Un bond en arrière pour la psychiatrie

vendredi 16 février 2007.
 

En grève hier 15 février, l’ensemble du secteur de la psychiatrie fustigeait avec une rare unanimité le projet de loi Sarkozy, de nouveau en discussion à l’Assemblée.

Trois mois après avoir bataillé ferme contre le projet de loi sur la prévention de la délinquance, la psychiatrie remonte au front. À l’occasion de la seconde lecture du texte de Nicolas Sarkozy à l’Assemblée nationale, l’ensemble des syndicats de praticiens appellent aujourd’hui leurs collègues du public et du privé à une journée de grève. En cause : toujours les articles 18 à 24 (lire encadré), ce fameux « volet santé mentale » qui réforme les modalités d’hospitalisation d’office (HO). Et fait bondir autant les médecins que les familles de - patients.

Un temps, syndicats et associations ont cru obtenir gain de cause. Face à la bronca, le gouvernement a en effet accepté, cet automne, de retirer les articles litigieux et de les réintroduire dans une ordonnance, après négociation avec les partenaires sociaux. Il n’en aura pas le loisir. Le 25 janvier, le Conseil constitutionnel a censuré ce dispositif boiteux. Le texte revient donc devant les députés dans son intégralité. Aucune modification de fond n’a été adoptée par la commission des Lois. Mêler psychiatrie et loi sécuritaire ? « C’est faire un amalgame inacceptable entre délinquance et maladie mentale », martèlent les psychiatres, inquiets et écoeurés par cette stigmatisation d’un autre âge. Entretien avec Norbert Skurnik, président des psychiatres de secteur (IDEPP).

Quels reproches faites-vous à ces six articles ?

Norbert Skurnik. Sur le plan philosophique et symbolique, d’abord. Depuis plus de deux siècles on travaille à déstigmatiser la maladie mentale, à la retirer du champ criminel et délictueux pour la faire entrer dans la catégorie sanitaire. Bref, la faire reconnaître comme une maladie. Tout le monde, des médecins aux pouvoirs publics, a toujours été d’accord sur cette orientation générale. Or, là, on intègre six articles sur l’hospitalisation sous contrainte dans une loi traitant de la délinquance ! C’est un véritable bond en arrière, complètement à rebours de l’évolution des pensées. Pour la première fois depuis plus de 200 ans, on va vers une recriminalisation des actes délictueux commis par les malades mentaux. Tout le monde sait que la maladie mentale est génératrice d’un certain nombre de soucis. Mais une personne qui commet un délit sous l’empire d’une psychose est avant tout un malade qu’il faut soigner.

Quels points précis vous inquiètent ?

Norbert Skurnik. Beaucoup de points nous déplaisent. À commencer par la constitution d’un fichier national des hospitalisations d’office. Sa création sous-tend une réelle confusion entre dangerosité et maladie mentale. Or, une HO est révélatrice d’un besoin de soins, non pas d’une dangerosité potentielle. Autre mesure critiquable : l’élargissement des pouvoirs des maires en matière d’hospitalisation sans consentement. Ces derniers vont être obligés, dans ce cadre, de s’adjoindre forcément les compétences d’un service ad hoc, à l’image de l’IPP (l’infirmerie auprès de la Préfecture de police - NDLR) à Paris. Or, comment imaginer que chaque maire se crée une administration chargée des malades dangereux ? C’est grotesque ! Surtout que le dispositif actuel est parfaitement au point avec des médecins et des préfets pour gérer tout cela. Les maires sont d’ailleurs les premiers à refuser que l’on alourdisse à nouveau leur barque...

La maladie mentale est-elle à l’origine de beaucoup de crimes et de délits ?

Norbert Skurnik. Pas du tout. Ces mesures sont le fruit, en partie, de l’agitation politico-médiatique qui s’est développée en août 2005, autour de quelques fugues ou sorties sans autorisation - rebaptisées « évasions » - d’hôpitaux psychiatriques. Avec les techniques médiatiques modernes, on affole vite l’opinion avec pas grand-chose.

Avez-vous encore des contacts avec le gouvernement ?

Norbert Skurnik. On n’a rien depuis des semaines, aucune information sur ses intentions. Il faut dire que l’on est en pleine campagne présidentielle et que le gouvernement est particulièrement affaibli... Il faut savoir que les associations et syndicats étaient d’accord pour le principe d’une ordonnance négociée. Tous les syndicats de la psychiatrie ont planché dessus fin novembre. On était parvenu à un texte consensuel qui amendait largement les articles 18 à 24 et recueillait l’appui de tous les groupes, de la CGT jusqu’au Conseil de l’ordre. Mais la décision du Conseil constitutionnel nous remet dans l’ornière. Désormais, tout est entre les mains de députés pressés de se lancer dans la campagne électorale. La période est malheureusement plus propice à la démagogie. Il serait pourtant plus sage de ne pas voter en urgence cette loi - portant sur quelque chose d’aussi sensible et fragile que la pathologie mentale.


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