Prud’hommes L’affrontement avec le monde syndical continue

jeudi 30 janvier 2014.
 

Des jugements souvent favorables aux salariés, une application scrupuleuse du Code du Travail, une indépendance qui a conduit à contester des politiques anticonstitutionnelles (le Contrat Nouvel Embauche en 2006, requalifié par les prud’hommes et enterré par la suite) : les conseils prud’hommes sont une institution essentielle de la démocratie sociale.

La « réforme » de la carte judiciaire de Rachida Dati, sous Sarkozy, avait déjà supprimé un quart des tribunaux de prud’hommes (63 sur 245). Son objectif consistait à affaiblir cette justice, complexifier la résolution des conflits, accroître les délais de décision.

Sans compter les élections prud’homales, prévues pour décembre 2007, qui avaient été repoussées jusqu’en décembre 2008 (puis de 2014 à 2015…), dans une tentative de diminuer la fréquence d’implication nationale des salarié-e-s dans leur justice. Les conditions de vote déplorables et l’offensive générale contre le monde du travail ont conduit, pour la première fois, à une participation patronale (31,5%) plus haute que la salariale (25,5%). Bref, les tribunaux de prud’hommes sont depuis longtemps dans le collimateur des libéraux de tout poil, qui désirent en finir avec la seule grande élection sociale nationale démocratique et transparente du pays.

Des justifications vaseuses

A présent, Michel Sapin rivalise d’imagination pour imposer ce recul démocratique. Il pointe du doigt le faible taux de participation pour justifier la suppression des élections prud’homales. La ficelle est grosse et connue, il y aurait un désintérêt flagrant des salarié-e-s pour ce scrutin puisque seul un sur quatre s’est exprimé lors des dernières élections en 2008. Le raisonnement est absurde : si l’existence d’une abstention électorale justifie l’abolition d’une élection, devrait on aussi supprimer les élections européennes ?

De plus, le taux d’abstention est lié à l’organisation déficiente du scrutin. L’éloignement entre le lieu de travail et le lieu de vote, le manque d’informations et l’absence de temps dégagé sur le temps de travail pour voter sont à l’origine de ce faible taux de participation. En 2008 par exemple, seuls les salarié-e-s travaillant à Paris ont eu la possibilité de voter par Internet, les autres ont du se déplacer dans un bureau de vote ou voter par correspondance, tirant encore vers le bas le nombre de suffrages exprimés. Par ailleurs, peu d’étrangers savent qu’ils ont le droit de voter dans ce scrutin de démocratie sociale !

Le Ministre du Travail justifie également sa réforme par le coût de ces élections (91 millions d’euros en 2008). Outre qu’elles n’ont lieu que tous les cinq ans, cette tentative de faire des économies sur la démocratie sociale est intolérable.

Une méthode brutale

Supprimer les élections prud’homales pour les remplacer par la mesure de l’audience de la représentativité syndicale revient purement et simplement à retirer à un grand nombre d’actifs le droit de voter pour ceux qui les représentent et les défendent dans les conseils de prud’hommes. Aux demandeurs d’emploi tout d’abord, mais aussi à tous les salariés des entreprises soumises à l’obligation d’avoir des représentants du personnel et dans lesquelles il n’est possible de voter pour aucune liste syndicale. Que vont devenir ces voix qui devraient pourtant pouvoir s’exprimer sur des sujets aussi importants que le règlement des litiges relatifs aux salaires, au licenciement individuel, aux discriminations sur le lieu de travail ?

La réforme Sapin conduit donc à donner au pouvoir exécutif la possibilité de supprimer par ordonnance (une attaque contre le Parlement, au passage !) un élément fondamental du fonctionnement des conseils de prud’hommes, sans que les modalités de ce changement ne soit débattues par les élus des assemblées, et sans surtout que le sujet des élections prud’homales ait fait l’objet d’une réelle concertation avec les partenaires sociaux en amont. Une telle méthode contredit même l’objectif annoncé du Gouvernement d’insérer dans la Constitution une obligation de concertation avant toute réforme portant sur le dialogue social et les conditions de travail.

Une inversion des priorités

La composition des tribunaux de prud’hommes serait donc indexée (leurs membres ainsi désignés par leur organisation et non plus élus) sur la représentativité nationale syndicale. Cette dernière comporte néanmoins plusieurs failles.

En effet, les résultats des élections professionnelles sont recensés par les « Directions des Ressources Humaines », soit parfois le ministère du Travail… mais parfois le patronat, dans l’opacité la plus complète. La composition du chiffre est cependant d’une fiabilité discutable. Les résultats de toutes élections de comité d’entreprise et de délégués du personnel sont additionnés, malgré des centaines de milliers d’erreurs de saisine ou d’anomalie recensées en 2011 (le ministère ayant à accomplir un dépouillement titanesque, sans les moyens nécessaires). Enfin, ces votes sont collectés sur quatre ans, dans des conjonctures différentes.

Enfin, cette suppression des élections prud’homales souscrit aussi au souhait d’une fraction du patronat de ne surtout pas étendre le principe d’élection (ce qui aurait constitué une autre modalité d’harmonisation de la représentativité des organisations syndicales et patronales)… Il s’agit bien évidemment du Medef. Ce dernier est effectivement minoritaire électoralement au sein du patronat par rapport à la Confédération générale des PME et à la vaste Union professionnelle artisanale (1,3 million d’adhérents revendiqués). En réalité, la percée des entreprises de l’économie sociale et solidaire avec 19 % aux élections prud’homales leur avait infligé une douche froide, et explique leur refus de toute élection.

Le MEDEF veut que la représentativité patronale soit mesurée, elle, par le nombre d’adhérents et le gouvernement lui a donné raison. Cette méthode, qui changerait tout si elle était appliquée symétriquement aux syndicats de salariés, est opaque et sujette à toutes les manipulations. Quoiqu’il en soit, si les organisations patronales ont été associées à la réforme de la représentativité syndicale… l’inverse n’a pas été prévu !

On le voit, ce gouvernement n’a pas infléchi la dure ligne gouvernementale envers le monde syndical, et persiste à jouer le deux poids deux mesures entre les organisations de défense des salariés et l’organisation de pression néolibérale la plus violente du pays, le Medef.

Les 5 de Roanne : la répression antisyndicale

L’acharnement judiciaire dont sont victimes les cinq syndicalistes CGT, poursuivis depuis 2010 pour des tags contre la réforme des retraites puis pour refus de prélèvement ADN, est la preuve s’il en faut, que les attaques antisyndicales continuent sous le gouvernement Ayrault. En effet relaxés le 17 décembre 2013 par le tribunal de Roanne, le procureur général de la Cour d’appel de Lyon a décidé de faire appel de ce jugement et de traduire de nouveau ces syndicalistes devant la justice. Un tel entêtement à faire condamner des militants qui luttent pour leurs idées est indigne et confirme la nécessité d’une vraie loi d’amnistie. Il serait temps de rappeler que les syndicalistes ne sont pas des délinquants !

Jeanne Lombard, Mathilde Panot, Hadrien Toucel


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