Supplique au Parti Communiste pour qu’il fasse la révolution (par Michel Onfray)

dimanche 27 mai 2007.
 

La supplique est un genre austère et classique, une forme pure plus à son aise avec le siècle de Louis XIV qu’avec la Ve République finissante et vendue aux libéraux. La gravité de l’heure contraint à ce recours littéraire : l’état des lieux oblige à un regard lucide et froid sur la gauche aux premières heures d’un quinquennat nouveau qui lui confisque ses symboles - Jaurès, Blum, Môquet -, ses mots - le peuple, les ouvriers, les travailleurs, la République -, son électorat, son personnel parmi les plus avancés - comme on le dit d’une viande corrompue. L’heure est à la refondation : qui peut la faire ?

Pas le Parti socialiste dont la dérive droitière, depuis le virage de Mitterrand en 1983, n’a cessé de s’affirmer jusqu’à aujourd’hui. En témoigne le franc passage symptomatique de quelques-uns de ses cadres les plus élevés - je songe à Éric Besson -, de ses noms les plus médiatiques - Védrine, Kouchner, Allègre -, de ses talents - Lauvergeon -, avec armes et bagages du côté de l’ennemi sarkozyste. Un grand nombre de socialistes manifestent leur désir de centre et, entre les deux tours, François Bayrou a permis d’en démasquer une bonne partie. Dont Ségolène Royal...

La campagne de cette dernière fut la plus à droite des campagnes socialistes, c’est peu dire. Souvenons-nous : éloge de Blair, suppression de la carte scolaire, résolution disciplinaire des problèmes de délinquance, mobilisation symbolique, genre drapeau tricolore et Marseillaise, pour cacher l’incapacité à offrir une solution politique aux problèmes du plus grand nombre, démagogie de la démocratie participative - comme si une candidate pouvait se permettre d’ignorer tout de la misère du monde six mois avant de se lancer dans une campagne présidentielle -, recyclage de la valeur Famille, puis de la valeur Travail, puis de la valeur Patrie...

Enfin, comble du comble, célébration appuyée de Bayrou, de son électorat, jusqu’à la proposition d’amender le projet dit socialiste entre les deux tours avec des idées venues de l’UDF, la nomination au poste de premier ministre d’un homme qui fut de tous les gouvernements de droite depuis trente ans et celle de ministres venus de l’UDF. Que restait-il encore de gauche à ce Parti, à ce programme, à cette candidate ? Rien. Seule la crédulité a pu faire prendre les vessies royalistes pour des lanternes socialistes.

La gauche antilibérale, éclatée, explosée, partie en désordre de marche, a diminué son score de moitié. Dès lors, le PS n’a plus le souci d’alliés qui ne pèsent rien. Sa logique électoraliste, son cynisme qui troque les idées socialistes pour une assiette de lentilles servies à l’Élysée, son opportunisme justifient qu’il se tourne désormais vers le centre qui pèse plus lourd et constitue un réservoir de voix nettement plus intéressant pour accéder aux ors de la République afin, globalement, de gérer le libéralisme comme la droite chiraquienne.

Faudra-t-il attendre la hache du bourreau de la rue de Solferino pour s’en persuader ? La gauche de gauche devra-t-elle boire le calice jusqu’à la lie ? Au nom de quoi faudrait-il attendre les ultimes humiliations infligées par DSK ou Ségolène Royal pour constater que l’alliance est désormais impossible, que le divorce est inéluctable, et que l’adultère est de toute façon consommé depuis presque un quart de siècle entre socialistes libéraux et gauche antilibérale ? Quel étrange masochisme expliquerait que la gauche de gauche consente encore à l’illusion d’un compagnonnage possible avec ces socialistes-là ?

À la question : qui peut prendre l’initiative de devenir le pôle d’attraction d’une gauche de gauche clairement antilibérale et propositionnelle, la réponse est donc : pas le Parti socialiste. Elle est aussi : probablement pas l’extrême gauche dont le désir de rester dans le kantisme protestataire, le refus de gérer, même petitement, l’incapacité à travailler et à produire de réelles transformations de gauche - la taxe Tobin par exemple, empêchée pour cause du refus de l’axe Laguiller-Krivine au Parlement européen...-, la croyance à la révolution par la seule magie des mouvements de rue ou la captation incantatoire du mécontentement mouvementiste ou associatif, tout cela, donc, justifie que l’extrême gauche entend jouer la carte de la boutique plutôt que le changement réel et l’action pour réduire concrètement la misère des gens qui souffrent du libéralisme au quotidien.

Le refus d’une candidature unique de la gauche antilibérale s’est fait contre le peuple de gauche et en faveur des états-majors de partis. Lorsque, sur mon blog de campagne, j’ai fait savoir ma préférence - le peuple de gauche contre les états-majors - j’ai reçu des bordées d’injures, des menaces physiques par e-mails, téléphones, courriers, des intimidations, dont quelques-unes venues de vieux militants communistes, on a vandalisé ma voiture, etc. Tout cela a évité qu’on parle, qu’on discute, qu’on argumente, qu’on me prouve que j’avais tort avec les arguments que j’avançais.

Je persiste, c’est mon ancrage dans la gauche libertaire : je suis toujours du côté du peuple de gauche et toujours rétif aux états-majors. Dès lors, pour résoudre la contradiction, il suffit non pas de changer de peuple, mais d’états-majors. Du moins, de nommer dans l’état-major de nouvelles têtes, de nouvelles figures, de faire apparaître de nouveaux noms. Autrement dit : une nouvelle génération. Une génération qui n’aurait pas trempé dans les pages les plus sombres du Parti, une génération qui pratiquerait le droit d’inventaire (celui qu’on exige pour les autres mais qu’on se refuse pour soi...) et, loin de la mode pour la repentance, ferait l’histoire, et non l’hagiographie d’un mouvement qui, s’il eut des périodes noires eut également de belles pages à son actif.

Réponse à ma question : le Parti communiste français peut, s’il fait la révolution en son sein avant de la proposer aux autres, créer un rassemblement de gauche clairement antilibéral, avec des valeurs moins marxistes-léninistes que socialistes libertaires, moins avec Lénine qu’avec Kropotkine, moins avec la dictature bolchevique qu’avec les marins révoltés de Cronstadt, moins avec le modèle soviétique mais plus avec la fibre communaliste CNT de la guerre d’Espagne, moins avec Georges Marchais, plus avec Louis Lecoin.

Car le PCF concentre le meilleur du PS et de l’extrême gauche : autrement dit, une capacité à frotter son idéal à la gestion concrète, un savoir-faire dans les villes, les régions, les ministères, mais aussi une présence réelle dans les associations, sur le terrain, avec des militants dévoués aux côtés des plus défavorisés ; le PCF peut aussi revendiquer une capacité à l’idéal, un désir de maintenir haut l’exigence de valeurs radicales, celles de la république portée à son paroxysme - liberté, égalité, fraternité, tout bêtement...

Changer de génération, c’est simple. Voyez vos talents, il y a des cent.

De : Michel Onfray samedi 26 mai 2007


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