Les revendications des médecins grévistes sont "injustes pour la population"

samedi 3 janvier 2015.
 

Alors que des syndicats de médecins libéraux maintiennent leur grève (5 et 6 janvier), le Syndicat de la médecine générale (SMG) maintient son désaccord, ne cautionnant pas 
des revendications « injustes pour la population ». Pourtant, les motifs de mécontentement sont nombreux, souligne Patrick Dubreil, son secrétaire.

La colère des médecins libéraux se focalise notamment sur la question du tiers payant, que le projet de loi de santé entend rendre obligatoire. Quelle est votre position à ce sujet  ?

Patrick Dubreil L’ensemble des syndicats a décidé de dire non au tiers payant généralisé. Il faut qu’ils prennent conscience qu’en pleine crise économique il n’est pas acceptable que ce dispositif soit attaqué, car c’est un outil fondamental de justice sociale. Surtout dans une période où le renoncement aux soins progresse. Tourner le dos à cette pratique, c’est rajouter de la violence à la violence. En tant que médecin, on ne peut pas le tolérer, d’autant que les pharmaciens et les kinés, eux, pratiquent le tiers payant sans que cela pose de problème…

Un grand nombre de vos collègues dénoncent non pas l’objectif du tiers payant, mais la lourdeur de ce système qu’ils jugent trop compliqué. Qu’en pensez-vous  ?

Patrick Dubreil Il est vrai qu’aujourd’hui le tiers payant est utilisé au prix d’une augmentation de la charge administrative des professionnels, d’une réduction de leur temps médical et donc de leur épuisement. À chaque fois qu’un médecin effectue un tiers payant, il lui faut vérifier à quelle caisse le patient est affilié, s’il a une mutuelle et, ensuite, contrôler s’il est bien remboursé par l’assurance maladie et par les complémentaires. Cela prend du temps. En outre, l’assurance maladie ne rembourse les frais que si le patient a déclaré un médecin traitant, y compris dans les cabinets de groupe. Personnellement, je travaille avec quatre collègues. Si je reçois le patient d’un collègue, parce que celui-ci est absent, je ne suis remboursé que 30 % de la consultation car je ne suis pas déclaré comme étant son médecin traitant. Ce qui me fait un manque à gagner de 9,20 euros.

Comment, selon vous, le tiers payant pourrait-il être généralisé sans léser les médecins  ?

Patrick Dubreil Au sein du SMG, nous réclamons la création d’un guichet unique, qui serait l’assurance maladie, car c’est la seule caisse qui est solidaire et c’est aussi la moins coûteuse, qui dispenserait l’avance de frais totale du tiers payant. Celui-ci serait systématiquement proposé aux patients et aux médecins qui le souhaitent tant que le système est régi par le paiement à l’acte. Concrètement, l’assurance maladie réglerait la totalité des actes de secteur 1 aux professionnels et se ferait ensuite régler le ticket modérateur par les complémentaires santé. Les médecins seraient alors libérés de la vérification administrative de la récupération d’une partie de leurs revenus et de la contractualisation avec ces mêmes complémentaires. Il faut que l’assurance maladie comprenne que ce n’est pas en faisant payer plus les malades qu’on fera baisser les dépenses de santé…

Vous évoquez en filigrane une sortie du paiement à l’acte. Pouvez-vous expliquer quel en serait l’intérêt pour les médecins et les patients  ?

Patrick Dubreil Le paiement actuel favorise la course à l’acte. Plus on fait de consultations et d’actes, plus on est payé. Au SMG, nous refusons cette logique inflationniste. Tout comme nous prônons la suppression de la prime à la performance – appelée rémunération sur objectifs de santé publique. C’est un forfait variable, qui peut aller jusqu’à 12 000 euros par médecin par an, basé sur des critères médico-économiques fixés par l’assurance maladie. Inégalitaire entre praticiens, inefficace pour réduire les inégalités, comme son application l’a montré dans de nombreux pays, elle est perverse dans son principe – individualisme, logique financière prenant le pas sur le soin, formatage des pratiques… – et coûteuse pour l’assurance maladie. Nous pensons qu’il faut développer d’autres modes de rémunération. Pour éviter les inégalités de revenus des médecins, on pourrait augmenter le forfait des patients en ALD (affection de longue durée), qui est de 40 euros seulement par an, on pourrait instaurer des forfaits pour certaines pratiques. J’ai fait hier un certificat pour coups et blessures sur une femme violentée, cela m’a pris presque une heure… Pour 23 euros  ! On pourrait tout à fait forfaitiser les revenus des médecins de manière globale et non variable. Quelques améliorations ont été faites, comme le forfait de la consultation post-hospitalisation, fixé à 46 euros. Sauf que, dans le même temps, au lieu de lutter contre les dépassements d’honoraires, on les a généralisés…

Comme les autres syndicats de médecins libéraux, vous êtes très critiques vis-à-vis du projet de loi santé  ?

Patrick Dubreil Cette loi met tout le monde en colère dans le monde médical mais pour des motifs différents. Marisol Touraine tourne le dos à la stratégie nationale de santé, à laquelle nous avons cru, qui jetait les bases d’un système coordonné, avec une prise en compte des besoins de la population. Le décalage entre l’exposé des motifs et les mesures envisagées est énorme  : d’un côté, ce projet de loi s’appuie sur la loi HPST (hôpital, patients, santé et territoires) et renforce le pouvoir de l’État sur l’ensemble du champ médico-social à travers les agences régionales de santé. De l’autre, il n’annonce aucun changement profond de l’organisation de l’offre de santé. De notre point de vue, quelques mesurettes vont dans le bon sens, comme la délégation de tâche ou les salles de shoot. Mais c’est insuffisant. Donc oui, nous sommes en colère contre ce gouvernement qui ne prend pas en compte les besoins de la population et les réalités de terrain des médecins généralistes. Mais faire grève ne résoudra rien. C’est le mouvement social dans son ensemble qui doit permettre de débattre et de faire des propositions.


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