Lettre ouverte à Michel Onfray par Pierre Robes ( PCF Castres)

jeudi 29 octobre 2015.
 

La diatribe haineuse que vous signez sur votre blog (Coco, boulot, dodo - visible sur Bellaciao) ne mériterait pas de réponse si vous étiez resté un obscur philosophe (ou universitaire) comme tant d’autres, plongé dans la recherche, dans le travail, les publications... Notre société médiatique raffolant désormais de certains philosophes « médiatiques », faussement contestataires de l’ordre établi et en réalité baudruches médiatiques, pérorant dans les journaux de l’ordre établi, dont vous faites partie, Michel Onfray, ce billet mérite donc une réponse.

... Vous écrivez, Michel Onfray : « Les Communistes auraient pu profiter de subventions de la CIA et des Etats-Unis tant leur rôle contre-révolutionnaire est avéré dans le XX° siècle... » Affirmation tellement imbécile qu’on en oublierait presque l’incongru paradoxe : qui d’autres que les communistes, en ce siècle (et les mouvements progressistes du Tiers Monde, voire parfois les mouvements de libération nationale) ont lutté pour la révolution, pour l’abolition du capitalisme, pour le socialisme ? Quiconque a fréquenté un peu les livres d’histoire (sérieux) sait le rôle contre-révolutionnaire des Etats-Unis et celui des subsides de la CIA pour précisément combattre sans répit les organisations révolutionnaires, les syndicats de classe, les Partis communistes (ou jugés proches).

Sur le pacte germano-soviétique, je ne développerai pas, mais j’invite le lecteur curieux d’histoire à lire les auteurs notamment anglo-saxons qui ont renouvelé l’étude de cette période, notamment Goeffrey Roberts, Scott Newton, Gabriel Gorodetsky ou Michael J. Carley (ces deux derniers traduits en français - voir les références sur google) : pour aller vite, ils nuancent fortement la responsabilité de Staline et des dirigeants soviétiques, archives à l’appui, dans cette affaire, largement contraints à ce (tragique) pacte. Carley écrit notamment : « La source de l’échec de la coopération anglo-franco-soviétique contre le nazisme fut l’anticommunisme. Le dilemme guerre-révolution était la théorie dominante officielle et officieuse des décideurs politiques franco-britanniques à propos de l’URSS pendant l’entre-deux-guerres ». Il ajoute, sans minimiser la responsabilités des soviétiques, que « la crise de Munich et l’échec des négociations anglo-franco-soviétiques en 1939 conduisirent directement au pacte de non-agression germano-soviétique. »

Comme tant d’autres « idiots utiles » de la bourgeoisie, Michel Onfray, vous en rajoutez dans l’abjection pour renforcer votre propos anticommuniste. Ainsi, du rôle des communistes dans la guerre et dans la résistance.

1) à propos de la demande de reparution de « l’Humanité » en juin-juillet 1940.

Vous écrivez, Michel Onfray : « Le PCF n’a pas trahi les ouvriers, cher Maurice, quand, de conserve [sic !] avec Maurice Thorez et Jacques Duclos, il négocie avec Otto Abetz en 1940 l’autorisation pour « L’humanité » de reparaître sous régime d’occupation nazie et que, pour ce faire, certains de ses émissaires jouent de la corde antisémite commune avec les nationaux-socialistes pour obtenir ce droit à revenir dans les kiosques... »

L’accusation insidieuse d’antisémitisme (puisée dans un article du « Monde » rendant compte d’un ouvrage de deux historiens - Pennetier et Besse - sur la demande de reparution de « l’Huma ») est intellectuellement malhonnête, sauf à considérer les notes de Tréand (en partie scandaleuses et complaisantes à l’égard de l’occupant) comme la ligne du PCF, ce qu’elle n’étaient en aucune manière. Nous abordons ce point un peu plus loin.

Beaucoup omettent complètement le contexte de l’époque pour « exécuter » le PCF et ses dirigeants de l’époque. Faut-il rappeler que le PCF était interdit depuis septembre 1939, que ses militants étaient poursuivis par le gouvernement de Daladier puis par les traîtres de Vichy, ou mobilisés, son appareil désorganisé, éclaté en plusieurs « centres », directions régionales, Paris, Bruxelles et Moscou (ou s’était réfugié Thorez). Ceci dit, il ne faut pas éluder le sujet. Cette démarche résulte de l’idée (totalement illusoire) de l’Internationale communiste et de la direction du PCF qu’un espace de légalité demeurait accessible au début de l’Occupation.

Thorez et Dimitrov adressèrent de Moscou un télégramme, le 22 juin 1940 à Bruxelles, d’où Eugen Fried était supposé assurer la liaison avec les dirigeants communistes clandestins en France (dont Duclos). Il m’apparaît utile pour connaître quelle était la ligne alors du PCF de citer assez longuement des extraits de ce télégramme : « Désastres militaires subis et occupation France provoquent souffrances et indignations illimitées [des] masses. La banqueroute bourgeoise et socialiste est totale. Indispensable expliquer peuple cette banqueroute, démasquer trahison bourgeoisie, ses partis, politiciens, démasquer leurs responsabilités pour guerre, désastres militaires, occupation France, afin détruire chez peuple derniers restes de confiance envers eux. Indispensable expliquer et démontrer par les faits que seulement classe ouvrière dirigée par parti communiste est capable réaliser unité de la nation en puissant front défense [de] ses intérêts vitaux et de lutte contre le joug étranger pour une France indépendante et réellement libre. [...] Déjouant les provocations et évitant actions prématurées, néanmoins indispensable soutenir et organiser résistance masses contre mesures violence, spoliations, arbitraire envers peuple de la part de envahisseurs. Soulevez haine des masses contre Chiappe et tous les autres agents des envahisseurs. Indispensable organiser travail correspondant parmi armée [d’]occupation et utiliser tout contact population civile avec soldats allemands pour les inciter renoncer commettre actes violence et leur faire comprendre que assujettissement peuple français est contraire [aux] véritables intérêts peuple allemand. [...] Utilisez moindre possibilité favorable pour faire sortir journaux syndicaux, locaux, éventuellement Humanité, en veillant [à ce] que ces journaux restent sur ligne défense intérêts sociaux et nationaux peuple et ne donnent aucune impression solidarité avec envahisseurs ou leur approbation. [...] Au cas où membres du Parti, conseillers municipaux ou responsables syndicaux ou des comités d’aide, travailleraient légalement ou semi-légalement, éviter tout ce qui pourrait donner impression solidarité avec envahisseurs » « Dans toutes les conditions, les communistes doivent rester avec peuple et marcher toujours aux premiers rangs dans sa lutte libératrice. » [Télégramme Paul (Dimitrov) et Stern (Thorez), pour Bruxelles et Londres, Moscou, 22 juin 1940, Moscou-Paris-Berlin, p. 240-242, citation, p. 240.]

Ces quelques lignes sont sans équivoque sur les erreurs graves commises par Tréand, lors de la demande de reparution légale de « l’Huma ». En d’autres termes, Tréand (et Duclos ?) se sont fourvoyés dans cette démarche, en s’éloignant assez nettement des consignes de l’Internationale. Cette démarche n’engage donc pas la direction du PCF mais quelques dirigeants isolés, voire manipulés, dans un contexte particulièrement troublé. Ces négociations se sont déroulées de plus sans contact avec l’IC (Bruxelles ou Moscou). L’historienne Annie Lacroix-Riz le confirme de manière catégorique : « Quoiqu’il en soit, dans un télégramme du 7 août à Fried, Dimitrov et Thorez dénoncèrent Robert Foissin, qui avait servi d’« intermédiaire dans les négociations de Catelas et de Tréand avec Abetz en juillet-août 1940 » : « Attitude avocat Foissin révèle être agent occupants. » Ce texte dénonçait aussi nettement les « manœuvres [...d’]Abetz et ses agents » et fixait une « règle de conduite » antiallemande en 8 points, dont le premier stipulait de : « Repousser catégoriquement et condamner comme trahison toute manifestation solidarité avec occupants. Éviter articles pourparlers qui auraient signifié solidarité avec occupants, approbation ou justification de leurs actes ».(...) » [ Annie Lacroix-Riz, « Le PCF entre assaut et mea culpa : juin 1940 et la résistance communiste », consultable sur son site internet et sur Bellaciao (vendredi 16 février)].

Une analyse historique rigoureuse de cet épisode vous eut peut être évité, Michel Onfray, de divaguer gravement dans votre article.

Il est vrai que vous faites pire par ailleurs, en commettant à plusieurs reprises des infamies, la pire étant celle-ci « (...) le Parti Communiste Français, qui a commencé par revendiquer et s’approprier tous les fusillés et la plupart des résistants français alors qu’il collaborait avec le régime nazi. »

2) PCF = collabo ?

Cette ignominie est, il faut bien le dire, digne de l’extrême droite (et de certains historiens faussaires) - mais elle témoigne hélas de la tragique dérive droitière de certains intellectuels que la haine du communisme aveugle. Tout est faux dans cette affirmation. Le PCF n’a jamais revendiqué tous les fusillés (« le parti des fusillés » indiquait simplement qu’il avait payé le plus lourd tribut à l’occupation nazie et à ses supplétifs de la collaboration). Le PCF, au cours de son histoire, a souligné à la fois la diversité des forces de la Résistance, et la place -incontournable- des siens dans ce combat. Aragon a illustré combien la Résistance était l’idéal et le combat communs de « celui qui croyait au ciel et celui qui n’y croyait pas ». Dans tous les départements de notre pays, la liste des milliers de militants communistes tués par l’occupant, soit les armes à la main, soit comme otages, soit comme déportés devrait interdire à toute personne faisant preuve d’un minimum d’honnêteté intellectuelle vos odieuses affirmations, Michel Onfray.

Danielle Casanova, Manouchian, Politzer, Gabriel Péri, Guy Môquet, Jean-Pierre Timbaud, Jacques Decour et tant d’autres ont payé de leur vie leur engagement de communistes. La lecture des « lettres de fusillés » (édités par Messidor en 1985) en est un des bouleversants témoignages.

Je pense ici à ces hommes et ces femmes admirables, courageux et anonymes, qui tel Wladsilas Krawczyk, mineur polonais, militant de la MOI, tué par les nazis, le 13 juillet 1944, jour de la grève patriotique des mineurs de Carmaux, après avoir pris la parole devant des centaines de grévistes rassemblés et défiant l’occupant. Pour tous ceux-là, vous n’aviez pas le droit, Michel Onfray d’écrire cela. Il n’y a rien dans l’histoire de notre pays qui puisse étayer l’odieuse calomnie d’une collaboration entre communistes et nazis. Au contraire, entre les nazis (et leurs supplétifs) et les communistes, il y a un abîme, il y a le sang des héros, des martyrs. Malgré ses erreurs, le PCF n’a pas usurpé le nom de « parti des fusillés ».

Michel Onfray, vous êtes rangés désormais dans les rangs des faussaires et des chiffonniers de l’histoire.

Pour celles et ceux que l’histoire intéresse, je vous conseille la lecture de deux ouvrages d’une historienne française, Annie Lacroix-Riz, qui éclairent à la fois sur le climat idéologique qui domine aujourd’hui dans l’université française et sur le contexte de l’entre-deux-guerres et les choix des élites françaises dans les années 30 (ceux qui ont préféré Hitler au Front Populaire ...). l’histoire contemporaine sous influence, Le Temps des cerises, 2004.

Le choix de la défaite, Armand Colin, 2006.


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