La faillite inévitable du hollandisme

mardi 13 août 2013.
 

L’année politique se termine. C’est pour moi l’occasion de prendre un peu de recul sur l’actualité immédiate… et de revenir sur un événement dont le caractère symbolique ne doit pas obérer la portée.

Je ne parle pas, chacun peut sans peine l’imaginer, de la prestation télévisuelle par laquelle le chef de l’État, fidèle en cela à une déjà ancienne tradition de la V° République, s’est adressé en majesté au pays à l’occasion des célébrations du 14 Juillet. Hormis la prétention d’écrire le « récit » de la France des dix prochaines années, sans toutefois se hasarder à vouloir - comme durant la campagne de l’an passé - « réenchanter le rêve » d’une nation qui souffre et doute du fait des potions amères que l’on ne cesse de lui administrer, il n’y avait vraiment rien à en retenir. Au point que, sitôt disparue des lucarnes, l’intervention présidentielle se sera effacée des mémoires. Un an après son élection, parce qu’il conduit une action exactement inverse à ce qu’en attendait le plus grand nombre, François Hollande n’a plus rien à dire au pays, si ce n’est de lui réciter encore et toujours ce catéchisme libéral qui veut que tout fût appelé à aller mieux demain pourvu que l’on restaurât la « compétitivité » des firmes au moyen de la diminution du coût prétendument exorbitant du travail et d’une restriction des droits conquis par les travailleurs.

Je ne parle pas davantage du dîner ayant réuni, le 22 juillet à l’Élysée, les chefs des partis de la majorité. Quel message d’espoir Harlem Désir, Pascal Durand, Jean-Michel Baylet, Jean-Luc Laurent ou Robert Hue pouvaient-ils bien délivrer en une circonstance aussi officielle ? Le « pacte » qui les soude depuis un an exige d’eux une solidarité sans failles dans le vote de budgets qui s’éloignent chaque année davantage des promesses d’une campagne où la finance était désignée comme le premier des adversaires. Bien sûr, certains d’entre eux nous ont habitués à l’expression récurrente de leurs états d’âme, mais le gouvernement qu’ils soutiennent annonce trop de mauvais coups en série pour que cela suffise à surmonter leur perte de crédit dans l’opinion.

Je préfère m’arrêter un instant sur l’éviction de Delphine Batho. Non que l’ex-ministre de l’Écologie se fût jusqu’alors illustrée par des propos dissonants sur l’austérité mise en œuvre au sommet de l’État. Non qu’avant de les dénoncer vertement, elle se fût manifestée par une vision de la transition écologique qui l’aurait conduite à s’affronter aux logiques financières aujourd’hui dominantes en Europe. Non qu’elle fût forcément appelée, maintenant qu’elle se trouve dégagée des contraintes de la vie ministérielle, à rejoindre le combat pour la refondation d’une gauche à la hauteur, nul ne pouvant dire ce que seront ses choix futurs. Mais son débarquement brutal de l’équipe gouvernante aura été pour elle l’occasion de se faire l’expression de la crise qui affecte souterrainement la coalition majoritaire à l’Assemblée.

Une crise faite de craquements à répétition et dont, successivement, les débats traversant Europe écologie-Les Verts quant au maintien ou non de ses deux détenteurs de portefeuilles, puis les « lignes rouges » fixées à la réforme annoncée des retraites par le bureau national du Parti socialiste (pour atténuer sensiblement la violence de l’allongement de la durée de cotisations donnant droit à une cessation d’activité à taux plein et de la désindexation des pensions, mesures menant à l’appauvrissement assuré des retraités de ce pays), sans parler de la convergence de plusieurs sensibilités socialistes dans la critique de la vision à courte vue de l’exécutif, auront été les dernières manifestations en date. Une crise qui ne peut que s’aggraver à mesure que le « hollandisme » se verra confronté à son inévitable et cinglant échec…

UN HORIZON DÉSESPÉRÉMENT BOUCHÉ

À ce propos, je lisais l’autre jour que l’hôte de l’Élysée entrait dans une noire colère lorsque d’aucuns, dans son entourage, se laissaient aller à reconnaître que la France était entrée en récession. Nul ne doit, apparemment, déroger à l’élément de langage censé vertébrer la communication officielle dans le but de rassurer le peuple en lui expliquant, contre l’évidence, que la crise se situerait derrière nous. La moindre des prévisions pointant une infime amélioration de la conjoncture fait d’ailleurs l’objet d’exultations invraisemblables dans les palais nationaux. Sauf que l’Insee aura, récemment et sèchement, renvoyé à son inconsistance la parole gouvernementale, en établissant que l’activité économique s’est contractée en France sur les deux derniers trimestres étudiés… Sauf que les chiffres se montrent encore plus parlants : les faillites d’entreprises de plus de 200 salariés ont accusé une hausse de 33% sur les cinq premiers mois de l’année, avec évidemment des conséquences en chaîne sur leurs sous-traitants… Sauf que, l’OCDE vient de le confirmer, il ne peut en dériver que le fort accroissement d’un taux de chômage à son plus haut niveau depuis 1997, une pression constante à la baisse du pouvoir d’achat (toujours selon l’Insee, la baisse de celui-ci, l’an passé, se révèle sans précédent depuis… 1984), donc l’asphyxie de la consommation des ménages et la paralysie automatique de l’activité.

Et ce n’est pas le plan d’investissement annoncé, voici quelques jours, par le Premier ministre lors d’un discours à la tonalité technocratique assez hallucinante, qui y changera quoi que ce soit. Douze milliards sur dix ans, soit à peine plus d’un milliard par an, ne sauraient compenser ni les quatorze milliards d’amputation de la dépense publique prévus dès l’an prochain et que l’on entend reproduire dans l’exercice suivant (ils toucheront à l’os nombre des services de l’État et se traduiront par la diminution drastique des dotations aux collectivités, donc par un recul franc de leurs moyens d’intervention financiers), ni le report à des temps meilleurs des dépenses d’infrastructures, qui va hypothéquer lourdement le développement et l’avenir de nos territoires. En dépit d’un effet d’annonce soigneusement relayé dans les médias, ils ne sauraient davantage donner l’impulsion volontariste de la si nécessaire conversion écologique de l’économie : la transition énergétique se voit ainsi, de l’aveu de Delphine Batho, moins bien dotée que ne l’était, dans le passé, l’Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’énergie, l’Ademe. D’autant que cette somme sera, partiellement du moins, dégagée au moyen de cessions d’actifs publics (des miniprivatisations, pour les appeler par leur nom…) qui contribueront à déposséder un peu plus la puissance publique de ce qu’il lui reste de leviers pour influer sur les secteurs d’avenir ou les industries de haute technologie ultraperformante où elle conservait des participations, d’EDF à EADS en passant par France Télécom. Tout cela parce que l’on aura lancé la fameuse Banque publique d’investissement sans lui donner aucun des moyens financiers correspondant à ses ambitions proclamées…

En clair, le dogme du « sérieux budgétaire », consistant à conjuguer des coupes sans précédent dans le budget de l’État avec l’alourdissement de la fiscalité directe et indirecte pesant sur le salariat et les classes populaires, dans le même temps que l’on met en charpie le code du travail afin de permettre aux entreprises de licencier à leur gré, s’avère bel et bien une absurdité économique. Henri Sterdyniak, du collectif des « Économistes atterrés », peut à bon droit parler de « l’échec patent d’une vision idéologique axée sur la réduction des coûts », alors qu’« en période de récession, le curseur politique doit changer pour initier une vraie lutte contre le chômage galopant ». Cet aveuglement annonce une tragédie sociale, dès lors que s’avèrent d’ores et déjà facilités la destruction d’emplois par dizaines de milliers, le déchirement du tissu industriel des territoires, l’étranglement du service public et le démantèlement des mécanismes de protection collective du monde du travail (la prochaine cible étant, à cet égard, le système des retraites). Et il engendrera inévitablement les catastrophes politiques dont chacun sait déjà, si rien ne vient gripper l’engrenage fatal, qu’elles risquent de se trouver au rendez-vous de la séquence électorale de 2014.

UN MIROIR AUX ALOUETTES : LE « SOCIALISME DE L’OFFRE »

D’où vient alors, quand tant de voix s’accordent sur la menace de Bérézina pesant désormais sur la gauche et le peuple, jusqu’au cœur du PS et parfois bien au-delà de son aile gauche traditionnelle, que François Hollande s’obstine à proclamer qu’il maintiendra le cap coûte que coûte ? Certains, je le lis même sous des plumes amies, créditent naïvement l’élu du 6 mai d’une volonté de rechercher un « compromis » avec les milieux d’affaire. Un « compromis » qui, dans une tout autre configuration, celle des lendemains du second conflit mondial et de la montée en puissance corollaire du mouvement ouvrier, inspirait l’action d’une social-démocratie européenne se présentant en garante de la paix sociale, supposée résulter de droits sociaux concédés par le capital et d’un certain transfert des richesses en direction des classes travailleuses. Telle n’est pourtant pas la démarche des actuels gouvernants français.

D’ailleurs, lorsqu’il doit définir plus précisément sa vision, et bien qu’il délivre volontiers les coups de chapeau à un « compromis historique entre le capital et le travail », faux-nez rhétorique avant tout destiné à son électorat, le président de la République parle du « socialisme de l’offre ». Expression éloquente s’il en est ! Elle se réfère ouvertement à cette « économie de l’offre » qui sert de justification doctrinale au déferlement du néolibéralisme sur le globe depuis trois décennies. Selon cette école de pensée, qui se revendique de l’héritage d’Adam Smith au XVIII° siècle et entend prendre l’exact contrepied du keynésianisme sur lequel se fonda la politique des États (et de la social-démocratie) durant les « Trente Glorieuses », la création de richesses suppose de laisser au marché le soin de réguler l’économie. De sorte qu’elle en conclue à l’impérieuse obligation de libérer le capital de tout ce qui peut entraver sa quête du profit maximal, à commencer par les mécanismes de redistribution fiscale et de cotisation sociale du patronat au bien commun, pour mieux favoriser ses capacités concurrentielles.

Rien là, on le voit, qui ressemblât si peu que ce fût à un « compromis » dont, en son temps, Léon Blum résumait la philosophie dans son célèbre ouvrage Pour être socialiste : « La véritable égalité consiste dans le juste rapport de chaque individu, d’où qu’il soit né, avec sa tâche sociale. » Il faudrait à présent un culot d’acier pour reprendre l’antienne du « juste rapport de chaque individu », lorsque la fortune totale des 500 Français les plus riches a progressé de presque 25% en un an (ce que vient d’établir le magazine Challenges)…

Cédant sans combat à l’offensive des classes possédantes pour opérer leur mue sociale-libérale, les directions des partis sociaux-démocrates auront fini par adhérer aux principes de « l’économie de l’offre », le chancelier allemand Schmidt en déduisant, à la fin des années 1970, son fameux théorème : « Les profits d’aujourd’hui sont les profits de demain et les emplois d’après-demain. » Avant que son successeur, Gerhard Schröder, le mît en application, frénétiquement et contre le syndicalisme d’outre-Rhin, sous la forme d’une politique de restriction des « coûts » salariaux au moyen d’une flexibilisation lourdement accentuée du travail.

Sans résultat probant, la hausse des profits allant, dans le contexte d’un capitalisme financiarisé comme jamais auparavant, vers les actionnaires et non vers la production. Le « socialisme de l’offre », version Schmidt et Schröder, ne se traduisit en conséquence ni par la relance de l’investissement, ni par la création massive d’emplois. Ainsi que le constate Guillaume Duval, dans son excellent ouvrage Made in Germany, Le modèle allemand au-delà des mythes (aux éditions du Seuil) : « On n’a rien observé de tel en Allemagne pendant les années Schröder, malgré la forte progression des profits : au contraire, le taux d’investissement des entreprises rapporté à leur valeur ajoutée est tombé de 20,5% en 1998 à 17,1% en 2005 pendant qu’en France il montait de 18 à 19% (…). L’Allemagne de Schröder était en réalité un des pays d’Europe où les entreprises investissaient le moins (rapporté à leur valeur ajoutée bien sûr) avec la Grèce et Chypre ! »

UN « MODÈLE » NI ACCEPTABLE, NI VIABLE, NI EXPORTABLE

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