Le Front de gauche en quête de rebond

samedi 7 juin 2014.
 

Les principaux animateurs du Front de gauche se sont réunis, hier, en vue de tirer les enseignements des élections municipales et européennes et de dégager des pistes pour l’avenir du rassemblement, confronté au défi de son élargissement.

C’était un rendez-vous attendu après l’onde de choc des résultats aux élections municipales et européennes qui ont laminé la gauche et installé l’abstention et l’extrême droite en tête. La réunion de ses principaux animateurs du Front de gauche, hier à Paris, pour tirer les enseignements de l’épisode électoral, aurait pu virer à l’aigre, alors que les tensions n’ont pas manqué ces derniers mois entre ses composantes, retardant même son entrée en campagne pour les européennes. Au final, les déçus seront ceux qui guettaient la rupture. « L’ambiance n’était pas au règlement de comptes », a confié Olivier Dartigolles, porte-parole du PCF, à l’issue des trois heures de discussion, mais « à la gravité, à l’écoute et à la volonté d’approfondir le débat ». Pour la première fois depuis des mois, notaient même certains participants, ses composantes ont « réussi à assumer le fait que s’aiguise le débat entre eux ».

Un tournant dans les relations au Front de gauche  ?

Certes, les participants à la réunion d’hier ne partaient pas de rien  : de fait, ceux qui se reconnaissent dans le rassemblement, y militent ou en attendent un renouveau de la gauche n’ont guère attendu le feu vert des responsables pour ouvrir le débat sur ses responsabilités présentes, et sur ce qu’il faut y changer… ou non. Tribunes dans la presse, billets de blogs, points de vue de ses élus se sont multipliés ces dernières semaines, et particulièrement depuis le «  choc  » des européennes. Non que le Front de gauche ait démérité  : il s’en sort avec une légère progression en voix et en pourcentage par rapport aux précédentes élections de 2009 (6,61 % et 1 200 000 voix, soit + 0,14 point et 80 000 voix), véritable exception dans un paysage sinistré à gauche. Mais, ramenés aux objectifs qu’il s’était fixés de «  bousculer le rapport de forces à gauche en (sa) faveur  » dans son texte stratégique de janvier 2013, on est très loin du compte. D’aucuns n’hésitant pas à parler d’«  échec  » en la matière. «  Le Front de gauche n’a toujours pas réussi ni à incarner une alternative crédible ni à capitaliser la colère populaire et le rejet de la Constitution libérale européenne qui s’était manifesté en 2005  », constatait ainsi, au soir de l’élection, Lucien Jallamion, de la petite formation République et socialisme, pour qui «  ce scrutin (nous) renvoie à (nos) propres responsabilités  : la reconstruction de la gauche  ». «  Notre espace politique reste en deçà de ses possibilités  », observaient de leur côté les animateurs d’Ensemble, la dernière-née des composantes du Front de gauche, lesquels appelaient les «  composantes du Front de gauche à prendre la mesure des efforts de réorganisation interne et d’ouverture à produire  ».

« Le Front de gauche doit continuer mais différemment »

Même si l’échec a aussi des causes externes, comme le fait qu’«  un gouvernement applique, au nom de la gauche, une politique de droite  », selon Éric Coquerel, secrétaire national du Parti de gauche (PG), «  la galaxie du Front de gauche doit se convaincre en tout cas que le virage social-libéral du pouvoir (…) ne conduit pas mécaniquement au renforcement d’une gauche bien à gauche, souligne l’historien Roger Martelli dans Regards. Si la colère ne s’adosse pas à la perception d’une alternative tout aussi possible que nécessaire, la voie est ouverte à l’amertume et au ressentiment  ».

Si en son sein tout le monde s’accorde donc à dire que «  le Front de gauche doit continuer mais différemment, en étant capable d’un rassemblement plus large  », souligne Éric Coquerel, le débat s’aiguise sur la façon de réussir ces convergences à gauche pour imposer une autre politique.

Hier, certains ont estimé que c’est en priorité le fonctionnement du mouvement qu’il faut revoir pour lui permettre d’irriguer la société. À l’instar de Clémentine Autain, d’Ensemble. «  Il y a urgence, estime- t-elle. Il faut tirer des enseignements sur ce qui n’a pas fonctionné en interne ces dernières années.  » Et la porte-parole de lister  : «  Il faut trouver une architecture nouvelle, avoir des instances de fonctionnement plus inclusives, une coordination nationale qui se réunit régulièrement, des fronts thématiques avec des moyens de fonctionner, un conseil national qui a une vraie fonction, des structures locales avec un statut…  » Autant de questions qui, avec celle de l’«  adhésion directe  », reviennent régulièrement depuis le lendemain du scrutin présidentiel.

Au-delà, le débat porte sur le rapport aux autres forces politiques et sociales, que tous invitent au rassemblement. Pour le Parti de gauche, la «  prise de distance vis-à-vis du gouvernement  » doit primer. Au PG, on semble ainsi inviter les potentiels alliés du Front de gauche à donner des gages, tout comme Jean-Luc Mélenchon appelait dès avant le scrutin européen les «  députés frondeurs  » du PS à prendre «  leur autonomie  ». «  La condition n’est pas qu’ils rendent leur carte du PS, mais qu’on entame les discussions sur la base d’un refus de la politique de Valls et de Hollande  », explicite Éric Coquerel, qui se veut prudent  : «  Que va-t-il se passer lors du vote du collectif budgétaire, par exemple  ?  » Chez son allié communiste, on envisage l’avenir sur un autre plan  : «  La question n’est pas d’améliorer le Front de gauche, mais de faire une proposition politique de même force que celle qui a correspondu à la création du Front de gauche  », estime Olivier Dartigolles. Un tel acte est une nécessité pour «  que d’autres soient disponibles et se sentent à l’aise dans un rassemblement coconstruit  », selon le porte-parole du PCF. «  Le problème, c’est qu’il faut aller bien plus loin que le Front de gauche  », abonde le porte-parole de la Gauche unitaire, Christian Picquet. La discussion s’est posée dans des termes semblables à la veille de chacune des manifestations que le mouvement a organisées ces dernières années  : faut-il prendre l’initiative et inviter les autres à s’y rallier pour lancer la dynamique, ou coconstruire pour élargir en amont au maximum le nombre d’acteurs susceptibles de participer  ?

Le débat ne fait que commencer

La question devient cruciale au moment où les appels à la convergence autour d’une politique en rupture avec l’austérité montent des rangs de toute la gauche. D’Europe Écologie-les Verts à l’aile gauche du PS, en passant par des initiatives locales comme celles du président du conseil général de Seine-Saint-Denis, Stéphane Troussel (PS), qui propose «  des États généraux de la gauche  », ou encore du sénateur du Pas-de-Calais, Dominique Watrin (PCF), qui invite ses concitoyens à élaborer un «  plan de redressement national  ». Si une telle situation est positive, «  le risque, prévient Olivier Dartigolles, c’est que la kyrielle d’initiatives de ceux qui sont contre l’austérité et qui prennent au sérieux le danger de la situation politique ne trouve pas d’espace politique pour converger et faire force. Il ne faudrait pas que le Front de gauche se contente d’y ajouter sa petite musique  ».

Pour l’instant, le débat ne fait que commencer et il demande à être «  prolongé, on ne va pas régler toutes les questions politiques en une réunion  », insiste le dirigeant communiste. En attendant la prochaine rencontre prévue à la mi-juin, toutes les composantes du Front de gauche s’accordent sur la nécessiter de continuer dès maintenant à agir «  contre le Tafta (le traité transatlantique – NDLR  », ou encore pour «  la nationalisation d’Alstom  ».

Le Front de gauche est arrivé au 6e rang des forces politiques aux européennes, derrière le FN, l’UMP, le PS, les Verts et l’UDI-Modem.

« La gauche risque de disparaître »

« Par la succession de défaites qu’elle a enregistré, la gauche pourrait purement et simplement disparaître », prévient Christian Picquet, le porte-parole de la Gauche unitaire, pour qui « si on veut contrer l’offensive de la droite et de l’extrême droite, on doit être capable de rassembler toute la gauche sur un contenu en rupture avec les politiques libérales menées par l’exécutif ».

- Julia Hamlaoui et Sébastien Crépel


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