Rompons enfin vraiment avec le Parti Socialiste

mercredi 16 avril 2014.
 

Une nouvelle période s’ouvre à nous. Beaucoup d’incertitudes pesaient sur le scrutin de dimanche soir. Après des années d’embourgeoisement de la population parisienne, qu’allait-il rester de l’électorat de gauche ? Dès qu’une famille s’agrandit, elle doit quitter Paris, incapable de survivre à un loyer plus élevé. Et ceux qui restent sont exclus de leur propre quartier. Les commerces où ils avaient leurs habitudes ferment au profit de boutiques et de brasseries hors de prix. Des rues entières sont dévorées par la grande distribution, défigurées par la société de consommation, et des masses de riches s’agglutinent dans nos rues, prêts à payer très chers ce à quoi les habitants n’ont plus droit, faute de moyens.

Dans cet enfer des pauvres, les riches s’épanouissent. L’urbanisme parisien propose des styles de vie, des communautés, des lieux de consommations « ethniques » et « éthiques » qui permettent la jouissance cosmopolite des plus riches. Chacun pense être libre de ses choix et, comme le note le marxiste David Harvey, « l’éthique néolibérale de l’individualisme possessif et son corrélat, la fin du soutien politique à toute forme d’action collective, devient le modèle de socialisation de la personnalité humaine ». L’horizon principal de la bourgeoisie parisienne qui se pense de gauche est son modèle de consommation ludique, désinvolte, et qui lui donne l’impression d’être transgressive. Elle vit son obéissance à l’ordre consumériste et néolibéral comme une modalité exemplaire de son engagement.

Une stratégie à la croisée de deux électorats

Dans le grand divertissement social-démocrate, l’activisme mondain empêche l’activisme politique. Pendant la campagne présidentielle de 2012, Jean-Luc Mélenchon a toutefois réussi à exister dans cette mondanité. Une partie du vote des Parisiens les plus aisés pour notre candidat était guidé par le besoin de se distinguer. Le personnage médiatique que constituait Jean-Luc Mélenchon a su attirer, comme Arlette Laguiller et Olivier Besancenot avant lui, le vote des pseudo-nantis qui voyaient en lui un moyen d’effectuer un acte subversif qu’ils croyaient sans conséquence. Oui, ça a été cool, pour eux, pendant cette période, de voter pour le Front de Gauche.

Mais cela ne pouvait pas être durable. Car les bourgeois, ou ceux qui se comportent comme tels, ne veulent pas changer le monde, ils veulent le ratifier. Ils souhaitent se donner une conscience justifiant leur condition. Le bourgeois parisien, qu’il se croie bohème ou pas, ne peut pour le moment s’engager dans un processus révolutionnaire de long terme. Une partie de nos sympathisants ont ainsi cessé de nous soutenir quand la situation s’est complexifiée après les présidentielles, quand ils ont compris que Jean-Luc Mélenchon n’était pas qu’un bon client des médias et un tribun lettré, mais aussi et surtout un dirigeant politique d’ampleur historique s’élevant à l’universalité du concept et construisant une force d’opposition au gouvernement. Un jour, une partie de cet électorat nous suivra. Si nous arrivons à construire un mouvement de grande ampleur, nous réussirons à les convaincre que l’intérêt général que nous défendons est aussi le leur.

L’une de nos erreurs dans cette élection parisienne a été à tout prix d’essayer de retrouver cet électorat et donc de ne pas aller au bout de notre stratégie. Les ambitions électorales du Parti de Gauche ont toujours été à la croisée de nos deux électorats : celui que nous visons principalement, c’est-à-dire les classes populaires et l’électorat du péri urbain, mais qui s’abstient considérablement et se tourne de plus en plus vers le FN, et celui qui vote déjà davantage pour nous, c’est-à-dire l’électorat issu principalement des grandes villes, du tertiaire et de la fonction publique.

La campagne parisienne s’est située en plein dans cette contradiction : une campagne résolument orientée dans l’opposition de gauche et assumant ouvertement le maintien au second tour aurait pu nous faire gagner des voix auprès de l’électorat populaire mais risquait de nous en faire perdre auprès notre principal électorat à Paris. Nous avons donc navigué difficilement en affirmant notre opposition, sans toutefois aller au bout de sa logique, c’est-à-dire l’annonce du maintien systématique au deuxième tour. Résultat : nous avons perdu beaucoup de voix chez les électeurs les plus aisés, pour qui nous sommes apparus en trop grande opposition à la mairie PS, et nous n’en avons pas gagné dans l’électorat populaire, qui nous voit encore trop comme des alliés naturels du PS. Contrairement à l’élection présidentielle, nos scores sont faibles dans les grandes villes alors que nous résistons dans le péri urbain, puisque notre moyenne nationale est de plus de 11%.

Logique, dans ces conditions, que le Front de Gauche ne fasse que 5% à Paris. Une bonne partie de la bourgeoisie parisienne de sensibilité de gauche a préféré voter pour EELV, c’est-à-dire pour l’écologisme mondain. Leur campagne dépolitisée uniquement orientée sur les questions de société et ne contestant pas le gouvernement a su rassurer beaucoup de Parisiens aisés, tandis que notre stratégie d’opposition n’a eu de l’écho que chez les classes populaires, qui se sont beaucoup abstenues. Le théâtre d’ombres médiatique a volontairement rendu invisible notre campagne et notre combat s’y est résumé à celui de Jean-Luc Mélenchon traîné dans la boue par le moralisme indigné des médias bourgeois. Impossible dès lors, malgré nos combats locaux, de prendre le dessus sur les deux entrées du néolibéralisme, celle de « gauche » et celle de droite. Nous aurions dû cliver encore plus fortement avec le PS et ne pas avoir peur de perdre ainsi une partie de notre électorat : nous l’avions de toute manière en partie déjà perdu, comme le prouvent désormais nos résultats à Paris.

Le mépris du PS face à la force de notre militantisme

Nous avons vaillamment fait campagne dans notre arrondissement, le 10ème, véritable laboratoire de la décomposition politique parisienne, en multipliant les ballades militantes et les portes à porte pour convaincre chaque personne une par une. Les camarades du 10ème ont fait preuve d’un sens du dévouement remarquable, en premier lieu Paul Vannier, co-secrétaire départemental, Nolwenn Neveu, co-secrétaire du Comité 10ème et co-présidente de la Commission économie du Parti de Gauche et Sarah Legrain, membre du bureau du Conseil national du Parti de Gauche. Notre score de 6,5%, dans les conditions sociologiques de notre arrondissement, est une prouesse due uniquement à la détermination et à l’intelligence collective des camarades. Il est largement supérieur à la moyenne parisienne et se situe dans la moyenne des résultats constatés dans les grandes villes (7% à Marseille, 5% à Toulouse, 5% à Nantes, 4,7% à Bordeaux, 6% à Lille, 7 % à Lyon, etc.). Ce que nous avons construit dans cette campagne dépasse le moment présent. Le Front de Gauche existe désormais pour les citoyens du 10ème arrondissement de Paris, il faut continuer à le structurer. Je garderai toujours en mémoire le courage de mes camarades, sacrifiant la majeure partie de leur temps libre pour l’idéal que nous défendons et n’ayant en tête que l’absolue nécessité d’une politique guidée vers l’intérêt général. Nous nous sommes battus pour quelque chose de plus grand que nous. Nous sommes maintenant sur un chemin qui va se poursuivre.

Après les résultats du premier tour, le PS a fait preuve d’un mépris hallucinant pour nos listes parisiennes. Ils nous ont proposé une réunion de négociation, pour laquelle ils ont reçu notre délégation dans un cagibi rempli de papiers toilettes (je vous renvoie sur ce sujet à la note de mon camarade Alexis Corbière : http://www.alexis-corbiere.com). Rémi Féraud, premier fédéral PS et triste maire du 10ème arrondissement, a refusé de discuter et a laissé le PCF faire ses basses besognes, c’est-à-dire poser des conditions inacceptables : l’engagement à voter tous les budgets, à participer aux exécutifs et à expier nos péchés. On comprend bien la manœuvre de ces professionnels de la politique : souhaitant préserver leur place et leur rémunération, alors que le Front de Gauche a fait 10% des voix de gauche à Paris, il était hors de question pour eux d’aboutir à un accord. Le PCF parisien avait auparavant démontré ses capacités de nuisance en menant une campagne active pour les listes gouvernementales, en arrachant systématiquement nos affiches Front de Gauche, en les dégradant, en y collant des autocollants faisant disparaitre notre logo et les adresses de nos réunions publiques, y compris sur les panneaux officiels électoraux. Dans le 10ème, la section PCF a tout fait pour tuer notre campagne, en utilisant massivement le logo Front de Gauche sur le matériel du PS. Certains militants du PCF ont participé activement à la démolition du Front de Gauche voulue par le gouvernement, créant ainsi une confusion considérable dans l’esprit de nos concitoyens, et que nous avons payée dans les urnes.

Il est temps de rompre

Pour des jeunes militants comme nous, qui faisons de la politique pour défendre des idées, qui n’attendons aucun honneur, qui ne sommes là que pour la grandeur du projet politique que nous portons, qui n’avons pas pour but de vivre de la politique, il a été très dur de subir ces semaines de campagnes face à ces renégats guidés quasi exclusivement par la volonté de maintenir la rente financière que constitue un mandat au Conseil de Paris.

Ce mépris, cette suffisance, de l’appareil socialiste et de ses alliés, témoignent de cette nouvelle phase politique qui s’ouvre devant nous. Notre résultat est la traduction de la séquence historique dans laquelle nous sommes. Il faut en tirer toutes les conclusions. Depuis dimanche soir, l’horizon s’est éclairci. Le comportement du PS-PCF qui méprise notre électorat contribue à clarifier la situation. Nous avons décidé collectivement de refuser d’appeler à voter pour le Parti Socialiste au deuxième tour. C’est une rupture considérable par rapport à la tradition de la gauche. Il faut en finir avec cette confrontation complice entre la droite et la gauche du néolibéralisme et concentrer tout notre engagement vers l’électorat populaire. Au Front de Gauche, nous défendrons jusqu’au bout le peuple, c’est-à-dire ceux qui peinent, qui produisent, qui paient, qui souffrent et qui meurent pour les actionnaires. Pour cela, il faut rompre enfin vraiment avec le Parti Socialiste, c’est-à-dire ne plus envisager le moindre accord avec eux.

Guillaume Etiévant, Secrétaire National du Parti de Gauche


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message