La lepénisation médiatique

lundi 8 juillet 2013.
 

L’évolution d’un Robert Ménard n’est pas anecdotique mais révélatrice de ce qui se passe dans cette profession. De « Reporters Sans Frontières » (que je n’assimile pas à sa trajectoire) au Front National à Béziers en passant par l’apologie du Dalaï Lama comme prétexte à la haine quasi raciste anti chinoise, comment ne pas voir les ingrédients qui ont coagulés dans cet esprit perturbé ? Comment ne pas percevoir l’arrogance sectaire et normative des maitres de plateau télé qui se perdent ensuite dans leurs certitudes aveuglées ? Comment ne pas y voir un écho du sentiment de toute-puissance que leur donne le narcissisme télévisé. Comment ne pas sentir l’affichage du sentiment d’appartenir à une profession dépositaire et véhicule de la vérité ? Ménard n’est pas une exception. Il est juste très visible. Mais il n’est pas si caricatural. Il s’agit d’une vague profonde ! Les adeptes du Front National sont désormais bien plus nombreux qu’on ne le croit dans les rédactions où dominait la droite et dans celle où l’on déteste les musulmans. Dans les sommets c’est une autre paire de manches. A l’abri d’un noir corporatisme de caste qui interdit toute critique des contenus et des censures, opère une mince couche dirigeante de médiacrâtes dont les atavismes encouragent le pire. Bref : un certain nombre de médias sont directement responsables de la cristallisation de l’opinion qui s’opère du côté du Front National. Comment ?

Ils fonctionnent comme coagulateur de miasmes. Comme un prescripteur qui diffuse un angle de vue sur toute la scène médiatique. Par contamination, il formate un « air du temps » exclusivement profitable à l’ecosystème culturel du Front National. Dans la plupart des situations, la paresse intellectuelle, le régime de peur sociale régnant dans maintes rédactions, et le panurgisme compulsif expliquent ce que les vendettas personnelles et les accointances politiques ne suffisent pas à décrire. Mais dans quelques cas notoires il s’agit d’une orientation qui se déduit de la matrice éditoriale elle-même. L’idéologie d’extrême droite prolifère sur un terreau culturel bien connu et bien décrit depuis longtemps. Cinq condiments essentiels s’y trouvent. Il y a d’abord, bien sûr, l’état de détresse sociale accompagnée par la peur du déclassement dans les catégories sociales dites « moyennes ». Ensuite le fantasme du « déclin national », toujours mis en scène de façon catastrophiste. Puis l’antiparlementarisme et la disqualification permanente du « politique » toujours présenté comme impur et corruptible. Il y a aussi la mise en scène nostalgique d’un état de nature bienfaisant malheureusement ignoré. Et enfin il y a la figure l’ennemi de l’intérieur infiltré et tout puissant : juif, franc-maçon, musulman. Ces éléments se retrouvent tous ensemble dans certaines publications de référence, à l’exception de l’anti-sémitisme que, pour l’instant, aucune n’assume. Mais, quand bien même la diffusion de cette sous couche est-elle éparpillée au gré des titres et des moments, elle ne manque jamais de fusionner dans les esprits. Surtout depuis que la dédiabolisation de Marine Le Pen est martelée et que ses thèmes sont banalisés sur le mode par exemple des « unes » de l’Express. Comment oublier dans ce registre le « sondage exclusif » du journal « Le Monde » dont les questions, la mise en page et la présentation constituent à eux seuls un cas d’école. Lisez cette accroche : « Un Français sur deux considère aujourd’hui que le déclin de la France est « inéluctable ». Une proportion qui monte à 77% chez les partisans du Front national. Ils sont également très nombreux à considérer la mondialisation comme « une menace », à juger que la France doit « se protéger », et qu’elle a besoin d’un « vrai chef ». Les politiques, l’islam et… les journalistes sont voués aux gémonies. Les conclusions de la grande enquête Ipsos pour Le Monde, réalisée avec le Cevipof et la Fondation Jean Jaurès, montrent que, chez les Français, le ressentiment cède à l’hostilité, et le repli à la grande crispation identitaire. Un tableau très sombre analysé par l’historien Michel Winock et commenté par José Bové, Pierre Laurent, Ségolène Royal, Jean-Louis Borloo, Jean-François Copé et Marine Le Pen. » Oui ce jour là même l’appel au chef avait été « sondé », c’est-à-dire suggéré comme chacun le sait.

Mais tout cela ne nous dispense pas de nos propres responsabilités. Je ne parle pas des responsabilités locales. Abandonnés à eux-mêmes les militants locaux ont fait du mieux qu’ils pouvaient. Cela ne veut pas dire que j’approuve ce qui s’est fait mais je veux respecter et saluer le dévouement qui s’est exprimé sans relâche. Je parle ici du niveau national et je m’inclus donc dans les reproches que je nous fait, cela va de soi. L’auto critique que nous devons faire est d’abord que cette élection partielle n’a pas été traitée comme une élection nationale ! Et cela alors même que l’alerte avait déjà été donnée avec l’élection dans l’Oise elle aussi cantonnée au niveau local. De son côté le Front national a piloté sa campagne avec tous les moyens du national et sous sa vigilance. Comment faisons-nous pour traiter et préparer avec un soin de notaire chaque manifestation nationale de notre mouvement et abandonner aux hasards locaux et à ses moyens très modestes une campagne de ce type ? Le fond de l’affaire, au niveau national, est politique. Il faudra avoir le courage de l’aborder. La discussion qui opposait « le coup de balai » que j’avais prôné au nom du PG et celle de la « truelle pour construire » portée par la direction du PCF et la gauche unitaire de Christian Piquet, si elle devait être minimisée en public dans le contexte inopportun de la préparation de la manifestation du 5 mai n’en est pas moins concernée ici. On ne pourra pas dire que le thème local fut « le coup de balai » ni « la gauche sans complexe et sans casserole » que j’avais porté à Hénin Beaumont comme ligne de campagne. Elle nous avait pourtant permis de gagner 1000 voix en trois semaines. Cette orientation me parait tout à fait indiquée quand est en jeu dans une élection de ce type la masse des désemparés et désorientés dégoutés par la situation et qui cherchent une issue positive. Tout ce qui ressemble à un accommodement avec le système tout ce qui se réfère à l’ancien monde politico institutionnel est disqualifié à juste titre dans ces milieux très divers socialement et donc peut captables par les discours catégoriels des campagnes électorales classiques.

L’illusion est de croire que nous pourrions grappiller des électeurs aux socialistes convaincus, par de bonnes manières et un parler doux et complice. Ceux-là ont encore voté à 21 % pour le candidat du parti de Cahuzac, sans état d’âme. Mais ceux-là aussi auraient peut-être bougé davantage s’ils avaient été secoués par une interpellation spécifique, venue de notre niveau national et s’ils avaient senti qu’ils pouvaient jouer un rôle plus fondateur que de reconduire sans cesse le même paysage. De son côté le Front national a fait ce double travail en direction des désorientés d’une part et des électeurs traditionnels de la droite d’autre part. Personne ne lui ayant demandé de compte sur l’implication de ses proches dans les aventures de Cahuzac, pas même le journal « Le Monde » qui avait sorti l’affaire de façon très soudaine et très documentée, Marine le Pen a eu les mains libres. Et de même à propos du meurtre de Clément Méric. J’ai subi dix fois plus de buzz à propos de sièges d’avion en classe affaire ou éco que n’en ont donné mes articles fouillés et argumentés ou ceux de mon ami Alexis Corbière montrant les liens entre le parti des Le Pen et le meurtrier.

A côté de cela, peut-être lui a-t-on facilité la tâche en publiant un tract en arabe que j’avais d’abord pris pour un faux quand on me le montra ! Je pense qu’il s’agit d’une erreur qui mérite d’être discutée sur le fond. Car quelles sont les motivations des camarades qui peuvent croire qu’il y a des « citoyens français d’origine maghrébine » qui ont besoin de lire notre message dans une langue qui n’est pas la leur, à supposer qu’ils la lisent, et plus encore qu’ils la lisent dans le dialecte choisi ! Bien sûr je sais bien que les rédacteurs n’avaient pas l’intention d’aider madame Le Pen. Mais les camarades ont-ils compris que c’est bien ce qui s’est passé et surtout comprennent-ils tous, au niveau local et au niveau national, pourquoi c’est bien le cas ? Et surtout pourquoi c’est inacceptable dans tous les cas ?

Comme je l’ai dit pour commencer mon propos je crois que la façon dont nous avons tourné le dos au niveau local en le laissant se débrouiller du défi interpelle notre difficulté à trancher des questions moins compliquées qu’il y parait d’abord. Or, on ne peut pas faire exister plusieurs stratégies de combat en même temps. Déjà le concert de critiques confuses à propos de la ligne dite « Front contre Front » a tétanisé la parole et la réflexion ! L’application de la ligne inverse, sans le succès de la première, va-t-elle aussi bloquer le débat ? En tous cas le drapeau levé par nous dans la campagne présidentielle, les enseignements de mes débats avec madame Le Pen, puis ceux de ma présence à Henin-Beaumont semblent devenus bien éloignés des acquis de notre famille politique. Est-ce parce qu’ils ont été mis de côté après Henin-Beaumont ? Qu’ont produit alors les sempiternelles injonctions de « montrer plutôt d’abord le contenu alternatif de nos propositions » ce qui ne m’a jamais paru contradictoire ? En tous cas je note que « Le Monde » peut dorénavant se permettre aussi de dire qu’aucune grande « voix forte et légitime à gauche ni à droite n’a pris en charge le combat contre le Front National » pour finir d’effacer du tableau notre combat récent, sans ressentir le besoin de mentionner « le contenu alternatif de nos propositions concrètes ».

Mon intention n’est pas ici de sanctionner des débats du passé récent dont il est évident que les évènements ont suffi à les trancher. Mon souhait est que la leçon serve et que nous prenions les combats en main d’une façon plus collective pas seulement quand il est question de moi, mais dans tous les cas où l’avenir de notre projet est engagé. La responsabilité de notre déconvenue locale à Villeneuve est exclusivement d’ordre national. Nous n’avons été les jouets d’aucune fatalité. Nous sommes une force nouvelle. La difficulté à aborder un combat nouveau est naturelle. Elle ne doit pas nous complexer. Mais le contexte et sa dangerosité ne nous permet aucun des conforts que les autres peuvent se permettre. Nous cacher nos erreurs ne serait pas à la hauteur de l’événement et du seuil qu’il contient. Sur le terrain, cette fois ci, le Front national a pris la main comme alternative au système. Et cela dans un contexte qui aurait permis que soient exploitées toutes les potentialités d’une ligne qui avait prouvé sa force d’entrainement dans la spectaculaire manifestation du 5 Mai. Seuls les naïfs pouvaient croire que nous recevrions de l’aide de la sphère médiatique pour cibler le Front national et contrer son avancée. Une fois de plus, comme à Hénin-Beaumont, et comme je l’avais dit, ce fut le contraire, notamment dans la presse régionale cette petite tyrannie intolérante avec nous et complaisante avec le système qui les gave. La confusion stratégique, les atermoiements tactiques et les illusions sur l’adversité nous exposent à de terribles déconvenues que la gravité de la situation ne permet pas. D’autres partielles auront lieu. Il faudra se souvenir de celle-ci. D’autres élections arrivent. Il faudra aussi se souvenir de comment nous avons perdu celle-ci.


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