1914 sonne comme un échec des pacifismes en France

samedi 20 septembre 2014.
 

Le colloque « Les défenseurs de la paix (1899-1917) » se déroulait à l’Institut historique allemand de Paris, lieu hautement symbolique…

Quelles images garde-t-on en général du début de la Grande Guerre  ? À coup sûr, celle de la paix assassinée avec Jaurès, mais aussi l’illusion tenace d’un départ pour le front enthousiaste, «  la fleur au fusil  ». De ce mythe de la guerre fraîche et joyeuse, il y a longtemps que des études historiques ont fait justice. Elles montrent pour le cas de la France – mais sans doute est-il généralisable – une opinion publique d’abord abasourdie, catastrophée devant la mobilisation puis, au bout de quelques heures, grave et résolue dans la conviction qu’il fallait répondre à l’agression et défendre la patrie en danger. Le peuple français en 1914 est très majoritairement pacifique, mais il n’est pas pour autant pacifiste. Que représentaient donc les pacifismes dans la France d’avant-1914  ?

Un pacifisme bourgeois

Le mot «  pacifisme  » était revendiqué dans le milieu assez élitiste des ligues de paix qui réclamaient l’organisation du droit international et le règlement des conflits par des procédures d’arbitrage. Ces idées étaient relayées au sein du Parti radical par des personnalités comme Léon Bourgeois, qui avait représenté la France aux conférences de la paix de La Haye, en 1899 et 1907, Ferdinand Buisson, qui présidait en 1914 la Ligue des droits de l’homme et la Ligue de l’enseignement, ou Joseph Caillaux, qui avait négocié en 1911 avec l’Allemagne sur le Maroc et avait participé en 1913 à la campagne contre la prolongation à trois ans du service militaire. La même année le sénateur d’Estournelles de Constant avait tenté de rapprocher les parlementaires français et allemands. Le «  pacifisme  » des ligues de paix n’avait rien d’absolu, il acceptait l’idée d’une «  guerre du droit  » face à une agression, et se montrait très modéré et légaliste. Ses animateurs ne manquaient pas de souligner qu’ils n’avaient rien de commun avec les «  antimilitaristes  », les «  antipatriotes  » de «  l’anarcho-syndicalisme  ».

Le courant antimilitariste et antipatriote

Dans tous les congrès de la CGT depuis 1904, on invite les travailleurs à développer la «  propagande antimilitariste et antipatriotique  » et à répondre à la guerre par la grève générale révolutionnaire. Défendues par des syndicalistes comme Victor Griffuelhes ou Georges Yvetot, ces positions ont été aussi soutenues par des anarchistes comme Sébastien Faure ou par Gustave Hervé, directeur de la Guerre sociale. Pour contrer ces menaces de sabotage, la police avait établi, dans le «  carnet B  », la liste de tous ceux dont l’arrestation devait avoir lieu en cas de mobilisation. Dans les deux ou trois années qui ont précédé la guerre, ce pacifisme révolutionnaire et insurrectionnel était cependant en perte de vitesse. À ce moment-là en revanche, les efforts de rassemblement du camp de la paix portés par Jaurès dans la grande campagne contre la loi des trois ans ont semblé porter leurs fruits.

Jaurès au cœur du combat pour la paix

La photo de Jean Jaurès ceint de son écharpe tricolore et adossé au drapeau rouge parlant au peuple rassemblé au Pré-Saint-Gervais, le 25 mai 1913, illustre ce grand combat. Au Congrès international de Bâle en 1912, il avait également sonné le tocsin contre «  le monstre qui apparaît à l’horizon  ». Avec d’autres socialistes comme Édouard Vaillant, il a inlassablement porté la parole contre les forces bellicistes et chauvines, tout en développant une réflexion théorique. Dans l’Armée nouvelle (1911), il se montre plus proche des pacifistes juridiques que des antipatriotes par son acceptation de la guerre défensive et sa volonté de concilier internationalisme et patriotisme.

Mais, en même temps, à la différence des pacifistes bourgeois, il pensait que «  les chances de guerre subsisteront tant que subsistera le capitalisme  », et que la seule force capable de donner «  un centre de ralliement à tous les éléments pacifiques  » et de faire barrage à la «  brutalité des intérêts  » était le prolétariat organisé à l’échelle internationale. Cette conviction l’a amené à défendre comme un recours suprême la grève générale contre la guerre, une motion discutée mais jamais adoptée dans les congrès de la IIe Internationale. S’il a critiqué les «  paradoxes anarchisants  » des «  sans-patrie  », il a pris publiquement leur défense malgré de virulentes attaques.

Été 1914  : des pacifismes impuissants

Au printemps 1914, les Français avaient semblé voter pour la paix. Pourtant, au moment de la crise brutale de juillet 1914, les pacifistes, peut-être affaiblis par leurs divisions, ont semblé pris de court. La confiance affirmée par la majorité d’entre eux dans la volonté de paix du gouvernement français, puis la certitude d’une agression du militarisme allemand ont rendu presque unanime leur ralliement à l’union sacrée. Si Jaurès a été impuissant à empêcher le déroulement d’un scénario catastrophe qu’il avait pourtant anticipé, il n’a pas eu du moins à opérer un choix aussi tragique.

Tribune de Rémy Fabre, historien, dans L’Humanité


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