François Hollande, la synthèse sociale-libérale

jeudi 16 janvier 2014.
 

A-t-il encore quelque chose de « socialiste » ? Le qualifier de « social-démocrate » est-il plus juste ? Ne s’est-il pas carrément converti au « social-libéralisme » ?

En adressant ses vœux aux Français, le 31 décembre 2013, François Hollande a rouvert le débat sur la nature profonde de son horizon idéologique. Pour certains, son discours marque une rupture : désormais, plus grand-chose n’en ferait l’héritier d’un Jaurès ou d’un Blum. Pour d’autres, au contraire, la continuité l’emporte : au fond, le chef de l’Etat n’aurait fait que clarifier une ligne qui était déjà la sienne mais qu’il refusait jusqu’alors d’assumer.

Quel hollandisme « originel » ?

A y regarder de près, les deux thèses ne sont pas exclusives l’une de l’autre. Tout dépend en fait de ce que l’on considère comme étant le « hollandisme » originel. Selon la définition, l’ampleur du tournant opéré lors des derniers vœux présidentiels varie grandement.

C’est ce qu’explique l’économiste Elie Cohen. A ses yeux, si « rupture » il y a, ce n’est que par rapport au « Hollande de la première année ». Pour lui en effet, « les choix politiques affichés par le président lors de ses vœux sont en rupture par rapport à ceux qu’il a faits depuis son élection : il dit qu’il va baisser les impôts, alors qu’il les a augmentés ; il dit qu’il va réduire considérablement la dépense publique, ce qu’il n’a pas fait ; il dit qu’il va simplifier tout un ensemble de procédures, alors que les mesures qu’il a prises depuis son élection, notamment en matière fiscale, vont au contraire dans le sens d’une plus grande complexification du système. »

Pour M. Cohen, cette « rupture » doit toutefois être relativisée. « En prenant de la distance avec la politique de sa première année, Hollande est en fait revenu à son inspiration première, celle qui était la sienne au moment de sa candidature à la primaire socialiste de 2011. » A l’époque, rappelle l’économiste, l’ancien secrétaire du PS avait mis au cœur de son programme la résorption de la dette. Il plaidait pour un rééquilibrage des comptes publics plus rapide et radical que celui proposé par le PS. Enfin, il défendait l’idée d’un « pacte productif », n’hésitant pas à se poser, dans son livre Le Rêve français (Privat, 2011), en promoteur de « l’esprit d’entreprise ». Pour un socialiste aspirant à conquérir le pouvoir, c’était là prendre une certaine distance par rapport à la vulgate traditionnelle.

S’il n’a jamais renié totalement cet horizon théorique, le fait est que François Hollande l’a ensuite, pour des raisons tactiques, largement édulcoré. En proposant de créer 60 000 postes dans l’éducation nationale, en désignant « la finance » comme son « adversaire », puis en proposant la création d’une taxe à 75 % sur les très hauts revenus, il opéra pendant la campagne présidentielle une sorte de retour aux fondamentaux du socialisme à la française.

Comme François Mitterrand l’avait fait en 1981, il considéra que la condition de sa victoire, à savoir l’union de toutes les gauches derrière lui, l’obligeait à entonner l’air de la rupture avec l’ordre ancien. Même si, sur le fond, son programme était loin du « Changer la vie » promis en 1981, il fut suffisamment habile pour qu’il soit compris comme tel par ceux qui voulaient le croire.

Mue ou clarification ?

Président de la République, M. Hollande a en somme effectué la mue inverse de celle qu’il avait opérée quand il était candidat. Cela ne s’est pas fait en un jour. La première inflexion date de l’adoption du « pacte de compétitivité », en novembre 2012. Le chef de l’Etat avait alors parlé de « socialisme de l’offre ».

Sans le dire, il reprenait une idée chère à Dominique Strauss-Kahn, celle du « socialisme de production » qui, dans la lignée du saint-simonisme du XIXe siècle, considère qu’il faut d’abord créer des richesses avant de les répartir. Le problème, selon Elie Cohen, est que cette politique de l’offre n’a pas produit les résultats escomptés, dans la mesure où « au même moment a été déployée une stratégie fiscale d’une grande violence ».

En annonçant, comme il l’a fait le 31 décembre 2013, sa triple intention de baisser les impôts, de réduire la dépense publique et de proposer un « pacte de responsabilité » aux entreprises, François Hollande n’a-t-il fait que préciser la politique engagée treize mois plus tôt au moment du « pacte de compétitivité » ou a-t-il opéré, sous les dehors d’une simple clarification de ligne, une mue plus profonde ?

La social-démocratie en question

Pour Gérard Grunberg, directeur de recherches émérite au Centre d’études européennes de Sciences Po et spécialiste du socialisme français, c’est la deuxième lecture qui est la bonne. Pour lui, ces vœux marquent bel et bien, pour François Hollande, un renoncement à l’idéal social-démocrate et une entrée bien réelle dans le social-libéralisme.

« En 2013, avec les accords sur le marché du travail et la formation professionnelle, on était encore dans le compromis social-démocrate, c’est-à-dire dans une négociation entre les forces du travail et celles du capital, explique M. Grunberg. Le 31 décembre, on est passé à autre chose : dans ce qu’a dit Hollande, le gouvernement n’est plus là pour veiller au compromis entre des forces ayant des intérêts divergents, il noue lui-même un pacte avec l’une de ces forces, en l’occurrence le patronat. »

Selon M. Grunberg, ce discours puise bien plus dans le social-libéralisme d’un Tony Blair que dans l’héritage social-démocrate traditionnel. « Comme Blair dans les années 1990, Hollande semble considérer désormais que le compromis social-démocrate n’est plus possible comme il l’était en des temps de prospérité où l’on pouvait faire de la redistribution. Comme lui, il semble penser que, dans la mondialisation, l’Etat et les entreprises ont le même impératif, relancer coûte que coûte l’économie, et qu’après seulement se posera la question de la redistribution. »

Professeur de science politique à l’université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines et auteur de travaux sur le blairisme, Laurent Bouvet partage cette analyse. « Tant qu’il mettait les partenaires sociaux dans la boucle, on était dans la social-démocratie, explique-t-il. Désormais, en considérant que son partenaire principal est le Medef, Hollande se place sur un terrain nettement social-libéral. »

La filiation inavouable

Ce social-libéralisme, reste toutefois à en préciser les contours. Comme le souligne M. Bouvet, « la question est de savoir si la dérive libérale que l’on observe chez Hollande dans le champ économique vaut également au plan culturel ». Or, sur ce point, « ce n’est pas complètement clair », estime-t-il.

Sur les questions de société, le président avance en effet avec prudence : favorable au mariage gay, il a refusé jusqu’ici de promouvoir la procréation médicale assistée ; quant au droit de vote des étrangers, rien n’indique qu’il entrera en vigueur. « Entre le social-libéralisme conservateur de Tony Blair et le social-libéralisme progressiste de José Luis Zapatero, Hollande se situe à mi-chemin, un peu comme Gerhard Schröder », explique Laurent Bouvet.

Cette inspiration social-libérale, il est toutefois fort peu probable que le chef de l’Etat en vienne à la revendiquer. D’abord parce que les socialistes français considèrent volontiers le libéralisme comme « une idéologie ennemie », note M. Grunberg. Ensuite, parce que le PS, à l’époque du social-libéralisme européen triomphant, à la fin des années 1990 et au début des années 2000, a vivement combattu celui-ci. Or François Hollande est l’héritier de cette histoire.

Il était premier secrétaire du PS quand Lionel Jospin s’opposa à Tony Blair et à Gerhard Schröder au sein de l’Internationale socialiste. Il se souvient de cette époque où la France se posait en gardienne du temple de la social-démocratie européenne face aux Britanniques et aux Allemands, considérés au contraire comme des fossoyeurs. On l’imagine mal, dès lors, revendiquer aujourd’hui pour lui-même une telle filiation.

Social-libéral, François Hollande serait au fond condamné à l’être sur un mode honteux. Pour l’historien Michel Winock, spécialiste de la vie politique française des XIXe et XXe siècles, ce ne serait guère étonnant. « Quand les socialistes se sont ralliés au marché, en 1983, ils auraient pu faire un aggiornamento théorique. Or Mitterrand s’y est refusé, faisant comme si l’idéal restait le même, celui de la rupture avec le capitalisme. Je ne suis pas sûr que Hollande, qui est très mitterrandien, agisse autrement. Il sait qu’une trop grande clarification doctrinale peut le couper du reste de la gauche, voire de l’aile gauche du PS. »

Au-delà de la caractérisation de sa politique, l’enjeu est désormais celui de sa mise en œuvre. Ce que résume M. Cohen : « Il est à peu près clair maintenant que François Hollande a la vision d’un Schröder ou d’un Blair. Mais passera-t-il pour autant à l’action ? » Pour le dire autrement, le chef de l’Etat mènera-t-il vraiment la politique qu’il peine à nommer ? Seule la réponse à cette question, en réalité, permettra d’évaluer la réelle portée des vœux du 31 décembre 2013. Et de dire si, derrière la rhétorique, se dessine vraiment une politique.

Thomas Wieder


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