’expression « crise du capitalisme » – parfois accompagnée de l’expression bizarre « capitalisme financier » – sont plutôt trompeurs et ne résistent pas à une observation assez attentive de la réalité actuelle.

À PROPOS DE LA CRISE ÉCONOMIQUE

La crise qui avait été déviée et s’est ainsi promenée pendant deux décennies dans les États dits du Sud pendant les années 1980-1990, sous forme entre autres de crise de la dette gérée par les institutions de Bretton Woods (FMI, Banque mondiale), a éclaté, en 2008, aux États-Unis et dans l’Union européenne. À titre de rappel, ceux-ci, forts de leur maîtrise des mécanismes du capitalisme, avaient, de concert avec les institutions financières internationales qu’ils contrôlent, mis leurs expert·e·s en développement ou en croissance économique à la disposition des États du Tiers-monde ou du capitalisme périphérique alors en crise. Mais, depuis 2008, les dits expert·e·s ès croissance capitaliste néolibérale s’avèrent incapables de trouver des solutions “viables” ou “durables” à la crise qui a frappé les économies du capitalisme central. Les économies les plus touchées du traditionnel centre capitaliste (Grèce, Irlande, Portugal, Espagne, PIGS), qui se révèlent n’en être qu’une autre périphérie, semblent plutôt balancer entre la sortie de la crise et son approfondissement. Ou plutôt, les remèdes appliqués s’avèrent pires que le mal. Dans les économies les plus développées aussi, où la crise est censée s’être éloignée, des marqueurs de la crise demeurent, bien qu’ils paraissent beaucoup moins graves. Pour certains, il est même question, depuis un ou deux ans, de reprise économique, création d’emplois, recul du chômage (même si, au mieux, celui-ci joue plutôt au yo-yo, aussi en fonction des modes de calcul – le maquillage étant courant). Néanmoins ces proclamations de reprise s’accompagnent de marques de prudence, indiquant qu’il ne s’agit pas encore d’un éloignement de la crise. Économistes de l’establishment et économistes critiques discutent des scenarii, censés être les plus efficaces pour une véritable reprise, durable. Il y a même des solutions en provenance de la gauche dite radicale (hausse du pouvoir d’achat pour relancer la consommation des ménages, nationalisation ou restructuration du secteur bancaire, etc.).

Pourtant, il est question, au même moment, des économies capitalistes, autres que l’européenne et l’états-unienne, qui demeurent florissantes, que l’on ne peut pas considérer comme étant actuellement en crise. Certes, elles ont été relativement affectées par la crise dite mondiale, compte tenu de leurs relations ou partenariats économiques avec les États-Unis et l’Union européenne. Par exemple – pour ne pas parler des BRICS – la crise en Europe méridionale a affecté le tourisme à Maurice, une économie capitaliste parmi les plus performantes d’Afrique. Comme la crise de la dette du Tiers-monde avait favorisé l’achat par les transnationales des entreprises d’État des pays de la périphérie capitaliste, certaines de ces économies, que l’on dit « émergentes », en profitent pour faire leur marché dans les économies du centre capitaliste. À l’instar de la plus performante de toutes, la chinoise (émergée, plutôt qu’émergente) dont les investissements sont en croissance en Europe et aux États-Unis. Par exemple, le capital chinois a pris le contrôle du constructeur automobile suédois Volvo, du principal terminal à conteneurs du Port du Pirée en Grèce, acquis certaines branches d’activités d’IBM et de Google, acquis des actions de Peugeot (14 % comme la famille Peugeot et l’État français). Ou du Qatar dont la présence en France n’est plus économiquement discrète : de l’achat de la prestigieuse chaîne de magasins Le Printemps à celui de l’entreprise de football Paris Saint-Germain, entre autres. Jusqu’aux capitaux angolais – ne relevant pas encore de ladite émergence – qui acquièrent des parts importantes dans certaines entreprises principales du Portugal, l’ancienne métropole coloniale. Bref, les économies dites émergentes n’étant pas déclarées en crise, il a même été question, à l’automne 2011, de l’aide pouvant être apportée par certaines d’entre elles – les BRICS – aux États de l’Union européenne confrontés à une grave crise de la dette. Leur supposée prospérité, évaluée alors à partir de la croissance importante de leur PIB (à l’exception de l’Afrique du Sud avec sa croissance située alors autour de 3 % – en deçà de la moyenne africaine – et du Brésil passé de 7,5 % à 2,7 % de 2010 à 2011), ou la situation de leurs trésoreries le permettait. Ainsi, il n’est nullement osé de poser la question de savoir ce que serait l’économie mondiale sans les performances des économies dites émergentes, au-delà des BRICS. Nul·le observateur ou observatrice sensé·e ne dirait que ces économies ne font pas partie de l’économie mondiale ou de l’économie capitaliste, que leur bonne tenue n’a pas sauvé du pire les économies du centre capitaliste. Ce qui ne veut nullement dire qu’il y a une homogénéité – au sein des BRICS, par exemple – et qu’elles sont, à moyen ou à long terme, à l’abri d’une crise économique.

La crainte est réelle de perdre une supériorité quasiment considérée comme ontologique, accompagnée d’une certaine attente ou impatience, comme le laisse penser la surveillance du moindre recul du PIB de la Chine (où l’État demeure au gouvernail économique, encore assez jaloux de sa souveraineté) – de 7,7 % à 7,5 % par exemple, voire moins selon les dernières estimations – ou de l’Inde. Le mouvement des capitaux étrangers – sortie/fuite particulièrement – de ces économies dites émergentes a aussi fait l’objet d’une attention assez particulière en été-automne 2013. Certes, il y a l’actuelle crise économique de la Russie qui fait jubiler des économistes de la suprématie occidentale, de New York à Londres en passant par Bruxelles. Mais, nullement à Berlin, la première économie de l’Union européenne ne pouvant pas être indifférente au sort de cette grande partenaire et à ses inévitables conséquences locales. Les économies autrichienne, espagnole, grecque, hongroise, italienne, tchèque aussi ne peuvent prétendre à la joie ou à l’indifférence. Certaines de celles-ci, faut-il le rappeler, étant déjà dans une situation parmi les plus à plaindre. De la Russie partira une crise économie étendue aux puissances économiques émergée/émergentes, voire mondiale ? Serait-ce plutôt du Brésil qui semble s’installer dans une mauvaise passe économique ?

Le caractère mondial attribué actuellement à la crise économique du capitalisme central n’arrive t-il pas en fin de compte à occulter l’existence d’une diversité au sein de l’économie capitaliste mondiale ? Comment peut-on parler de la crise économique mondiale alors que prises comme régions de ladite économie mondiale, l’Asie, l’Afrique, voire une grande partie de l’Amérique dite latine et des Caraïbes (malgré des ralentissements) – l’écrasante majorité de l’humanité, en somme – y échappent et sont présentées comme les locomotives actuelles de la croissance économique mondiale ? Ne s’agit-il pas d’une erreur de compréhension de l’« évolution complexe et intégrée de l’économie mondiale capitaliste [1] » ?

Nous avons là une assez bonne illustration de l’eurocentrisme (le philosophe Edmund Husserl incluait les États-Unis dans l’Europe) partagé par ces économistes, aussi critiques se prétendent-ils/elles, à l’instar de certains théoriciens de la critique radicale de la valeur qui se veut pourtant à la pointe de la critique de l’économie capitaliste et pourfendeuse d’un « marxisme orthodoxe » (presque tout ce qui existe avant ou en dehors de ce courant). Dans son texte « Être libres pour la libération ? » (publié dans le numéro 28 de la très intéressante revue anarchiste francophone Refractions), Anselm Jappe (un bon connaisseur du critique situationniste du capitalisme qu’a été Guy Debord) parle de « cette crise du capitalisme » – à la différence de son défunt mentor Robert Kurz, il n’en évoque pas l’agonie – sans la circonscrire à une dimension de la société ou à un espace précis.

Cela relève en fait de la métonymie, comme dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1793, dans laquelle ne se reconnaissait pas Olympe de Gouges – au prix de sa décapitation – et à laquelle les esclaves de Saint-Domingue avaient décidé de conférer concrètement une universalité en se mobilisant pour leur liberté, pour l’indépendance de Haïti contre la France esclavagiste. Le centre traditionnel, actuellement en crise, de l’économie capitaliste ne constitue pas du tout sa totalité, tout comme l’humanité ne se limite ni au sexe masculin, ni à la race blanche. Et encore. Tout en parlant de la mondialisation très avancée du capital, après cinq siècles, ces économistes restent comme attaché·e·s aux contours du centre et de la périphérie hérités de l’époque de Sombart, rigides jusqu’il y a encore quelques années. Elles/ils les conçoivent de façon a-historique, les naturalisant. Alors que les choses sont en train de changer, concernant par exemple le PIB – un critère de performance dans la “science économique” –, le brésilien (certes, assez extractiviste) a pu, un moment, être supérieur à celui du Royaume-Uni. Il y a, surtout, un retour de la Chine au rang qu’elle est censée avoir occupé avant sa grande divergence avec l’Angleterre – que l’historien économique “globaliste” Kenneth Pomeranz situe à partir du milieu du XVIIIe siècle. Elle vient d’ailleurs, en 2014, de supplanter les États-Unis en matière de PIB en parité de pouvoir d’achat (16,5 % du PIB mondial contre 16,3 %), confirmant ainsi le statut de première économie capitaliste mondiale que lui avait déjà attribué la Banque mondiale en 2013, mais sans avoir alors enthousiasmé les autorités chinoises [2]. D’autres économies situées pendant longtemps dans la périphérie du capitalisme sont en train d’avancer vers le centre. Alors que les BRIC figurent parmi les 12 premières économies mondiales par le PIB, la Grèce et le Portugal ne comptent même pas parmi les 20 premières, à la différence de l’Indonésie (16e). Économie de l’Union européenne, la Grèce a été, du point de vue de l’indice boursier, releguée au rang d’économie émergente, en novembre 2013 : « La Grèce aura donc un peu plus de poids dans l’indice des marchés émergents que dans celui des marchés développés. Mais son poids restera faible. [3] » Pire, l’on avait affirmé auparavant, avec un air de découverte récente d’un secret bien caché pendant longtemps, que « selon les données officielles, la Grèce n’est jamais devenue, depuis son entrée dans l’Union, une “économie émergente » : durant la dernière décennie, son PNB a augmenté d’environ 4% par an et, dans le même temps, elle a reçu de l’UE chaque année des financements représentant entre 2 % et 3% de son PNB. [4] » Un changement en cours, exprimé à sa façon par « le facétieux patron indien du groupe Mahindra », à sa sortie de la réception des représentant·e·s du capital international par le président français Hollande, en quête d’investissements étrangers dans l’Hexagone : « il investira si les mesures [promises par le président français] “sont vraiment mises en œuvre” », ainsi « “la France pourrait devenir le nouveau marché émergent” » [5]. Ce qui est évidemment exagéré.

Ces économistes et autres idéologues négligent ce changement – une sorte de désoccidentalisation du statut de puissance capitaliste, au-delà de l’ancienne exception japonaise – qui se donne pourtant à voir aussi par la fréquence des références à la croissance chinoise, à la lutte contre la pauvreté en Chine – l’élargissement de son marché intérieur –, dans certaines publications des institutions parmi les plus patentées de l’économie capitaliste mondiale, à l’instar de la Banque mondiale et du FMI. C’est l’OCDE qui, avant l’annonce (anticipée) par la Banque mondiale du premier rang mondial de l’économie chinoise en 2013, prévoyait l’accession de la Chine au premier rang de l’économie mondiale en 2016 – auquel il vient d’accéder en 2014, deux ans plus tôt – et la relégation des États-Unis à la troisième place, car précédés par l’Inde (dont le PIB représente encore, en 2014, moins de la moitié de l’états-unien). Pourtant, elles sont bien conscientes que leurs recettes dites Consensus de Washington n’ont pas été appliquées par l’État chinois pour sa phénoménale croissance capitaliste, poussant certains analystes à opposer ledit Consensus, socialement néfaste, à un prétendu Consensus de Beijing [6].

L’un des arguments souvent avancé pour poser une différence insurmontable entre les puissances capitalistes du centre et les puissances dites émergentes est celui de l’existence de millions d’exclu·e·s de la croissance du PIB dans les BRICS. Leurs succès économiques actuels ne pouvant ou plutôt ne devant pas équivaloir à celui de l’économie capitaliste européenne – pourtant productrice du sous-développement, en externalité surtout –, l’on juge utile de préciser que les économies brésilienne, chinoise, indienne et sud-africaine ne pourront faire disparaître ces zones de sous-développement, la pauvreté demeurera et les revenus moyens y demeureront inférieurs à ceux des anciennes économies principales du centre. Comme si l’éradication de la pauvreté était historiquement un objectif de l’économie capitaliste. Certes elle avait été réduite dans presque toutes les sociétés du capitalisme central pour des besoins de reproduction du système capitaliste, aussi grâce à la lutte de classe menée par les prolétaires (inquiétante pour Keynes), surtout dans le contexte international de la Guerre froide. Mais elle a été particulièrement délocalisée dans les zones périphériques du système capitaliste mondial, à travers les mécanismes de la dépendance sous-développante.

Le rapport de forces ayant considérablement changé dans la lutte des classes (post-Guerre froide) – le milliardaire états-unien Warren Buffett constatait il y a quelques années que c’est sa classe qui l’emportait, bien plus qu’auparavant peut-on ajouter –, la réduction structurelle de la pauvreté n’est plus effectivement au programme dans les sociétés du centre capitaliste. Ainsi, il y a une croissance des poches de sous-développement social dans les sociétés du capitalisme central traditionnel, surtout dans sa périphérie interne, les PIGS [7]. En Espagne, par exemple, il y a un « scenario qui place 13’090’000 personnes (soit 28,2% de la population) en situation de risque de pauvreté ou d’exclusion sociale, selon les données d’Eurostat », mais déjà « l’alimentation n’est pas seulement un problème pour les plus petits : sept millions d’Espagnols (16 % de la population) souffrent de malnutrition » [8]. On oublie souvent l’existence traditionnelle de ces poches permanentes de sous-développement, de pauvreté endémique dans ces zones états-uniennes où vivent surtout des Natives (les Indien·ne·s victimes d’une particulière dépossession) et des Noir·e·s. La « nation building at home » murmurée par Barack Obama, pour justifier le pseudo-bémol sur l’interventionnisme impérialiste, est encore loin de se transformer en un programme public de lutte contre la pauvreté, comme l’avait entrepris son pas si lointain prédécesseur Lyndon B. Johnson (1963-1969) avec la « Grande Société » – ce projet social (inconséquent) capitaliste qui donnait encore de l’urticaire à Reagan, le premier président néolibéral. D’ailleurs, aux États-Unis, il n’y aurait pas que leur 1% qui désapprouverait un tel projet social, eu égard à la réaction hostile dans certains secteurs des classes moyennes – à l’individualisme très prégnant – à la réforme, pourtant timide, de l’assurance maladie. C’est en phase avec cet individualisme, lié à l’idéologie de la réussite à la portée de tous/toutes et de chacun·e, que le chantre du néolibéralisme, le président états-unien Ronald Reagan (1981-1989) avait précédé l’actuelle stigmatisation européenne de l’« assistanat » en traitant les pauvres états-unien·ne·s de paresseux/paresseuses. Le président Bill Clinton – un homme de gauche, semble t-il, vu que le Parti démocrate est sérieusement considéré comme tel par des analystes de gauche – s’est illustré aussi par l’attaque contre les aides sociales à ces « paresseuses », vu que les mères célibataires, au chômage et noires avaient été les plus ciblées.

Une interprétation de la pauvreté par Ronald Reagan qui ne s’explique pas que par sa particulière indigence intellectuelle, mais aussi par sa ferme adhésion au néolibéralisme, porteur d’un individualisme assez particulier, d’une guerre contre les pauvres plutôt que contre la pauvreté. Par une démagogie assez efficiente, les institutions de Bretton Woods semblent accorder quelque intérêt à une « lutte contre la pauvreté » par les États soumis à l’ajustement structurel, le « cadre stratégique de lutte contre la pauvreté » dans leur novlangue. De la démagogie partagée aussi par l’Internationale (néo)libérale – très active ces dernières années en Afrique subsaharienne, sous la dénomination de Réseau Libéral Africain, avec les Alassane Ouattara (Rassemblement des Républicains, Côte d’Ivoire), Macky Sall (Alliance pour la République, Sénégal), Cellou Dalein Diallo (principal opposant guinéen au régime social-libéral d’Alpha Condé et dirigeant de l’Union des Forces démocratiques de Guinée), la Democratic Alliance (Afrique du Sud), l’United Party for National Development (Zambie) et consorts – qui prône, sans rire, l’instauration de la « justice sociale ». Alors que dans la réalité, la pratique du libéralisme, actuellement dit néolibéralisme, porte l’injustice sociale à des niveaux qui poussent aujourd’hui même des technocrates de l’une des institutions les plus symboliques du néolibéralisme, le FMI, à jouer les effarouchés : « Les inégalités de revenus atteignent des sommets historiques. Aux États-Unis, en 2012, les 10 % les plus riches empochaient la moitié du total des revenus. C’est un partage du butin tel qu’on en avait plus vu depuis les années 20. Dans les pays de l’OCDE, les inégalités ont plus progressé entre 2008 et 2010 qu’au cours des douze années précédentes. Dans de nombreux pays avancés, l’aggravation récente du phénomène fait suite à l’accentuation des inégalités observées depuis déjà plus de vingt ans. [9] » Il y a dans ce constat comme une crainte de la révolte des victimes du nouveau logiciel capitaliste, mais sans vrais signes prodromiques, pour le moment, dans les sociétés du centre capitaliste. Espérons qu’aucune de ces sociétés n’atteindra les taux de pauvreté que l’on trouve dans la puissance capitaliste émergée qu’est la Chine et les puissances capitalistes émergentes.

Ainsi, on peut dire que s’il y a effectivement une crise dans l’économie capitaliste, ce n’est pas (encore) une crise de l’économie capitaliste mondiale, car c’est son centre traditionnel qui est en crise – une crise qui a néanmoins ses gagnant·e·s, les entreprises qu’il y a derrière les milliardaires et millionnaires régulièrement exhibés par le magazine Forbes. Et cette crise dans l’économie capitaliste n’est pas du tout une crise du capitalisme. Il y a confusion.

OÙ EST LE CAPITALISME EN CRISE ?

En effet, dans le camp des critiques du capitalisme, cette crise des économies du centre capitaliste traditionnel est présentée comme une crise du capitalisme. Ce qui serait surprenant sans la conscience de l’économisme caractéristique, y compris de celles et ceux qui se revendiquent encore de la critique du capitalisme par Marx et Engels. Alors que l’héritage hégélien (critique) de ces derniers en faisaient des penseurs de la totalité et de sa dialecticité. Totalité dialectique est la société capitaliste. Il en est autant de la mondialisation consubstantielle au capital historique. Ainsi, parler en termes de crise du capitalisme pour caractériser la période actuelle, c’est faire l’autruche – à moins de ne pas être objectivement en mesure de l’observer – devant l’hégémonie croissante des valeurs capitalistes dans toutes les sociétés, bien que de façon relativement différenciée et très inégalitaire dans chaque société. Hégémonie marquée par cette aptitude du Capital à se soumettre – en « automate » – des valeurs traditionnelles locales (précapitalistes), moderniser des archaïsmes, détricoter les rapports sociaux et les retricoter selon les nécessités de sa reproduction.

Comment peut-on parler de crise du capitalisme alors que, par exemple, depuis quelques décennies, se sont clairsemés les rangs de celles et ceux qui pensent et se battent au quotidien pour une alternative au capitalisme, dite socialisme ou communisme depuis le XXe siècle ? Une crise toute objective sans qu’il y ait une poussée des « facteurs subjectifs » ?

Il y a certes des organisations qui se dénomment clairement “anticapitalistes”. Mais déjà une telle dénomination peut être aussi comprise comme indication d’une crise de la perspective, vu que jusqu’à une date récente, c’est plus par la perspective ou l’idéal que l’on se dénommait. Il y a aussi, certes, les coups portés à l’idéal par le galvaudage du terme “communisme” au XXe siècle par les régimes staliniens et maoïstes ainsi que de “socialisme” par l’emballage rose des politiques dites social-libérales menées partout par les gouvernements dits socialistes dont le réformisme a ainsi changé de direction, tourné désormais vers le néolibéralisme. C’est comme s’il s’agissait en fait de s’affirmer anticapitaliste, en ces temps si difficiles. Ce qui n’est pas tout à fait inexact, eu égard à la substitution prégnante de l’anticapitalisme par l’anti-néolibéralisme. De nombreuses organisations de la gauche, se disant même radicale, se contentent du terme anti-néolibéralisme pour parler de leur combat. Ce qui trop souvent semble exprimer une nostalgie du capitalisme pré-néolibéral, keynésien ou fordiste-keynésien, très prégnante, par exemple, dans le mouvement altermondialiste.

Certes, il faut reconnaître qu’à partir de la fin des années 1990 celui-ci a redonné une légitimité à la critique de la phase néolibérale de la mondialisation capitaliste. Mais en précisant souvent que sa cible est le capitalisme néolibéral, « capitalisme sauvage » ou « libéralisme sauvage » – l’horreur de la domination impérialiste du Tiers-monde, y compris pendant les dites “Trente glorieuses” est ainsi logiquement hors du champ d’analyse – qu’il faudrait adoucir ou civiliser, par exemple, en taxant les transactions financières (taxe Tobin : faut t-il souhaiter plus de transactions financières afin de prélever davantage de taxes ?), en lui injectant ou plutôt en lui greffant une certaine sensibilité pour le social populaire, pour le culturel populaire qualitatif ou pour l’écologique. Donner un « visage humain » à cette (étape de la) mondialisation (capitaliste) [10]. L’altermondialisme antinéolibéral peut ainsi être un altercapitalisme. Cela paraît d’ailleurs avoir inspiré au discours pseudo-humaniste de la bourgeoisie un nouvel oxymore : « capitalisme inclusif » ou « croissance inclusive » [11].

Dans le contexte, il y a quelques années, à partir des cauchemardesques années 1980 (F. Cusset), de la suprématie idéologique sans précédent du capitalisme, la mondialisation a souvent été présentée comme une nouveauté plutôt que comme un processus plusieurs fois centenaire, consubstantiel à la dynamique expansive du capital. Tout comme la marchandisation globalisante est censée, au mépris de l’histoire du capitalisme – souvent remplacée par son roman (auto)biographique – avoir commencé avec le néolibéralisme. Comme si, des XV-XVIe au XIXe siècles, des êtres humains n’avaient pas ouvertement été des marchandises pour l’essor du capital (Marx parle dans Le Capital de l’Afrique devenue « une sorte de garenne commerciale pour la chasse aux peaux noires » à « l’aurore » de « l’ère capitaliste »). Les institutions financières internationales, des facultés et départements de sciences économiques, des think tanks ont propagé cette falsification du passé, avec une indéniable efficacité, jusque dans les rangs altermondialistes où nombreux/nombreuses se battaient, se battent encore contre une marchandisation considérée comme nouvelle ou future du monde, plutôt qu’ancienne et relativement atténuée juste pendant quelques décennies.

Comment peut-on parler de crise du capitalisme, alors que le grand capital, soutenu par les gouvernant·e·s, a imposé sa grammaire aux syndicats qui sont désormais présentés presque partout, comme des « partenaires sociaux » du patronat. Partenariat social plutôt que lutte des classes, au moment où la classe capitaliste exacerbe ses attaques et remporte victoire sur victoire. Partenaires, sous le modèle hétérosexuel et machiste : le partenaire capitaliste dominant sa partenaire, les syndicats – dont les bureaucraties – un peu maquerelles – s’arrangent souvent pour ce que ce soit plutôt celles et ceux qu’elles sont censé·e·s représenter, les prolétaires/salarié·e·s qui subissent les coups, blessures et mutilations. Un monument de la chanson congolaise (RDC), récemment décédé, (seigneur) Tabu Ley-Rochereau [12], considérait phallocratiquement les violences conjugales comme des preuves d’amour. Par contre, les bureaucraties syndicales bénéficient plutôt d’une certaine reconnaissance du patronat, de douceurs “lubrifiant” – selon l’expression fameuse d’un dirigeant du patronat français – ledit partenariat.

Bien que les centrales syndicales mobilisent massivement ces derniers temps (au Portugal par exemple), la supposée crise du capitalisme s’est presque partout accompagnée d’une dé-syndicalisation. Elles mobilisent sans vraiment relancer des adhésions. Quand ont lieu des recompositions syndicales, ceci n’apporte pas encore de véritable changement, un nouveau syndicalisme de lutte, démocratique. En partie parce que le sens du collectif a été émoussé par la promotion accentuée des valeurs individualistes – quasi essentialisées comme “occidentales”, l’accentuation de la grille de lecture géographiste, culturaliste ou identitariste aidant, accompagnée d’une anathématisation de la catégorie de « classe sociale » – que le fonctionnement concret du capitalisme, surtout néolibéral, sait propager dans la société, des lieux de travail (la performance académique comprise [13]) à l’habitat, en passant par les loisirs, la vie dite intime, l’imaginaire, etc. Un grand déséquilibre s’est ainsi instauré entre le collectif et cet individualisme que l’on confond, au delà des syndicats, même parmi les socialistes révolutionnaires, avec l’individualité/subjectivation – l’affirmation sociale comme sujet ou individu, bien différent de l’individu mythiquement considéré comme fondement de la société moderne par une certaine tradition philosophique dominante/prégnante dans la civilisation capitaliste, de l’ego cartésien à « la culture du narcissisme » (Christopher Lasch), dont ne sont pas exempts les rangs de la gauche dite radicale. Ceci ne peut que plaire au néolibéralisme qui gagne à l’accentuer en démultipliant les discours sur la valorisation de soi, du moi et des parcours favorisant sa normalisation. Sans la pratique d’une certaine vigilance permanente, les injonctions professionnelles et publicitaires peuvent structurer dans cette direction la quasi-totalité de l’existence quotidienne, militante comprise. Peu d’activités, peu de rapports sociaux échappent à la structuration individualiste/égocentrique. Ainsi, certaines affirmations de l’individualité dans ce qui est voulu comme collectif émancipateur arrive ainsi à nuire à celui-ci. Comme le dit si bien Alain Accardo : « le système grâce à sa pédagogie aussi bien diffuse qu’institutionnalisée, était capable d’installer dans chaque individu un petit-bourgeois qui s’ignorait et qui n’aspirait qu’à s’intégrer le plus confortablement possible à l’ordre établi, alors même qu’il lui adressait des critiques et militait pour des changements révolutionnaires [14]. »

C’est ainsi, qu’il est souvent difficile de distinguer dans la vie quotidienne, les anticapitalistes ou socialistes/écosocialistes des “gens normaux”. Nous réagissons quasiment de la même façon que les autres – à partir de nos statuts sociaux – aux sollications/injonctions du consumérisme capitaliste. C’est lui qui rythme en grande partie notre temps libre, par exemple quand retentit, dans les sociétés capitalistes développées particulièrement, le coup de sifflet du consumériste départ en vacances. « Le capital est dans nos têtes et nous fait l’amour torride » nous rappellent les rappeurs de Milk Coffee Sugar [15]. Nous prétendons lutter contre le capitalisme mais laissons souvent ce dernier s’occuper aussi de notre psychologie, sans lui opposer une véritable résistance : l’engagement révolutionnaire, dans un collectif, implique t-il aussi – en évitant le psychologisme de la pseudo auto-émancipation néolibérale – un certain travail sur sa propre psychologie ? L’activité collective l’accomplit-elle mécaniquement/naturellement ? Ce n’est pas évident à en croire cet acteur de la première révolution socialiste qui doit paraître bien ringard à l’entendement des militant·e·s actuel·le·s de la révolution socialiste : « Niveler le front idéologique, c’est à dire analyser tous les domaines de la conscience au moyen de la méthode marxiste – telle est la formule générale de l’éducation et de l’autoéducation qui doit s’appliquer avant tout à notre parti, en commençant par les dirigeants. Et une fois encore, cette tâche est terriblement complexe : elle ne sera pas résolue de façon scolaire ni littéraire, car les contradictions et les désordres du psychisme trouvent leurs racines les plus profondes dans la confusion et la désorganisation du mode de vie. La conscience, en fin de compte, se définit par l’être. Mais la dépendance n’est ici ni mécanique, ni automatique : elle est réciproque. C’est pourquoi il faut aborder le problème de diverses manières… [16] ». Un travail qui ne peut attendre l’accomplissement de la révolution socialiste pour commencer, pouvons-nous très modestement ajouter, car il nous semble que sans l’avoir esquissé aussi, la marche vers la révolution paraît compromise. Ou alors celle-ci ne sera assez vite qu’une nouvelle caricature.

Ainsi, malgré la critique situationniste de la société du spectacle, la critique marxiste du sport (revues Quel corps ?, Illusio…) les grandes équipes de football, par exemple, de vraies entreprises privées, ont leurs supporteurs/supportrices dans la gauche dite radicale. Comme il y avait un sport de compétition dit socialiste pendant la Guerre froide, de Moscou à Pékin, en passant par La Havane. Pourtant, à la différence de la religion où des théologies de la libération arrivent à exister, ce football est non seulement un opium populaire, mais il s’avère aussi très marqué par ces valeurs du capitalisme, exhibées lors de chaque rencontre, de toute compétition sportive, de ces manifestations permanentes du spectaculaire marchand. C’est même un des meilleurs vecteurs de ces valeurs dans les sociétés. N’en déplaise à celles et ceux qui exhibent une équipe de football dite anticapitaliste (Sankt Pauli de Hamburg), qui fait plutôt penser, dans le cas français, à Jean-Baptiste Doumeng, qui était militant, élu (maire et conseiller général) du Parti communiste français et « milliardaire rouge » – grâce aussi à ses affaires avec le bloc soviétique et certains États africains (anciennes colonies françaises). Du capitalisme anti-capitaliste ? Il y aura peut-être bientôt la rubrique sportive – consacrée au vrai sport, de compétition, celui qui unit, dit-on, les supporteurs/supportrices, les peuples, avec ses vainqueur·e·s et ses vaincu·e·s – dans les journaux de la gauche révolutionnaire.

Face à ce travail au corps réussi par le spectaculaire-marchand permanent, comment ne pas rendre hommage aux Indigné·e·s de la Place de Catalogne à Barcelone qui ne s’étaient pas laissé·e·s séduire, en n’évacuant ce lieu central de la ville qu’après avoir subi la brutalité de la police : il fallait rendre la place disponible pour célébrer l’éventuelle victoire du FC Barcelone face à Manchester, en finale de la Ligue des Champions. Hommage aussi aux contestataires brésilien·ne·s de l’organisation de la Coupe des fédérations et de la Coupe du monde au profit de la mafia FIFA et des firmes transnationales qui s’y font d’habitude leur beurre, mais aux dépens des dépenses sociales pouvant contribuer à l’atténuation de la pauvreté multidimensionnelle dans la société brésilienne. Ce, dans cette société où le culte du football est un véritable opium patriotique, transcendant les clivages entre exploiteurs/exploiteuses et exploité·e·s, oppresseurs/oppresseuses et opprimé·e·s, machistes et féministes, productivistes et écologistes, droite-gauche, voire réformistes et révolutionnaires. Coupe du monde 2014 qui a été, hélas, une énième occasion d’expression de la pseudo-radicalité, dans des milieux dits de gauche : les critiques ont presque toutes ciblé la mafieuse FIFA, les entreprises qui se sont engraissées grâce à la générosité, à leur égard, du gouvernement de Dilma Roussef. Mais dans des « débats vraiment faux ou faussement vrais » (P. Bourdieu), les valeurs véhiculées par cette compétition sportive, comme valeurs du capitalisme n’ont pas très souvent été évoquées. Comme il existe ces critiques du néolibéralisme ne ciblant que le pouvoir du capital financier des dernières décennies, cachant souvent assez bien une nostalgie du capitalisme des “Trente glorieuses”, se sont exprimées des critiques nostalgiques d’un temps où la Coupe du monde de football était censée n’être pas encore ce que les transnationales en ont fait ces dernières années. Encore cette falsification du passé, par dissonance cognitive, car en 1945, déjà, George Orwell critiquait de façon pertinente le sport en général (« une activité drainant d’importants capitaux, pouvant attirer des foules immenses et éveiller des passions brutales » [17]), le football en particulier. Certains ont même, pour les besoins de la cause, sorti un album-photo de quelques footballeurs (professionnels) s’étant opposés aux autorités politiques nationales ou à tel État étranger, comme si l’exception devrait être prise pour la règle. Des critiques exprimant en fait le même horizon (retour à la bonne compétition sportive autant qu’au bon capitalisme des “Trente glorieuses”) dominant dans une très grande partie de la gauche anti-néolibérale. Comme s’il suffisait de se démarquer dudit « social-libéralisme », auquel le député social-démocrate brésilien et ancien footballeur professionnel, Romario, a ajouté une dose de patriotisme répressif en demandant que les dirigeants du football brésilien soient emprisonnés, après la défaite considérée comme humiliante de l’équipe nationale brésilienne face à celle de l’Allemagne. Les supporters/supportrices brésilien·ne·s politiquement à gauche de Romario ont-ils/elles échappé au patriotisme sportif ?

Cette négligence de la réalité concrète, globale, complexe du capitalisme, fait bien pire que la conception mécaniste des rapports infrastructures/superstructures, en présentant souvent, comme si elles étaient extérieures à la reproduction de l’ordre capitaliste, comme si elles ne relevaient pas de la civilisation capitaliste les idées, les valeurs dominantes qui structurent la vie quotidienne, le « processus de vie réel » [18]. Comme si l’industrie culturelle ou l’industrie des loisirs ne contribuait pas particulièrement à la vitalité du capitalisme depuis le XXe siècle – ce qui, normalement, ne devrait pas être négligé dans la compréhension du pourquoi la crise économique au centre ne s’accompagne pas d’une vraie dynamique de construction ou de préparation des alternatives à l’ordre capitaliste – mais que, par ailleurs, elle s’accompagne aussi – et surtout, peut-être – d’un désir de plus grande participation au bonheur capitaliste. Comme on le constate dans ces continents – dits de l’« émergence » – qui constituent l’écrasante majorité de la population mondiale. Dans les nouvelles “classes moyennes” chinoises, par exemple, il semble que la solidarité à l’égard des plus démuni·e·s, des régions sous-développées et des usines de sous-traitance chinoises, n’est pas aussi importante que l’attraction exercée par la nouvelle bourgeoisie chinoise et les images de la bourgeoisie occidentale, servant de modèle consumériste, par la société du spectacle, de façon générale. Par ailleurs, ces images de “nouvelles classes moyennes” chinoises, consuméristes grâce à la croissance capitaliste, apportent du souffle à la propagande du capitalisme. Quant aux sociétés africaines, la classe prédatrice et les nouvelles « classes moyennes », très impressionné·e·s par la croissance du capitalisme chinois, ne visent plus que l’« émergence », cette nouvelle notion fétiche (remplaçant le “développement” des décennies précédentes) de la propagande capitaliste dans les sociétés du capitalisme périphérique non “occidental” qui exprime une adhésion à l’idéologie du capitalisme comme réalité indépassable, comme fin de l’histoire.

Honneur aux peuples tunisien et égyptien qui par leur soulèvement ont nié concrètement cette idéologie de la fin de l’histoire, ont ravivé la flamme du possible révolutionnaire. Cependant, quels que soient notre enthousiasme pendant les soulèvements populaires de 2010-2011 en Tunisie et en Égypte et notre solidarité maintenue avec les camarades d’Égypte et de Tunisie, nous ne pouvons pas dire que la dynamique anticapitaliste était assez perceptible dans le processus de “dégagement” des fractions oligarchiques de Ben Ali et Hosni Moubarak. Même la dimension pourtant objectivement anti-néolibérale de ces soulèvements n’a pas été suffisamment remarquée, malgré les luttes syndicales et l’activisme toujours conservés d’une gauche socialiste révolutionnaire trop minoritaire, que nous honorons particulièrement. Les autocrates-oligarques du néocolonialisme néolibéral chassés, les revendications sociales des damné·e·s de la terre ont souvent été étouffées par le bavardage, très efficient, sur l’islamisme et la démocratie laïque dont les principales organisations politiques représentatives ne sont pas souvent opposées au néolibéralisme, au capitalisme. Comme le dit Lotfi Chawqui, confirmé par les résultats des différentes élections “libres et transparentes” : « Le niveau de conscience générale ne dépasse pas l’exigence de la chute du tyran et de ses alliés et sans formulation d’une alternative de pouvoir [19]. » La situation en cours au Burkina Faso après le déguerpissement de Blaise Compaoré (octobre 2014) semble en être une nouvelle expression, malheureusement [20]. Néanmoins, on entend encore, ici et là, craquer la braise …

Quelle que soit aussi la sympathie que nous avons pour le mouvement Occupy, qui voulait, dans ses grandes franges, d’un capitalisme que certain·e·s diraient à visage humain, différent de l’actuel (néolibéral) qui est considéré comme défiguré par quelque pouvoir démesuré de ce capital financier. Celui-ci étant présenté comme une sorte de mauvais capital, à la différence du supposé bon capital industriel (créateur d’emplois et de marchandises) qu’il y a derrière l’usage actuellement fréquent de l’expression “économie réelle” – l’extorsion de la plus-value étant ainsi occultée. La délégitimation du néolibéralisme – et encore ! – n’est pas toujours celle du capitalisme. Par ailleurs, il n’est même pas évident que le mouvement Occupy ou l’extension sociale de la contestation étudiante au Québec annoncait une contagion du Nord américain par le progressisme social présent dans certaines sociétés au sud du Rio Grande, le bolivarisme symbolisé par Hugo Chavez – néanmoins inscrit dans le « modèle d’accumulation capitaliste rentier » [21]. Il y a peut-être eu un potentiel anticapitaliste actuellement sous-estimé, que manifesterait déjà l’élection au conseil municipal de Seattle de Kshama Sawant, une enseignante et militante ouvertement socialiste d’Occupé [22]. Notre souhait. Mais wait and see…

Vu que c’est en Europe qu’il est fréquemment question de la « crise du capitalisme », on peut se réjouir des résultats, aux élections européennes, de Podemos en Espagne, cette surprise électorale née de la dynamique du mouvement des Indigné·e·s et dont certain·e·s dirigeant·e·s se déclarent dépourvu·e·s d’illusions parlementaristes, mais qui fait néanmoins dire à l’un de ses membres, apparemment plus lucide qu’enthousiaste que « Parler de Podemos, avec son orientation et sa composition actuelle, comme d’une organisation œuvrant à l’émancipation sociale est aujourd’hui prématurée [23] ». Ce que l’une de ses camarades a voulu confirmer, semble t-il : « Le soutien populaire est chaque jour plus grand car les Espagnols se rendent comptent que nous ne sommes pas des fous, ni des bolivariens ou des révolutionnaires, mais que nous proposons des choses sensées et économiquement viables [24]. »

Dans cette Grèce contrainte de passer sous les fourches caudines de l’ajustement structurel néolibéral (que l’on préfère, même dans la gauche dite radicale, nommer “austérité” en Europe, comme pour éviter une identification, même différenciée, de l’Europe avec l’ancien Tiers-monde, malgré l’identité de nombreuses mesures d’ajustement et de leurs conséquences sociales), la principale organisation de la gauche dite radicale, Syriza, est devenue, depuis deux ans, le premier parti du pays. Mais comment concilier l’espérance placée en ce parti avec certaines positions publiques de son principal dirigeant Alexis Tsipras : il s’était senti obligé, en janvier 2013, de rassurer son auditoire de la Brookings Institution (un des principaux think tanks de la puissance états-unienne) : « I hope, I’ve convinced you that I’m not as dangerous as some people think I’m ». « Pas si dangereux » pour le capitalisme, et assez fier de l’affirmer, mais néanmoins considéré comme porteur d’une alternative au capitalisme [25] ? L’anticapitalisme dépourvu d’antagonisme des classes ? Après la victoire de Syriza aux élections européennes, il avait déclaré apporter sa voix au néolibéral assumé Jean-Claude Juncker pour la présidence de la Commission européenne (2014), contre l’avis d’un bon nombre de ses alliés dans la Gauche unitaire européenne, comme si la droite européenne avait vraiment besoin de sa voix pour garder son leadership dans les institutions européennes. Serait-ce exagéré de parler de prodromes de l’accord conclu avec l’Union européenne par le gouvernement d’Alexis Tsipras, avec son ministre des Finances, le trop réaliste Yanis Varoufakis, soutenu par la majorité de la direction de Syriza mais que d’aucuns considèrent comme « un renoncement de Syriza aux limites d’une politique social-libérale [26] » ? En Allemagne, la “radicalité” de Die Linke est, au fil du temps, davantage chargée de modération, comme prise dans les rets des institutions bourgeoises [27]. Espérons que le progrès réalisé au Danemark par l’Alliance Rouge-verte pendant les dernières municipales soit le signe d’une radicalisation durable. En France, la principale force du Front de Gauche considéré comme d’extrême-gauche ou de gauche radicale, le Parti communiste, demeure – plus pour conserver des sources de financement de l’appareil bureaucratique que pour tout autre raison – plus aimantée, électoralement, par le Parti socialiste (dont la défense du capitalisme, jusqu’au “réformisme” néolibéral, est on ne peut plus évidente, même si par abus de langage ou par conservatisme taxonomique on le dit encore de gauche) que par la seconde composante de cette coalition, le Parti de gauche. Celui-ci est néanmoins d’un radicalisme plutôt républicain que de(s) classe(s) exploitée(s) et des opprimé·e·s. Son leader charismatique et candidat du Front de gauche à la présidentielle de 2012, Jean-Luc Mélenchon, avait alors déclaré – antérieurement à Tsipras – que les capitalistes (les « investisseurs ») n’avaient pas à avoir peur de son programme (relevant de la « planification écologique ») [28]. En politique militaire (et extérieure), le Front de Gauche revitalisait la tradition alter-impérialiste gaullienne (contre l’impérialisme états-unien), déclinée en termes de « défense souveraine et altermondialiste » [29] – l’un des enjeux étant le leadership de la « France puissance » – appuyée sur les puissances (capitalistes) émergentes et les États (néolibéralisés) de la Francophonie – pendant la ruée prochaine vers les ressources marines non halieutiques, qui semble pourtant incompatible avec une identité « écosocialiste ». Programme de campagne assumé par l’aile (la plus) radicale dudit Front, devenue par la suite Ensemble, qui a été néanmoins divisée sur le soutien ou non à la candidature de Juncker à la présidence de la Commission européenne [30].

Depuis le cas du PT au Brésil – considéré sans doute comme une de ces “anomalies” caractéristique du Tiers-monde – le curseur des coalitions d’organisations antinéolibérales et anticapitalistes ne fait que se déplacer vers le réalisme ou la realpolitik bourgeoise plutôt que vers la radicalité. Mais combien se préoccupent encore de tirer (individuellement et collectivement) les leçons de l’histoire, et de reconnaître leurs illusions en ces temps de « culture du narcissisme » (aussi bien individuel que collectif) [31] ? À ce propos, le député grec (Syriza) européen Manolis Glezos ne mérite t-il pas d’être complimenté pour son récent acte d’humilité ? [32].

En France, par exemple, la gauche radicale/révolutionnaire, hors du Front de Gauche, quant à elle, n’arrive toujours pas à percer dans les rangs des victimes, de plus en plus nombreuses, du capitalisme. Difficulté qui est accrue par l’accentuation du problème de la “diversité ethnique”/raciale des citoyen·ne·s dans les sociétés européennes actuelles que la plupart des organisations dites de gauche ont ignoré pendant longtemps, en dehors d’un anti-racisme plus subsidiaire, plutôt moral que politique, qui peut aussi être considéré comme l’expression de la persistance de la culture coloniale dans une partie non négligeable de la société française en l’occurrence, des sociétés européennes en général [33].

Ainsi, c’est plutôt l’extrême-droite (incluant le néo-nazisme), ne proposant pas d’alternative au capitalisme, mais se voulant représentante de l’autochtonie, de la race ou de la pureté nationale et plus en contact avec une catégorie de « gens » (de souche) parmi les victimes du capitalisme, souvent réduit à la « finance internationale », qui menace l’alternance entre la droite classique et la « deuxième droite » (dite “social-libérale”). Elle est parvenue, aux dernières élections européennes, à obtenir des électeurs/électrices près de 40 élu·e·s de plus que la gauche antinéolibérale. Dans certains pays (Danemark, France, Royaume-Uni) ces partis d’extrême-droite sont même arrivés en tête, avec au moins 25 % de suffrages.

En Afrique subsaharienne, à la faveur de la démocratie – que la destruction du Mur de Berlin avait réduit à l’addition de l’« économie de marché » et du multipartisme, accompagnée d’une « société civile » dynamique – s’est imposée (la lutte pour) l’alternance entre des partis ou coalitions politiques – très motivé·e·s par l’accumulation capitaliste privée autochtone – absolument hostiles à l’anti-néolibéralisme, et surtout à l’anticapitalisme socialiste – avec une certaine participation d’activistes altermondialistes attaché·e·s à un tiers-mondisme simpliste ainsi que d’ancien·ne·s partisan·e·s de la révolution socialiste pendant les années 1970-1980, ayant changé de camp dans la lutte des classes. En Afrique du Sud, considérée comme la pointe la plus avancée du capitalisme africain (le “S” des BRICS) ainsi qu’un des principaux terrains de la lutte des classes et autres mobilisations sociales en Afrique, le Parti communiste (SACP) co-gère (avec l’ANC et le COSATU – Congrès des syndicats sud-africains), sans états d’âme, l’État capitaliste depuis deux décennies. Dans le reste de l’Afrique subsaharienne, l’opposition anticapitaliste est quasiment invisible, exception faite de quelques pays comme Maurice ou le Nigeria. Certes, il y a espoir que la rupture du syndicat des métallurgistes (NUMSA) avec l’ANC et le SACP, aboutisse à la réalisation du projet, actuellement dénommé United Front, de création d’un grand parti de la gauche (anticapitaliste) socialiste sud-africain – qui devrait néanmoins être critique du catastrophique PT brésilien qui bénéficie encore, paradoxalement d’une appréciation positive dans la direction du Numsa, alors que son pilotage politique de ladite émergence brésilienne n’est pas si différente de celle de l’ANC (critiqué par NUMSA) en Afrique du Sud. L’existence d’un tel parti ne serait pas sans effet en Afrique australe déjà, où les luttes de libération nationale (Angola, Mozambique, Namibie, Zimbabwe) ont plutôt abouti au renforcement du capitalisme, à un recul de l’anticapitalisme (bien que souvent stalinien) qui existait dans les rangs des mouvements de libération nationale.

Recul qu’a d’ailleurs bien illustré l’un des événements majeurs de la fin de l’année 2013 : l’hommage public international rendu à Nelson Mandela, ce grand combattant anti-apartheid, a eu lieu dans le First National Bank Stadium, situé à Soweto. Tout un symbole ! Comme l’est aussi ce Mandela Rhodes Building, situé au centre de Cape Town. En effet, ce grand combattant anti-apartheid était aussi, hélas, un partisan du système capitaliste, y compris néolibéral, dont l’apartheid a été un moyen efficace d’extorsion de la plus-value. Cette complicité de l’icône avec le système dominant, le capitalisme, a été tout simplement passé à l’as par le panafricanisme dominant – y compris celles et ceux qui se disent contre le néolibéralisme – qui s’est ainsi retrouvé dans une célébration commune de Nelson Mandela avec la canaille politique de partout (capitaliste, impérialiste), à l’instar des Bush, Sarkozy, des autocrates africains, dont la passion pour l’émancipation des damné·e·s de la terre africain·e·s et le sens de la justice sociale dans le monde est bien connue de tout le monde. Même Benyamin Nétanyahou – activiste de l’apartheid sioniste – avait failli y participer… Comment s’étonner alors que dans ce pays de luttes sociales si fréquentes, aussi bien contre le capital sud-africain que celui transnational, contre l’État privilégiant les intérêts de ce bloc capitaliste, le public sud-africain (considéré comme populaire) du First national Bank Stadium a, à juste titre, conspué le président Jacob Zuma (membre de la classe capitaliste sud-africaine et considéré comme un dirigeant politique prévaricateur), mais qu’il a, par contre, ovationné plusieurs fois Barack Obama, ce délégué politique en chef du capitalisme impérialiste encore le plus puissant (militairement surtout), malgré le PIB (PPA) chinois [34]. Lui, l’héritier des guerres impérialistes de l’administration néoconservatrice de George Bush, et conservateur des colonies états-uniennes (« unincorporated territories »), à l’instar de Guam. Barack Obama qui a par ailleurs bénéficié, à l’issue de sa rencontre avec la « société civile » sénégalaise (Gorée, juin 2013) de l’admiration de Fadel Barro – un porte-parole du puissant mouvement populaire sénégalais, Y en a Marre, présenté comme altermondialiste, ayant contribué au déguerpissement électoral du président néolibéral Abdoulaye Wade et soutenu l’élection présidentielle de son dissident, le néolibéral Macky Sall.

« CRISE DU CAPITALISME », COLONIALITÉ, PHALLOCRATIE, PRODUCTIVISME

Ne parlons même pas de la faiblesse de la conscience, parmi les anticapitalistes d’Europe, de la dimension impérialiste du capitalisme central, aussi bien des anciennes puissances coloniales que de l’Union européenne, cette fédération majeure de l’internationale capitaliste. Ce qui a déjà été évoqué plus haut à propos de la découverte récente de la sauvagerie de l’économie capitaliste par un certain activisme antinéolibéral, par ces keynésien·ne·s qui oublient les horreurs produites par l’accumulation impérialiste du capital dans le Tiers-monde pendant les dites “Trente glorieuses”. Explicable, en général, par un surprenant déficit de compréhension du capital, consubstantiellement expansif, autrement dit en mondialisation permanente depuis un demi-millénaire (de la colonisation esclavagiste de l’Amérique au néocolonialisme néolibéral), l’anticapitalisme des camarades situé·e·s dans les traditionnelles « entrailles du monstre » demeure assez empreint de colonialité (comprise à partir d’Anibal Quijano, comme l’actualité des rapports hiérarchiques produits ou reproduits dans les sociétés non européennes par l’expansion du capital depuis le XVe siècle [35]). Une colonialité que l’altermondialisme surtout n’a pas souvent su éviter, même s’il a pu redonner une certaine vitalité à l’espoir d’une transformation émancipatrice, comme nous l’avons déjà dit plus haut. Colonialité qui s’est manifestée, par exemple, en fonction du volume de la bourse, plus importante pour maintes ONG du Nord (missionnaires des droits humains ou/et du développement) et ainsi utilisé comme argument pour la délimitation de la critique de la mondialisation par les camarades du Sud : la mondialisation ne devant être prédiquée que comme néolibérale, non pas comme capitaliste – les implications ne pouvant qu’être différentes [36] – ; en fonction aussi de supposées aptitudes intellectuelles (interventions analytiques ou théoriques pour celles/ceux du Nord, “témoignages” pour celles/ceux du Sud, plus particulièrement d’Afrique subsaharienne) [37]. Un relookage en quelque sorte du « fraternalisme » que le dissident Aimé Césaire reprochait en son temps (1956) au Parti communiste français dans sa Lettre (de démission) à Maurice Thorez (alors secrétaire général du PCF) : « il s’agit bel et bien d’un frère qui, imbu de sa supériorité et sûr de son expérience, vous prend la main (d’une main hélas ! parfois rude) pour vous conduire sur la route où il sait trouver la Raison et le Progrès. Or c’est très exactement ce dont nous ne voulons pas. » [38] Alors que Césaire ne reniait pas, théoriquement, le marxisme, le fraternalisme altermondialiste est souvent accompagné d’une injonction d’anti-marxisme, d’anti-communisme, pouvant prendre la forme de la critique culturaliste d’un marxisme que l’on a préalablement homogénéisé. Par exemple, en Amérique latine, cette critique culturaliste s’appuie sur un oubli ou plutôt une « ignorance volontaire » (Chomsky) de la réflexion (marxiste) de José Carlos Mariatégui (1894-1930) sur la question indigène. Le nouveau “messianisme” serait celui des peuples dits indigènes, idéalisés, malgré ce que l’on sait de l’éducation à l’égalité menée dans les territoires de l’EZLN au Chiapas, par exemple.

Un autre argument est celui de la nature apolitique des associations ou mouvements de la “société civile” – comme le déplorait Cornelius Castoriadis concernant les mouvements sociaux de la fin des années 1980, une décennie avant la période d’éclat de l’altermondialisme : « dans tous ces mouvements, toute idée d’élargissement de la discussion ou de prise en compte des problèmes politiques plus larges est refusée comme le diable [39] ». C’est dans le cadre de renforcement de cette attitude, sous forme de contestation apolitique du néolibéralisme ravageur, d’expertise de gauche pour le capitalisme, que la Fondation Ford (étiquetée non-partisane aux États-Unis, c’est-à-dire collaborant traditionnellement avec les deux principaux partis politiques, électoralistes et bourgeois) a pu faire preuve, assez régulièrement, de générosité, en espèces sonnantes et trébuchantes, à l’égard du Forum social mondial (FSM). Au FSM de Nairobi (2007), c’est la transnationale de téléphonie mobile Celtel, appartenant alors au milliardaire soudanais (non altermondialiste) Mo Ibrahim, qui s’était offert un stand d’une trop grande visibilité. Et en 2011, au FSM de Dakar, c’est le stand de l’Open Society, la vitrine humanitaire du spéculateur George Soros [40], qui ne désemplissait pas, avec une longue file d’attente du premier au dernier jour. Rien que de bons compagnons de route vers l’autre monde possible, apolitiques, vu qu’ils ne sont pas anticapitalistes (socialistes/communistes ou anarchistes).

La colonialité se manifeste aussi aujourd’hui dans l’attitude de ces anticapitalistes/socialistes français·es qui paraissent déconnecter le « nouvel humanisme militaire » [41] français (avril 2011 à Abidjan, Opération Harmattan – Libye, 2011 –, Opérations Serval au Mali de 2012 à 2014, Sangaris en Centrafrique depuis 2013 et Barkhane dans le Sahel depuis 2014) d’une quelconque logique impérialiste [42], même pas comme un « argument militaire » comme dirait J.-L. Mélenchon (promoteur de l’avion militaire de Dassault Aviation, le Rafale). Cela pourrait laisser penser que la France n’est pas concernée par la nouvelle ruée vers l’Afrique, à la différence des capitaux chinois, indiens et d’autres apprenties puissances capitalistes, dites émergentes. En d’autres temps, on aurait dit ouvertement que la France est en « mission civilisatrice ».

La critique indispensable de cette colonialité doit ainsi accompagner celle fondamentale de l’universelle phallocratie qui s’avère encore en très bonne santé [43] malgré la lutte féministe inlassable. Mais celle-ci a aussi, malheureusement, une tradition de colonialité, à l’instar de la suprématie blanche traditionnelle dans le féminisme états-unien et de la condescendance actuelle, en Europe, à l’égard des féministes musulmanes. D’où l’insistance par certains courants féministes, surtout des Amériques – particulièrement traversées, du Nord au Sud, par le racisme/l’ethnisme [44] – d’une intersectionnalité de principe, articulation nécessaire du genre avec la classe sociale ainsi que la race/l’ethnie dans les sociétés pluriethniques/pluriraciales. Ce principe méthodologique n’est pas encore la chose la plus partagée. Dans le féminisme africain, par exemple, l’articulation des genres et des classes sociales (en lutte dans les sociétés africaines aussi) est quasiment absente. Ce qui s’explique entre autres par le culturalisme (une certaine négritude comme avatar de l’ethnologie coloniale), prégnant dans la petite-bourgeoisie africaine, dont l’homogénéité avec le capitalisme favorise l’acquisition des subventions extérieures (fondations philanthropiques du capitalisme central et consorts).

Il y a aussi la nécessaire critique du productivisme dans la gauche anticapitaliste/socialiste, au-delà du fait qu’il aggrave la dette écologique du Nord capitaliste à l’égard des peuples du Sud, commencée avec les premières dépossessions extra-européennes modernes. Aujourd’hui, face à la menace que le productivisme, avec son consumérisme le plus souvent niais, fait peser sur la vie, avec cette cette catastrophe écologique quasi imminente, et dont la mondialité est indéniable, l’économie capitaliste ne manifeste que cynisme et sottise [45]. Les réactions à la publication de la synthèse du 5e Rapport d’évaluation du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC) ont une fois de plus prouvé qu’il n’y avait rien à attendre du grand capital, des États à sa botte et de la bureaucratie onusienne (experte en sommets spectacles) n’annonçant, par un cynique instinct de survie d’institution, aucune sortie de la trajectoire productiviste écocide. En Afrique, la croissance moyenne élevée du PIB, tirée en grande partie par l’extractivisme, pétrolier en tête, suscite de l’enthousiasme dans les classes dirigeantes qui promettant même de faire plus (pire) en la matière dans le proche avenir, grâce aux investissements directs étrangers et à ceux des capitaux africains en croissance aussi dans les différents secteurs économiques. Le très médiatisé « boom des classes moyennes » accompagnant ladite croissance contribue aussi au productivisme par le consumérisme particulièrement stupide dans lesdites classes.

Tout cela n’est que logique, vu la marche solitaire actuelle du capitalisme, malgré quelques cahots. C’est le capital privé, contrôlant les pouvoirs exécutifs et législatifs des États (au-delà du capitalisme central traditionnel), qui est le vrai maître de l’agenda des prétendues négociations. D’ailleurs, il ne reste plus qu’à décerner le prix de la lutte contre le réchauffement climatique aux compagnies pétrolières et minières, comme la Fédération européenne des biotechnologies, Monsanto et Syngenta ont reçu, en 2013, le prix mondial de l’alimentation. D’autant plus que, dans le camp d’en face, sans nier les luttes menées ici et là – avec des vies humaines broyées –, il n’y a aucune réaction d’envergure à l’horizon, en attendant la devenue traditionnelle et bien spectaculaire mobilisation en marge du prochain sommet mondial officiel sur le Climat, comme tout récemment à New York. À moins de penser que l’accord conclu entre la Chine et les États-Unis sur le réchauffement climatique en est une conséquence, à efficacité garantie, plutôt qu’un plafond établi, en la matière, par les deux premières économies mondiales résolument attachées à la croissance capitaliste. L’illusion demeure grande sur la compatibilité du capitalisme, naturellement productiviste, donc écocide, avec la lutte contre le changement climatique.

Cette menace semble, malheureusement, insuffisante pour favoriser, actuellement, une véritable assomption de la dimension écologique de l’identité des organisations de la gauche dite radicale – par, entre autres, une critique théorico-pratique du consumérisme. Celle-ci ne consiste nullement en une prétendue apologie du « primitivisme » ou de l’ère pré-industrielle, comme l’affirment les sectateurs/sectatrices et griot·te·s de la croissance capitaliste. Il y a un certain laxisme des anticapitalistes à l’égard du productivisme – plus envoûtant aujourd’hui qu’au temps d’Engels et Marx – exprimant aussi un long oubli, dans la tradition marxiste par exemple, des « bases naturelles » que sont « les circonstances géologiques, oro-hydrologiques, climatiques et autres » (Engels & Marx, L’idéologie allemande) sans lesquelles il n’y aurait pas de capitalisme et sans la prise en compte desquelles il ne saurait, par conséquent, y avoir de projet anticapitaliste socialiste, pour une amélioration non écocide des conditions d’existence humaine.

Il ne s’agit pas de démoraliser, de renforcer le sentiment d’impuissance dans les rangs de l’anticapitalisme (socialiste et révolutionnaire), d’y accroître le pessimisme, mais de rappeler qu’une image fragmentaire ou tronquée de la réalité [46] dans laquelle nous vivons et que nous reproduisons aussi par notre agir quotidien, même malgré nous, ne peut servir de base solide à la renaissance d’un anticapitalisme à la mesure du stade actuel de mondialisation du capitalisme, de la globalisation – incomplète, heureusement – de son emprise sur la vie (de la “nature” et des humains). La crise du capitalisme (mondial) global (ce « tout complexe à facettes multiples [47] ») n’étant pas encore une réalité, ni même une tendance, à ce jour, contribuons plutôt inlassablement, quotidiennement, à en faire une tendance, à la faire advenir, à partir d’une conscience anticapitaliste globale – avec de la lucidité et de l’enthousiasme unis « dans une perspective instruite » [48] –, par un activisme collectif et individuel permanent, articulant la lutte de classe prolétarienne avec les luttes écologiques, féministes, paysannes, anti-ethnistes/antiracistes et contre bien d’autres oppressions (sexuelles…), dans une perspective socialiste, écologique, féministe, égalitaire… émancipatrice de tous et toutes. En fait, pour une humanité qui sera démocratiquement, intelligemment embellie en permanence, où l’on pourra commencer à vivre bien.

« … Le Capital est sournois, rusé véreux et vicieux J’ai vu des guerriers valeureux[guerrières valeureuses*] tomber à genoux devant moi Changer de fusil d’épaule, choqué[e*], je restais sans voix Conscient[e*] de ça, la vie continue et le combat aussi Même si c’est difficile, même si autour ça sent le roussi Je m’accroche à une éthique, je m’accroche à des idées L’Utopie est belle, je ne laisserai pas le temps la décimer Allez, courage l’ami[e*] » [49]

Jean Nanga, mars 2015

Notes

[1] Ernest Mandel, Le troisième âge du capitalisme (1972), Paris, Éditions de la Passion, 1997, p. 286.

[2] Cf., par exemple, Kai He (Utah State University), « Why China doesn’t want to be number one », East Asia Forum, 13th June 2014, http://www.eastasiaforum.org/2014/0....

[3] Anna Villechenon, « La Grèce, reléguée au rang des “émergents” : une symbolique lourde », Le Monde, 27 novembre 2013

[4] Peter Hägel, « Des dettes de l’Allemagne envers la Grèce ? Un contrepoint », Alternatives économiques, 20 mars 2010

[5] Erik Empatz, « La machine à “pas peur » (édito), Le Canard enchaîné, 19 février 2014, p. 1.

[6] Joshua Cooper Ramo, « The Beijing Consensus. Notes on the New Physics of Chinese Power », Foreign Policy Centre, May 2004, www.fpc.org.uk. Pour l’approche critique, cf. Arif Dirlik, « Beijing Consensus : Beijing “Gongshi”. Who Recognizes Whom and to What End ? », Globalization and Autonomy Online Compendium, http://globalautonomy.uwaterloo.ca/....

[7] Cf., par exemple, Julien Mercille, « Ireland Under Austerity », Counterpunch, April 03, 2014, http://www.counterpunch.org/2014/04... ;

[8] Anna Flotats, « Espagne. La pauvreté devient chronique ». Disponible sur ESSF (article 31429), Dans l’Espagne d’aujourd’hui « il y a des gens qui sont prêts à vendre leur foie pour survivre » – « 16% de la population souffre de malnutrition ».

[9] Davide Furceri et Prakash Loungani, « Qui a libéré le mauvais GINI ? », Finances & Développement, décembre 2013, p. 25.

[10] Comme si les horreurs du capitalisme n’étaient pas qu’une œuvre entièrement humaine, sauf pour ceux qui font intervenir un facteur explicatif divin. Rien ne prouve l’existence du capitalisme hors des sociétés humaines. Ainsi, une revendication telle que “mettre l’homme au centre de l’économie” exprime l’oubli que l’économie – capitaliste, en l’occurrence – est une activité exclusivement humaine. Autrement dit, les humains y sont au centre en tant que producteurs des marchandises – en usant et abusant de la nature –, en tant qu’exploiteurs/exploiteuses et exploité·e·s, en tant que consommateurs/consommatrices. Ce sont des êtres humains qui courent après les profits et s’en approprient. Et, bien qu’il soit question d’auto-valorisation de la valeur pour parler du capital, il s’agit bel et bien d’un rapport social. Concevoir la valeur, l’auto-valorisation autrement relève du … fétichisme.

[11] Henry Jackson Initiative, Toward a more inclusive capitalism, Henry Jackson Society, London, 2012, www.henryjacksoninitiative.org ; Pam Martens, « Try to Contain Your Laughter : Prince Charles and Lady de Rothschild Team Up to Talk About ‘Inclusive Capitalism’ », May 28, 2014, http://wallstreetonparade.com/2014/.... Cet espoir d’un « capitalisme inclusif » à l’échelle mondiale semble se dégager aussi d’un propos de la directrice générale d’OXFAM International, Winnie Byanyima (co-présidente du Forum de Davos de 2015) : « les inégalités extrêmes ne constituent pas seulement un préjudice moral. Elles sapent la croissance économique et pèsent sur les profits du secteur privé », citée – avec Lady de Rothschild, d’ailleurs – dans OXFAM International, « Les 1% les plus riches possèderont plus que le reste de la population mondiale en 2016 », 19 janvier 2015 : https://www.oxfam.org/fr/salle-de-p....

[12] « La violence conjugale [subie par la compagne, bien sûr] est une preuve d’amour » chantait-il, en lingala, dans « Sorozo ».

[13] Est-ce sûr que les universitaires anticapitalistes ne contribuent pas, avec un certain plaisir, au développement de « ce nouveau monde hyperconcurrentiel de la recherche, [où] vous devez vous penser comme un tennisman. Chaque communication, chaque article est un match, chaque paragraphe est un set. Votre objectif : battre vos concurrents et grimper dans le classement ATP de votre discipline. Le ranking, la logique de classement est partout. Oubliez la lutte des classes et embrassez ouvertement la lutte des places. », Gregoire Chamayou, « Petits conseils aux enseignants-chercheurs qui voudront réussir leur évaluation », Revue du Mauss, 2009/01, n° 33, (p. 208-226), p. 213 pour la citation.

[14] Alain Accardo, Le petit-bourgeois gentilhomme, Marseille, Agone, 2009 [édition augmentée et actualisée], p. 20.

[15] Milk Coffee & Sugar, « Alien », du cd Milk Coffee & Sugar, 6D Production, 2010.

[16] L. Trotsky, « Il faut lutter pour un langage châtié », Les questions du mode de vie.

[17] George Orwell, « L’esprit sportif », La Tribune, 14 décembre 1945 (traduit de l’anglais par Anne Krief, Bernard Pecheur et Jaime Semprun) http://www.grouchos.org/091018orwel....

[18] Rappelons que pour Engels et Marx « la conscience ne peut jamais être que l’être conscient et l’être des hommes est leur processus de vie réel » (L’idéologie allemande). On peut ajouter que ce « processus de vie réel » peut aussi inclure des idées sur la transformation du réel, pas encore concrétisée.

[19] Lotfi Chawqui, ESSF (article 31668), « Pour ouvrir un débat sur notre compréhension des processus révolutionnaires dans la région arabe », ESSF, 18 avril 2014 : http://www.europe-solidaire.org/spi...

[20] Lila Chouli, à paraître, Sur l’insurrection populaire et ses suites au Burkina Faso.

[21] Franck Gaudichaud (interviewé par Hernán Soto), disponible sur ESSF (article 31478), « Regards critiques sur le Chili actuel et la conjoncture latino-américaine » (janvier 2014).

[22] Cf., par exemple, Dan La Botz, ESSF (article 30745), « Résultats étonnamment bons de candidats socialistes aux élections locales dans plusieurs villes des Etats-Unis » ; Amy Goodman et Kshama Sawant, « A Socialist Elected in Seattle : Kshama Sawant on Occupy, Fight for 15, Boeing “Economic Blackmail” », Democracy Now, january 6, 2014, http://www.democracynow.org.

[23] Manuel Garí (interviewé par Juan Tortosa), « Podemos. Un essai à transformer pour la gauche anticapitaliste de l’État espagnol », Solidarités, n° 260, « Cahiers Émancipations », p. IV. Cf. aussi, concernant Podemos et Syriza, Eric Toussaint, « Syriza et Podemos : la voie vers le pouvoir du peuple ? » CADTM, 11 février 2015, http://cadtm.org/Syriza-et-Podemos-....

[24] Lola Sanchez (interviewée par Loïc Le Clerc), « Podemos (Etat espagnol) : « La victoire n’est qu’une question de temps » », Regards, repris par ESSF (article 34559), 14 mars 2014 : http://www.europe-solidaire.org/spi....

[25] S’agirait-il de l’art de la tactique conseillé par Lénine dans La maladie infantile du communisme ?

[26] Déclaration du Red Network, ESSF (article 34434), « Négociation UE/Grèce – Un accord avec les créanciers qui emprisonne Syriza dans le social-libéralisme », 25 février 2015, repris dans Inprecor, n° 612/613, février-mars 2015, p. 28.

[27] Cf., par exemple, Manuel Kellner, « « Die Linke » à Thüringen (Allemagne) : Payer cher pour co-gouverner », ESSF (article 33169), 2 septembre 2004 : http://www.europe-solidaire.org/spi....

[28] Jean-Luc Mélenchon (propos recueillis par Joël Cossardeaux), « Les investisseurs n’ont aucune raison d’avoir peur de mon programme », Les Echos, 16/03/2012 : http://www.lesechos.fr/16/03/2012/l....

[29] J.-L. Mélenchon, Allocution/Discours sur la « Défense souveraine et altermondialiste » de la France, 30 mars 2012, http://www.jean-luc-melenchon.fr/20..., qui n’a pas, semble t-il, suscité de réactions internes, y compris de la part des anticapitalistes internationalistes. Cf. Philippe Pierre-Charles, ESSF (article 25065), « Mélenchon, le PCF et les colonies », 1er mai 2012.

[30] Pierre Khalfa, Guillaume Liégard, « Un débat dans Ensemble-FdG : faut-il soutenir la candidature de Junker (droite conservatrice) à la présidence de la Commission européenne ? », ESSF (article 32180), 10 juin 2014 : http://www.europe-solidaire.org/spi....

[31] Il ne s’agit pas de procéder à l’autocritique du style qu’imposaient les bureaucraties staliniennes et maoïstes.

[32] Manolis Glezos, « Je demande au peuple grec de me pardonner d’avoir contribué à cette illusion », Okanews, 22 février 2015, repris par le site du CADTM : http://cadtm.org/Glezos-Je-demande-....

[33] L’attachement à l’idée de la supériorité raciale n’est pas exclusive aux sociétés des anciennes métropoles impériales coloniales. Costas Lapavitsas (économiste monétaire, député élu sur la liste de Syriza) souligne la dimension identitaire de l’euro qui « a permis aux Grecs de penser qu’ils étaient devenus de “véritables Européens” […] Plus la crise était profonde, plus absurde l’appartenance à l’union monétaire est devenue, plus l’attachement à l’euro est devenu fort parmi les certaines couches de la population. La raison de cela : l’identité. Les gens veulent entretenir un lien avec l’idée de l’Europe, l’idée de ne pas faire partie du Moyen- Orient ou du Proche-Orient. [Sebastian Budgen :] Faire partie des blancs ? [Lapavitsas] Oui. C’est très important. Cela ne doit pas être sous-estimé. », Costas Lapavitsas (entretien conduit par Sebastian Budgen, ESSF (article 34603), « Grèce, phase 2 – Comment aller de l’avant ? »,

[34] Sur la suprématie du capital états-unien, cf., par exemple, Sean Starrs, « The Chimera of Global Convergence », New Left Review 87, May-June 2014, http://newleftreview.org/II/87/sean....

[35] Anibal Quijano, « Colonialité du pouvoir et démocratie en Amérique latine », Multitudes (Futur Antérieur), juin 1994, http://www.multitudes.net. Notre évocation de la critique de la colonialité n’implique pas l’acceptation de la conception confuse de la décolonialité exprimée par Walter Mignolo dans son texte « Géopolitique de la sensibilité et du savoir. (Dé)colonialité, pensée frontalière et désobéissance épistémologique » (Mouvements, 6 décembre 2012. http://www.mouvements.info/Geopolitique- de-la-sensibilite-et.html) qui, par exemple, idéalise la Conférence de Bandung.

[36] Rappelons que pour Nicolas Sarkozy, par exemple : « la crise du capitalisme financier n’est pas la crise du capitalisme […] l’anticapitalisme, c’est une impasse, c’est la négation de tout ce qui a permis d’asseoir le progrès […] On doit moraliser le capitalisme et pas le détruire (…) il ne faut pas rompre avec le capitalisme, il faut le refonder[…] Il faut rééquilibrer les rôles respectifs de l’État et du marché », La Tribune (08/01/2009), « Nicolas Sarkozy se penche de nouveau sur la moralisation du capitalisme financier » : http://www.latribune.fr/actualites/....

[37] Concernant les ONG féministes, cf., par exemple, la fin du texte de Silvia Federici, « Reproduction et lutte féministe dans la nouvelle division internationale du travail » (1999), Période, 17 avril 2014, http://revueperiode.net/reproductio... ;

[38] Cf. aussi Philippe Pierre-Charles, « Existerait-il un « colonialisme syndical » français ? A propos des nouvelles règles de la représentativité », 6 avril 2014, sur ESSF (article 31576) : http://www.europe-solidaire.org/spi....

[39] Cornelius Castoriadis (entretien avec olivier Mongin, Joël Roman et Ramin Jahanbegloo), « Le délabrement de l’Occident », Esprit, décembre 1991, republié dans C. Castoriadis, La montée de l’insignifiance. Les carrefours du labyrinthe – 4, Paris, Seuil, 1996, (pp. 67-95), p. 82 pour la citation. Qu’on se souvienne d’une part du débat plutôt altermondialiste européen sur la participation ou non des organisations politiques (de la gauche révolutionnaire, s’entend) et d’autre part, de celui au sein du comité d’organisation indien du FSM de Mumbai, sur le bien-fondé ou non du soutien financier habituel de la Fondation Ford.

[40] George Soros passe pour un capitaliste lucide sur les “excès” du néolibéralisme, cf. par exemple, George Soros, « The Capitalist Threat », The Atlantic Monthly, February 1997, vol. 279, n° 2, p. 45-58, http://www.theatlantic.com/past/doc....

[41] Noam Chomsky, Le nouvel humanisme militaire. Leçons du Kosovo, (1999), Lausanne, Page deux, 2000 (Préface de Gilbert Achcar, traduction d’Isabelle Richet avec la collaboration de G. Achcar).

[42] Jean Batou, ESSF (article 30846), « Le redéploiement de l’impérialisme français en Afrique et la sidération humanitaire de la gauche »

[43] Les affaires de viol au sein du Socialist Workers Party britannique et leur traitement par son Comité de litige ont rappelé la persistance de la mentalité phallocratique jusque dans la direction d’une organisation de la gauche révolutionnaire. Cf., par exemple, Laurie Penny, ESSF (article 28418), « Sur la crise du SWP (UK) : Qu’est-ce que la façon dont le SWP britannique traite d’une accusation d’aggression sexuelle nous dis à propos de la gauche ? ». Cf. aussi, sur la phallocratie plus à gauche, Francis Dupuis-Déri, « Hommes anarchistes face au féminisme », Réfractions, n° 24, 2010, p. 107-121.

[44] Cf., par exemple, le volume 24, n° 2 de 2005 de la revue Nouvelles Questions Féministes consacré aux « Féminismes dissidents en Amérique latine et aux Caraïbes »

[45] Cf. la critique par Daniel Tanuro, ESSF (article 31539), « Un nouveau rapport GIEC sur l’évolution du climat : gravité extrême du diagnostic, inconsistance des solutions » : http://www.europe-solidaire.org/spi...) du Résumé pour les décideurs du deuxième volet du cinquième rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), Changements climatiques 2014 : conséquences, adaptation et vulnérabilité.

[46] Sonnées par des défaites successives, les gauches anti-néolibérale et anticapitaliste françaises ont considéré la victoire du “non” au référendum sur le Traité constitutionnel européen (2005) comme leur victoire, alors que les voix du Front national (FN), du Mouvement national républicain (MNR), du Mouvement pour la France (MPF), du Rassemblement pour la France (RPF), de Chasse, pêche, nature et traditions (CPNT), du Mouvement républicain et citoyen (MRC) font aussi partie des 54,67 % (15 449 508 voix) ayant dit “non” au TCE. Ce qui a produit quelque illusion sur les résultats possibles aux élections présidentielles de 2007 …

[47] Michael Löwy et Robert Sayre, Révolte et mélancolie. Le romantisme à contre-courant de la modernité, Paris, Payot, 1992, p. 32.

[48] Ernst Bloch, Le Principe Espérance III. Les images-souhaits de l’Instant exaucé (1959), Paris, Gallimard, 1991, p. 550-551.

[49] La Canaille, « Ma ligne de mire », un des titres du cd par temps de rage, 2011. Je me suis permis de féminiser en espérant que La Canaille me le pardonne.


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