Le capitalisme est-il en passe de devenir un système mafieux  ? 

lundi 22 juillet 2013.
 

Nous ne discuterons pas ici la notion théorique de capitalisme, source, pour certains, de nombreux malentendus  : le concept est-il une idéologie, une réalité complexe inconciliable avec la justice sociale, une entité amorale, etc. La base de notre questionnement tient seulement en quelques mots  : «  Le capitalisme de la crise généralisée d’aujourd’hui est-il en passe de devenir un système mafieux  ?  »

Si cela est, alors le capitalisme existant comme une réalité sociale en soi, pourvue d’une certaine autonomie et obéissant à des lois de fonctionnement et de développement propres, pourrait générer, à travers la crise paroxysmique de l’accumulation, des dérives telles qu’il serait apte à fabriquer non seulement des victimes de la casse sociale pour le bon fonctionnement de sa machine immorale, mais des activités illégitimes au regard même de ses propres lois et d’alimenter une sorte de néofascisme.

Comme on le pressent, la question est de taille. Mais sommes-nous à même de nous appuyer sur des éléments de preuve suffisamment convaincants pour en justifier l’interrogation  ?

Pour démontrer que le cœur de la dérive mafieuse est bien l’activité capitalistique elle-même, écartons de notre discussion sa capacité de perversion suprême à travers la barbarie fasciste et nazie, ainsi que sa collusion avec les actes illégaux de la mafia elle-même qui s’inscrivent dans des rapports hiérarchisés nous permettant de parler de mafia-entreprise, de crime institutionnalisé, structuré, lesquels mêlent activités crapuleuses et légales, blanchiment d’argent et autres liens entre États et entreprises capitalistes, au sens monopolistique du terme (actes illégaux qui, soit dit en passant, prospèrent sans être trop inquiétés, alors que les États-Unis et leurs alliés disposent d’un réseau d’écoute téléphonique et informatique qui leur permet de contrôler plus de 90 % des messages qui s’échangent à travers toute la planète). Écartons aussi le concept de zones grises, aux limites géographiques floues et mouvantes, que constituent les sous-produits pseudo-temporaires d’un monde en pleine recomposition après l’effondrement du système soviétique.

Notre question doit donc porter plus directement sur les activités qui résultent de l’économie politique classique, permettant de découvrir ou non en leur sein des comportements que nous pourrions qualifier de mafieux.

Pour ce faire, nous devons les analyser comme une forme endogène de l’accumulation du capital au sens où Marx peut le démontrer et non comme un exercice professionnel d’actions criminelles ou de biens et de services prohibés (drogue, prostitution, trafic d’organes, contrefaçon…).

Cette propension, en situation de crise paroxysmique à aller vers un système mafieux signifierait alors qu’une logique poussée à son comble s’impose à l’ensemble de la société capitaliste, gangrenant peu à peu son économie «  licite  ».

Observons tout d’abord le comportement du réceptacle majeur de l’accumulation capitaliste qu’est le secteur bancaire, au premier rang duquel se trouvent les banques américaines  : Citigroup, Bank of America, puis la banque britannique HSBC et, plus loin encore, en quatorzième position, le groupe français BNP Paribas, largement devant les pétroliers comme Total ou l’assureur Axa. Toutes ces sociétés, fleurons du capitalisme mondialisé (mais aussi les plus incontrôlables), ont ouvert des milliers de comptes dans les paradis fiscaux, sans que les États spoliés, qui continuent de les laisser défiscaliser, ne remettent en question leur inquiétante stratégie. Parmi les masses monétaires virtuelles en circulation à travers le monde, une part considérable de cette «  fausse monnaie  », investie en actions et en obligations, se cache dans les paradis fiscaux selon des procédures que seuls les grands groupes bancaires sont en capacité de maîtriser. Ces outils complexes et mafieux de la finance mondiale sont partie intégrante des préceptes récurrents de la mondialisation financière.

Voyons à présent ce qu’il en est pour les autres secteurs d’activité. Qu’il s’agisse de l’agriculture, de l’agrobusiness, de la déforestation (liée à la filière bois, à la monoculture, aux agrocarburants ou à l’exploitation minière), du «  tourisme  » des déchets ménagers ou toxiques, de l’agro-industrie, de l’industrie minière et pétrolière, de l’industrie chimique, pharmaceutique, textile, électronique, informatique, de l’industrie des télécommunications et de l’armement… tous, sans exception, sont affectés peu ou prou par la dérive mafieuse.

Chacun d’entre nous a à l’esprit une ou plusieurs affaires économico-politico-financières dans ces différents secteurs d’activité pour qu’il ne soit utile d’en faire un inventaire fastidieux. Quelques exemples suffiront à en étayer le propos  : Seveso, vache folle, amiante, désamiantage des navires militaires, sang contaminé, mise sur le marché de médicaments potentiellement dangereux, contamination par des déchets hautement toxiques de pays à faible potentiel de développement, non-application généralisée des lois du travail, nouvel esclavagisme (en particulier à travers le travail illégal des enfants), surexploitation des travailleurs immigrés par le travail clandestin, délocalisation arbitraire d’activités de production dans des pays à bas coût social, augmentation sans précédent de la dérégulation du travail sous toutes ses formes, discrimination des femmes au travail, corruption généralisée des instances nationales et internationales du sport, légalisation du trafic industriel  : cuivre, or, diamant, uranium, pétroles, gaz, sable, surpêche, déforestation, monoculture (huile de palme, OGM…), emprunts toxiques, etc., sans oublier la libéralisation monétaire et financière imposée par les programmes inconditionnels du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale comme facilitateurs de la criminalisation et son internationalisation par ces deux instances dites légales.

Comme nous pouvons le constater, l’activité mafieuse imprègne le cœur même du système. Marx n’avait-il pas pronostiqué en son temps la constitution de «  petites Irlande  » créant leur propre monde à part dans chacune des grandes concentrations capitalistiques mondiales  ?

Voilà pourquoi l’accélération de la mondialisation des marchés, qui par définition n’a plus d’extériorité, fait que tout fait partie du tout. N’agissant pas selon la loi, mais selon ses propres intérêts, le capitalisme de la crise généralisée donne de plus en plus de force au profit et de plus en plus de forme à la loi. La question de la légitimité de la société capitaliste monopoliste en réseaux d’aujourd’hui est donc posée.

Ces activités de compensations mafieuses du capitalisme monopolistique pour garantir les profits en période de crise sont en quelque sorte devenues les clés de voûte d’une sorte de système clandestin qui prend peu à peu le pas sur celui plus officiel de son apparente vitrine légale.

Certes, les pragmatiques et les blasés pourront toujours prétendre que faute de pression morale, sociale ou politique, il ne sert à rien de porter à la connaissance des citoyens la mauvaise part du monde… Mais, au grand désespoir du capital et tous les attentistes, et quelles qu’en soient les raisons, l’altruisme tout comme la conscience de classe existent. Le large mouvement de contestation populaire en cours dans de nombreux pays du monde en est la preuve. C’est pourquoi notre combat pour sortir du capitalisme donne encore tout son sens à l’humanité.

André Prone

Tribune libre dans L’Humanité


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