L’alternative à une économie financiarisée, c’est le développement des capacités humaines des salariés

samedi 8 août 2015.
 

L’humain d’abord !

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Le patronat cherche à s’appuyer sur la situation désastreuse pour faire entériner le recul des garanties sociales. La voie privilégiée est celle d’accords d’entreprise censés préserver la compétitivité. Le MEDEF n’a de cesse de rappeler que « le modèle social doit se plier aux exigences de l’économie ».

Il faut mesurer les conséquences sur l’ensemble du salariat de la généralisation éventuelle de ce type d’accords d’entreprise dérogeant aux règles communes du Code du travail. C’est un changement complet des règles du jeu qui serait engagé. Cette pratique ferait des conditions d’emploi et de rémunération des salariés une dimension majeure de la concurrence entre firmes et établissements.

Dans le cas précis de Sevelnord, filiale de PSA qui assemble les petits véhicules utilitaires, le projet d’accord proposé par la direction prévoit, alors que le travail est déjà organisé à la semaine sur la base de 3, 4, 5 ou 6 jours, que les dispositions régissant les heures supplémentaires seraient contournées, les délais de prévenance réduits, les primes associées supprimées. Le transfert de main-d’oeuvre dans des entreprises partenaires s’opérerait sous une contrainte financière. Les salaires seraient bloqués pendant 2 ans. À partir du moment où un tel accord serait accepté, tout concurrent de Sevelnord serait légitime d’exiger les mêmes abandons de la part de ses salariés. La contagion dans toute la branche automobile serait immédiate.

Les accords d’entreprise, tels que les souhaite le MEDEF, représentent un risque d’éclatement des protections salariales. Si un socle commun relativement élevé reste garanti, en France, à la quasi-totalité des salariés, nous voyons déjà se développer une véritable différenciation entre les salariés des entreprises en matière de couverture complémentaire maladie, de retraite et de divers risques sociaux.

Le salariat va se trouver fragmenté, clivé. C’est la leçon que tirent les syndicalistes allemands de la pratique des accords d’entreprise qui s’est étendue depuis 10 ans outre-Rhin. Le travail est aujourd’hui comme jamais écartelé entre la personne du salarié et l’usage de la force de travail que ce salarié cède contre rémunération à son employeur. Le besoin d’une maîtrise par le salarié de son travail et de ses temps de vie n’est pas reconnu. L’efficacité productive n’est pas au rendez-vous.

Soyons clairs, la dimension économique en matière de droit du travail n’est pas une question taboue en soi. D’ailleurs, le droit du travail a toujours exprimé une contradiction entre, d’une part, l’approche sociale et, d’autre part, des exigences économiques. Ce n’est jamais entièrement l’un ou entièrement l’autre.

La question véritable est aujourd’hui de savoir à quelle économie nous voulons articuler le droit social. Une bonne partie du patronat essaie de plier le droit social aux exigences immédiates qu’impose la rentabilité exigée par les actionnaires. L’alternative à une économie financiarisée est le développement des capacités humaines des salariés. Ce serait la meilleure réponse aux problèmes de précarité, de précarisation et aux risques associés et aux défis de la qualité des productions. C’est la raison pour laquelle la proposition de « sécurité sociale professionnelle » serait mal comprise si elle laissait entendre qu’il s’agit de créer une protection essentiellement réparatrice ou d’un moyen d’accompagner les parcours professionnels et le sous-emploi. Il s’agit plutôt d’axer ce nouveau dispositif sur la prévention, la protection du travail, de la qualification et, de ce fait, l’individu.

Les institutions salariales, la protection sociale, le droit du travail, les grandes garanties collectives ne sont pas immuables mais l’on doit respecter leur autonomie. La règle sociale est une affaire de principe, et les réponses ne peuvent pas varier au gré des entreprises et des circonstances conjoncturelles. Ce sont d’autres leviers qu’il faut actionner, au premier rang desquels les dividendes des actionnaires et les conditions du crédit.

par Jean-Christophe Le Duigou, économiste et syndicaliste

(L’Humanité Dimanche)


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