Vers une « gauche plurielle bis » ? (Daniel Bensaid, présidentielles 2007)

lundi 5 février 2007.
 

La présidentielle de 2002, le rejet du Traité constitutionnel européen (TCE), puis la victoire du mouvement anti-CPE1 montrent le poids de la gauche radicale en France. N’est-il pas paradoxal que les socialistes n’en tiennent pas compte en choisissant Royal et qu’aucune offre réellement alternative au PS n’émerge ?

Le paradoxe tient peut-être dans la lecture de la dynamique politique. En 2002, la gauche critique à l’égard du PS avait pleinement rempli son potentiel électoral, que j’estime à 10%-13%2. C’était un vote sanction contre une législature socialiste qui n’avait pas changé grand-chose à la politique sociale, ni à l’Europe, et qui s’était spectaculairement rallié aux privatisations. Aujourd’hui, le réflexe électoral n’est pas le même. On sort d’un gouvernement de droite et la crainte d’une nouvelle présence de Le Pen au second tour favorise l’idée du vote utile dès le premier tour. Je pense, par ailleurs, que l’on sous-estime l’effet démoralisateur de la défaite du mouvement social de 2003 sur les retraites et l’éducation. C’était une lutte beaucoup plus enracinée que celle contre le CPE, dont il ne reste presque rien douze mois plus tard.

Tout cela pèse et explique que le potentiel de votes à la gauche du PS soit moins important aujourd’hui. Et cela, que l’extrême gauche présente une candidature unique ou pas. Dire, comme certains l’ont fait, qu’on pouvait obtenir un score à deux chiffres, c’est de la rigolade ! Les votes dits de gauche radicale ne s’additionnent pas nécessairement. D’un point de vue comptable, une candidature unique de José Bové ou de Clémentine Autain3 est moins intéressante qu’un éclatement de l’offre, car Bové aurait perdu une grande partie de l’électorat PC, tandis que Autain est absolument inconnue dans l’électorat ouvrier.

Cela explique-t-il l’échec de la démarcheunitaire antilibérale ?

Non. Une candidature unique était malgré cela souhaitable. Pour sa dynamique et pour consolider l’espace politique ouvert lors de la campagne de gauche contre le TCE en 2005. Il était néanmoins illusoire de croire que l’importante dynamique du non de gauche puisse se prolonger de manière linéaire à l’élection présidentielle. Un référendum, c’est oui ou non, ce n’est pas un programme ou des orientations politiques bien définies. Bien sûr, une plate-forme avait été élaborée par les collectifs [antilibéraux, ex-collectif du non au TCE, ndlr]. Malgré quelques points de désaccords, inévitables dans ce type de démarche unitaire, on aurait pu mener sur cette base une campagne pluraliste mais commune.

Mais, selon nous, il y avait une question incontournable - qui deviendra de plus en plus présente à mesure qu’on se rapprochera du vote - c’est celle de la future majorité gouvernementale et parlementaire [les élections législatives sont prévues un mois après le second tour de la présidentielle, ndlr]. Y aura-t-il une « nouvelle majorité à gauche », comme le dit Marie George Buffet [candidate du PC, ndlr], sous la domination d’un Parti socialiste, dont on connaît et le programme et la candidate ?

La LCR fera en sorte de faire battre Sarkozy mais nous refusons de voir le projet unitaire alternatif se dissoudre immédiatement dans une coalition « gauche plurielle bis », dont on connaît à l’avance les résultats. Nous avons la responsabilité de ne pas faire miroiter des promesses que l’on sait être obligés de trahir. Je peux comprendre que les animateurs des collectifs aient choisi de temporiser sur cette question en attendant de voir si Laurent Fabius était choisi pour la candidature socialiste.

Mais à partir du choix de Ségolène Royal, il n’y avait plus de raison de ne pas trancher : oui ou non, une telle alliance était-elle envisageable ? Pour nous elle est exclue. Pour le PC, elle ne l’est pas, pour deux raisons : il a besoin des socialistes pour sauver son groupe parlementaire en juin prochain et parce qu’une partie des communistes misent sur leur retour au gouvernement. Des négociations ont d’ailleurs commencé. Il n’y a pas eu de malentendu. Mais un désaccord politique. Si des convergences existent entre nous, il n’y a pas d’accord quant à une stratégie de reconstruction d’une gauche digne de ce nom.


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