Reconstruire la gauche : 5 militants nous livrent leurs propositions

samedi 11 avril 2015.
 

Discréditée par un gouvernement et un président de la République élu en son nom, la gauche est en danger, la gauche se meurt. Ces élections l’ont une nouvelle fois confirmé : cette politique libérale, ou sociale-libérale, peu importe au final comment on la nomme, est mortifère, fait le jeu de l’extrême droite et de la droite extrême. Le mal est profond, tant la gauche semble avoir perdu la bataille idéologique, mère de toutes les conquêtes.

Pourtant, le peuple de gauche est toujours là, prêt à se mobiliser, à lutter. Syndicalistes, militants associatifs ou politiques, citoyens épris de justice sociale et de progrès, voilà autant d’énergies disponibles pour ce grand chantier qui s’ouvre, afin de donner une perspective, une espérance. Encore faut-il s’affranchir de tous les obstacles à cette reconstruction, au délabrement de nos institutions et de la société, aux marchands de peur qui préfèrent désigner l’immigré pour cacher la soumission à la finance. Et concrètement, comment fait-on ? Avec qui ? Selon quelles valeurs ? L’« HD » a demandé à cinq militants engagés chaque jour sur le terrain la gauche qu’ils veulent et qu’ils attendent.

PASCAL DEBAY, syndicaliste à la CGT

"La plus grande tristesse de ce scrutin, c’est de constater l’implantation du FN dans les territoires. Dans certaines villes qu’il tient déjà, son score a dépassé les 50%. Ce constat renforce ma conviction que la bataille contre l’extrême droite est une bataille de long terme. Dans le même temps, en Meurthe-et-Moselle, malgré une forte implantation depuis longtemps, on a vu les résultats du Front de gauche baisser, même s’ils restent bons. On voit bien que certains électeurs de gauche, déçus par la politique gouvernementale, se sont tournés vers les candidats du Front de gauche. En tant que syndicaliste, je pense que les salariés ont tout intérêt à voir quelque chose se structurer autour de partis qui prennent en compte nos revendications. Mais pour cela, il faudrait que ces partis donnent une image cohérente sur l’ensemble du territoire. Selon les régions aujourd’hui, ce n’est pas encore le cas. Or, le FN donne cette illusion de cohérence en présentant des candidats partout, et en semblant critiquer tout le champ politique. Je reste sûr que des solutions politiques vont émerger, surtout si nous sommes chacun à notre échelle capables de regagner le terrain. Des choses sont en train de se construire dans les syndicats et, je l’espère, les partis politiques. La réalité du chômage de masse, de la casse du droit du travail s’imposera à tout le champ politique à gauche. Mais à condition que nous ne laissions pas le terrain au FN, qui apparaîtrait comme le défenseur des “ petits”."

PASCAL BAGNAROL, secrétaire départemental du PCF en Corrèze

« Dans un scrutin à la proportionnelle, nous aurions cinq élus. Dans le département, nous avons réalisé un score de 13,70 % des voix au premier tour. Mais de fait, nous n’avons plus d’élu au conseil départemental de Corrèze. Nous avons fait un choix politique. Nouer une alliance avec le PS pour conserver notre élu sortant aurait été contradictoire avec l’accord que nous avons passé au niveau départemental avec nos autres partenaires, fruit de ce que nous construisons en Corrèze et dans le Limousin depuis 2008. Je rappelle que le Front de gauche a réalisé avec Limousin Terre de gauche son plus gros score au niveau national lors des régionales de 2010 (20%). Pour ces départementales, nous avons réussi à élargir ce Front de gauche aux écologistes d’EELV, à Nouvelle Donne et à d’autres citoyens. C’est sur la base de rassemblement le plus large possible, fondé sur le refus de l’austérité, que nous allons poursuivre la reconstruction de la gauche. Nous voulons encore élargir ce rassemblement, mais sur des contenus politiques. Nous ne sommes pas la gauche de la gauche, mais bien le cœur de la gauche. Nous ne voulons pas sombrer dans le gauchisme. Notre rassemblement est porteur de radicalité, mais pas de radicalisation. Nous ne sommes pas la petite gauche qui ne servirait à rien. À présent, nous allons devoir nous faire entendre des élus départementaux, mais nous appuyer aussi sur nos élus communaux. Nous ne sommes pas un modèle, mais notre expérience peut être mise dans la panière commune. »

MARIE-HÉLÈNE THOMET, secrétaire du syndicat CGT du centre commercial de La Part-Dieu (Lyon)

« Je suis en contact avec les salariés de toutes les enseignes du centre commercial afin de préparer la journée du 9 avril et, que ce soit dans les grandes enseignes ou les petites boutiques, l’état d’esprit est à la déception. Les salariés sont blasés : ils attendaient beaucoup de ce gouvernement et ils se rendent compte qu’ils sont victimes d’une imposture. La régression est terrible en termes de salaires, c’est le management par la terreur, les dividendes vont aux actionnaires, mais pour les salariés, l’intéressement est ridicule. Pour eux, un gouvernement de gauche serait celui qui prendrait des mesures en faveur des salariés. Dans leur esprit, le “ tous pourris ” monte et favorise le FN comme vote de provocation. Mais, aujourd’hui, il y a gauche et gauche. Le biais du syndicalisme peut permettre de la reconstruire. Par exemple, notre fédération du commerce CGT est très active contre la loi Macron, on peut récupérer l’espoir des salariés par la lutte massive et payante. Nous avons un rôle offensif à jouer, et les salariés sont réceptifs. Il faut donc aller au contact pour dire que ce gouvernement ne pratique même pas une politique socialiste. Par le biais de la lutte, des manifs, ça marche. Ce que j’attends de la gauche, c’est d’abord le respect de la démocratie, des droits individuels et collectifs. Il faut commencer par la base, redonner aux salariés les vraies valeurs de gauche, car ils ont perdu le sens des idéologies. Notre travail de militants, syndicalistes, citoyens, c’est d’aller vers les salariés, les voisins, pour redonner des valeurs : le partage des richesses – car c’est la France d’en bas qui les crée –, le respect de la démocratie, de l’individu, des citoyens. »

FRANÇOIS PIQUEMAL, militant du DAL à Toulouse, porte-parole de la fédération sud-ouest du DAL

« La gauche est dans un état catastrophique. Je considère qu’au DAL, nous sommes un des mouvements sociaux qui est le plus proche de sa base, car les militants sont souvent les premiers concernés : sans logis, mal logés. Or, on voit qu’il existe un décrochage entre les appareils des partis de gauche et leur base. Le nom “ gauche ” lui-même est problématique : pour les gens, la gauche va du PS à Philippe Poutou ... C’est un flou qui fait que la gauche du PS n’est pas crédible pour eux. Je suis “ gramsciste ” : et le langage est une des clés. Par exemple, pour les programmes des cantonales, on voit que le mieux adapté, au niveau des mots, était celui du FN ... La gauche peut avoir tendance à utiliser les mots des élites. Il faut lier le langage et les préoccupations des gens : par exemple, je dis souvent “ Je suis pour la justice ”, personne ne peut être contre la justice ... ou bien “ Nous sommes pour que personne, aucun être humain ne soit à la rue ” : cela évite les divisions entre sans-papiers et les autres, par exemple. D’autre part, la gauche doit se recentrer sur un discours social, je remarque d’ailleurs que, sur les mœurs, les pauvres sont souvent à droite. La question centrale est celle du partage des richesses, du logement, ça, c’est concret. La défiance envers les partis est grande, il faut sans doute une remise en cause des partis, qui devraient parfois s’effacer pour être unis. C’est ce qui bloque aujourd’hui la construction de la gauche : les intérêts de partis. Mais défaire cela est compliqué. Ce qui peut marcher, ce sont des assemblées citoyennes, on peut penser à une charte pour tous les partis de gauche, sur 12 revendications très concrètes qui seraient défendues et mises en place dans des collectifs citoyens ... »

YANN MONDRAGON, secrétaire adjoint CGT à PSA Trémery (Moselle)

PSA, nous subissons une « À troisième année de gel de salaires et un sous-effectif chronique. François Hollande est venu, il se dit de gauche mais n’a même pas discuté avec les salariés ou les syndicats. Il y a une nécessité impérieuse de redéfinir ce qu’est la gauche : elle doit d’abord exiger une revalorisation salariale et des contrats de travail non précaires. Une politique de gauche doit lutter contre toutes les inégalités, placer l’humain et ses besoins au centre de toutes ses préoccupations, tenter de combattre l’idée erronée que la course au profit et l’enrichissement personnel sont source de bonheur. Une politique de gauche interdit par des lois claires les rémunérations aberrantes de certains PDG, encourage la solidarité par des actions concrètes, entretient le tissu associatif en le subventionnant, stigmatise l’argent roi. Elle donne aussi la parole aux peuples par le biais d’assemblées constituantes. Et un parti de gauche ne s’aplatit pas devant les puissances de la finance et son diktat, ne recule pas l’âge légal de départ en retraite. Il va chercher la richesse là où elle est, là où elle se cache, car il trouve inacceptable que des travailleurs pauvres vivent dans leur bagnole ou qu’en 2015 des humains fouillent les poubelles pour se nourrir. Voilà quelques leviers que la gauche pourrait utiliser pour se reconstruire, des valeurs autour desquelles elle pourrait se réunir. D’ailleurs, les batailles de chapelle, à gauche, entre trotskistes, les membres du Front de gauche, l’ensemble de la vraie gauche, ce sont les prolétaires qui les subissent. On doit trouver une plate-forme commune. »


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