"La régression identitaire"

mardi 30 décembre 2014.
 

Il y a dix ans le «  néoconservatisme  » n’avait pas le sens qu’il revêt, aujourd’hui, sous la plume de la plupart des commentateurs et des éditorialistes. Ce terme qualifiait une série de postures et d’impostures relatives à une vision géopolitique du monde  : le plaidoyer d’esprits égarés contre la guerre d’Irak, souvent accompagné d’un soutien sans faille à la ligne politique des faucons israéliens. Par des glissements successifs, l’appellation incontrôlée englobe toutes les voies qui participent d’une critique radicale de la modernité sous toutes ses formes (politique, sociale, sociétale…). Par un paradoxe qui n’est qu’apparent, un Éric Zemmour, autrefois chantre d’un souverainisme radical, se trouve couronné de l’estampille désormais disputée de chef de file des néoconservateurs français, et est encensé par la presse de droite autrefois atlantiste. Une nouvelle droite est ainsi en train d’apparaître en France. Elle n’a plus la tête dans la bannière étoilée mais poursuit un programme beaucoup plus domestique  : mettre la France sous tension ethnique et identitaire.

Pour le moment, elle n’est pas encore parvenue à s’incarner à travers une offre politique partisane. Voilà pourquoi le lecteur d’Éric Zemmour est, d’abord, un électeur qui s’impatiente de la lenteur avec laquelle la recomposition idéologique qui travaille la droite française se traduit politiquement. Car on trouve des identitaires partout. Ils n’en mourraient pas tous mais tous en sont frappés. Le FN n’est qu’un des représentants de cette lame de fond culturelle dont on retrouve des représentants bruyants au sein des formations du centre et de la droite. De ce point de vue, analogie pour analogie, il est probable que nous nous trouvions moins dans un air du temps semblable à celui qui régnait en 1934 qu’à celui de 1914 qui a précipité l’Europe vers son suicide.

Comment en est-on arrivé là  ? S’il fallait mettre le curseur, je le mettrais au moment du débat – ou plutôt du monologue tant l’un des interlocuteurs était privé de voix – sur l’identité nationale, cette catastrophe absolue initiée par Nicolas Sarkozy de 2009 à 2010. Il n’a pas fallu vingt-quatre heures pour que la question de l’identité de la France se résume à la question de l’immigration et de l’intégration, les deux étant mêlés dans le même pot à tambouille politique dégageant un fumet persistant de lepénisme. Durant des mois, on assista à la multiplication de dérapages racistes allant jusqu’à prendre pour cible les Français de deuxième et même de troisième génération. Quotidiennement des tombereaux d’insanités étaient déversés sur leurs têtes, les sommant de s’expliquer, de donner des preuves de leur «  francité  ». Il y avait longtemps que l’on n’avait pas vu un tel exercice de défouloir national. Et ces propos n’étaient pas l’apanage d’anonymes ni de petits responsables politiques. Des parlementaires, des intellectuels, des ministres y allèrent de leurs couplets discriminants et xénophobes, illustration d’une droite sans tabou et décomplexée. «  Affirmez vos convictions, ne craignez pas de cliver, les Français vous soutiennent  », avait lancé le président de la République. Au lieu de quoi, ce furent les Français qui mirent fin à cette expérience démente de thérapie collective. Au printemps, une majorité d’entre eux réclamaient dans les sondages son arrêt toute affaire cessante. Ce fut la débandade de l’exécutif. Un séminaire gouvernemental décida que les travaux produits étaient suffisamment intéressants (rires) et on oublia.

Enfin, pas tout à fait, car ce procès public à grande échelle a provoqué une secousse tellurique dont nous n’avons pas encore fini de subir les conséquences. Depuis cette date, une partie du personnel politique est mûre pour faire du Buisson sans Patrick Buisson et s’abandonner aux délices de la régression identitaire.

Vient de publier la Panique identitaire 
(Grasset. 142 pages, 14 euros)

Ce texte fait partie d’un dossier de L’Humanité intitulé Les néo-conservateurs envahissent-ils la pensée française ?


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