Débat public entre Alexis Corbière (Front de Gauche) et Charles Beigbeder (entrepreneur, UMP)

vendredi 8 juin 2012.
 

Nous avions fait le choix d’organiser un débat public à 19h avec le candidat de l’UMP, mon principal adversaire, dans cette 8e circonscription de Paris. Dois-je le présenter encore ? Il s’agit de M. Charles Beigbeder, ce patron libéral dont toutes les convictions profondes sont à l’opposée des raisons de mon engagement. Notre échange fut animé par Philippe Douroux, journaliste à Libération et, je crois, responsable de la rubrique forum et débat dans ce quotidien. Je le remercie à nouveau pour sa précieuse présence.

DSC05915.jpgDe mon point de vue, cette soirée fut un éclatant succès. D’abord par la participation. La salle était pleine avec plus de 250 personnes et les propriétaires des lieux nous ont demandé de fermer les portes pour que les normes de sécurité soient respectées. Nous aurions du réserver une salle plus grande. Il faudra s’en souvenir. De plus, le débat fut durant deux heures assez éclairant. Beigbeder et moi, en politique, nous sommes finalement comme l’eau et le feu. Aucun point commun. C’est d’ailleurs assez rassurant de la constater. Je ne résume pas nos échanges dans ce billet. Je vous invite d’ores et déjà à lire l’article du Journal du Dimanche (JDD.fr) qui raconte assez justement cette soirée. Je sais aussi que l’Humanité raconte la majeure partie de cet échange dans ses Pages-débats d’ajourd’hui. Une raison supplémentaire d’acheter l’Humanité, non ? Mes amis ont filmé cette soirée et nous allons très vite vous en proposer un résumé de quelques minutes. Après une heure d’échange sur trois thèmes convenus à l’avance : la dette, l’emploi et l’Europe, nous avons répondu à des questions qui avaient été posées par des participants de la salle.

DSC05912.jpgMarque d’intérêt supplémentaire, nous avons même eu la visite du candidat du Modem et de l’Alliance centriste qui nous ont félicité pour cette expérience qui donnera sans doute envie à d’autres formations politiques. Une expérience donc à reproduire. Un dernier mot à propos de la presse. Le jour même, nous avions eu droit à un articulet, annonçant notre débat public, en Une du Canard enchaîné. Honneur suprême pour le fidèle lecteur du volatile que je suis depuis plus de 25 ans. Une remarque toutefois, le journaliste qui avait rédigé ces quelques lignes, évidemment moqueuses, avait directement plongé sa plume dans l’encrier des socialistes locaux. Dommage. Mes longues antennes dans la section socialiste m’ont confirmé depuis que c’est là qu’avait été inspiré ce petit article moqueur qui affirmait que j’avais l’insolence de faire un débat avec l’UMP dans le 12e sans inviter la candidate socialiste. Pas de bol pour le volatile, c’est faux. Lorsque je me suis adressé à Charles Beigbeder par courrier il y a dix jours environ, j’avais bien pris soin d’adresser quasiment la même lettre à la candidate socialiste qui n’avait pas jugé bon de me répondre par écrit. Ce que je raconte là est public et vérifiable. C’est dans Le Parisien que j’ai appris qu’elle ne voulait pas débattre avec moi. C’est son droit. Mais, alors pourquoi le Canard enchaîné déforme-t-il la réalité ? Qui lui a menti ? D’où vient la fausse information qu’il publie ? C’est de peu d’importance me direz-vous. Certes. Mais je n’aime pas l’idée que mon hebdomadaire satirique favori ne devienne qu’une petite caisse de résonance des médisances socialistes contre le Front de Gauche. Et, si cette petite information qui me concerne est fausse, qu’est-ce qui me garantie que le reste que l’on peut lire dans les huit pages de l’hebdomadaire est exact ? J’invite donc le Canard enchaîné à être plus rigoureux, sans quoi c’est son plumage qui se ternit.

Bah, qu’importe les petits mensonges du Canard enchaîné qui me qualifie même de "moujik" ! Curieux. En quoi suis-je donc un paysan russe ? Je l’ignore. Mais, après tout, pourquoi pas. Je prends le terme immédiatement à mon compte. Il a un petit parfum de Révolution d’octobre 1917 qui m’amuse. Et tiens, si je suis élu, je pourrai même initier une "Grande fête de la moujik" ! Non ? … Allez, rions quand même, rions de bon cœur même. Que serait notre existence sans l’humour et le rire. Malgré les piques et les peaux de bananes, c’est de façon joyeuse que le Front de gauche et ses militants mèneront campagne en ce mois de juin qui commence.

Lutter contre la dette et les déficits

Alexis Corbière. Le thème de la dette monopolise tous les débats depuis plusieurs mois. Il sert de prétexte à mettre en place l’austérité. La droite est responsable de 75 % de la dette. Le seul moment où la dette a baissé, c’est de 1997 à 2002, sous le gouvernement de Lionel Jospin. Il n’y a pas une gauche dépensière et une droite rigoureuse. C’est l’inverse  ! La droite au pouvoir a mis en œuvre une «  contre-révolution fiscale  », qui a tari les rentrées dans les caisses de l’État. On ne consomme pas trop de santé, trop d’éducation… La dette a été creusée par manque de rentrées fiscales, par des cadeaux faits aux plus riches.

Charles Beigbeder. Les cadeaux fiscaux sont une légende inventée par la gauche pour nuire au bilan de Nicolas Sarkozy. D’ailleurs, à la fin du mandat de Nicolas Sarkozy, les impôts ont malheureusement augmenté, avec notamment un alignement de la fiscalité du capital sur le travail, ce qui est mauvais parce que nos entreprises ont besoin de capitaux. Il faut auditer toutes les politiques publiques. Certaines sont efficaces, d’autres n’ont pas lieu d’être et coûtent une fortune. Nous devons aussi lutter contre les fraudes. J’ai, hélas, rencontré un certain nombre de personnes au RSA mais qui ont une autre nationalité dans le monde et qui sont des entrepreneurs qui gagnent beaucoup d’argent. On peut se réjouir de la création d’un fichier national de tous les allocataires sociaux pour éviter les abus.

Alexis Corbière. Si vous voulez parler de fraude, parlons-en. Des citoyens français particulièrement aisés vivent à l’étranger pour ne pas payer d’impôts. Ne pourrait-on pas imaginer qu’on leur demande de payer la différence avec ce qu’ils paieraient en France, une fois réglés leurs impôts dans leur pays de résidence  ? Nous estimons cette fraude à 30 milliards d’euros. Et en revenant simplement sur les mesures qui ont été prises, ces dernières années, sans aucune conséquence positive sur l’emploi, ce sont près de 120 milliards d’euros que nous pouvons récupérer chaque année.

Charles Beigbeder. Notre système de prélèvements obligatoires marche sur la tête. Je propose donc aussi de mettre à plat la fiscalité avec une simplification de l’impôt sur les personnes, qui est aujourd’hui extrêmement compliqué. Je propose de tout fusionner en un impôt unique, ni dégressif ni progressif. Cela permettrait de faire de la France, pas un paradis fiscal, mais un pays où l’on serait heureux de payer son impôt.

L’emploi

Alexis Corbière. Parlons d’emploi. Il faut des outils législatifs nouveaux. Nous proposons qu’une loi soit mise en œuvre pour empêcher les licenciements boursiers. Il est inacceptable qu’une entreprise qui fait du profit puisse fermer un de ses centres. C’est un comportement de voyou  ! Nous voulons aussi créer des droits nouveaux pour les salariés dans l’entreprise, notamment un droit de veto pour les représentants syndicaux, qui doivent pouvoir s’opposer à des plans jugés scandaleux. Je crois aussi que l’on peut créer des emplois dans certains secteurs, je pense au logement. Sur cinq ans, il faut un million de nouveaux logements. Cela représente, selon la fédération du bâtiment, plus de 100 000 emplois. Revenir à la retraite à 60 ans permettrait de créer 130 000 emplois. Il faut aussi revenir sur les suppressions de postes dans la fonction publique… Bref, si on rompt avec la logique du tout-profit, il y a largement de quoi créer plus de 3 millions d’emplois. Face aux patrons voyous, il faut la poigne de la loi, pas la main invisible du marché.

Charles Beigbeder. Il n’y a pas d’objectif plus important que de réduire le chômage aujourd’hui. Et pour cela, la seule solution, c’est la liberté d’entreprendre. Le marché du travail est complètement sclérosé avec le Code du travail et ses 3 200 pages absolument incompréhensibles pour toute personne normale. Il crée une retenue chez les entrepreneurs, qui préfèrent ne pas grandir. Je vois dans ce Code du travail les raisons de notre faible croissance, de notre taux de chômage élevé. Les entrepreneurs ne peuvent pas embaucher parce qu’ils se disent  : «  J’aurai un mal fou à déboucler le contrat de travail sans procédure judiciaire.  » Je suis pour un nouveau CDI, qui contiendrait à l’avance des clauses de débouclage, dans lequel l’indemnité de départ du collaborateur serait fixée dès le début avec une grille proportionnelle à la durée de présence de l’entreprise. En enlevant ainsi l’épée de Damoclès qui plane sur les têtes des entrepreneurs, je vous promets des centaines de milliers d’emplois dans tous les secteurs d’activités.

L’austérité et l’Europe

Alexis Corbière. La première difficulté d’un chef de PME, c’est le rapport aux banques, qui ne jouent plus leur rôle. Nous nous pensons qu’il faut un pôle public bancaire pour leur permettre l’investissement, de moderniser leur outil de production. Vous avez une conception très XIXe siècle, avec le patron paternaliste qui partage les bénéfices avec les salariés. Mais ça n’est plus comme ça  ! Aujourd’hui, la recherche du profit passe avant tout. La liberté dont vous parlez, c’est celle du renard dans le poulailler. Nous proposons qu’il y ait des visas sociaux, des visas écologiques. Que n’importe quel produit ne puisse pas entrer en France dans des conditions déloyales. Je voudrais poser une question à M. Beigbeder sur le traité Sarkozy-Merkel. Si j’étais parlementaire, je lutterais contre ce traité qui vise à imposer aux États l’interdiction d’avoir un déficit public supérieur à 0,5 %. Si un État ne respecte pas cet engagement, alors une entité représentant l’Union européenne, le FMI et la BCE sera en capacité d’imposer un budget au pays. Au-delà de la question économique, c’est la souveraineté nationale qui est remise en question. Croyez-vous que l’idée européenne puisse progresser si les représentations nationales peuvent être mises sous tutelle d’une instance non contrôlée démocratiquement  ?

Charles Beigbeder. Ce que nous appelons «  règle d’or  » et c’est cela qu’il y a dans le traité Sarkozy-Merkel, c’est du pur bon sens  : il faut ne pas avoir plus de dépenses que de recettes. En revanche, ça ne suffit pas. Je suis un Européen convaincu et je crois qu’il est temps de relancer la construction européenne. Je suis pour une défense européenne, une police européenne, pourquoi pas un FBI européen aux frontières de l’Europe. La proposition de Nicolas Sarkozy de revoir le traité de Schengen allait dans le bon sens. On a abandonné le problème des frontières de l’Union européenne. Voilà ce qui serait une dépense intelligente.

Alexis Corbière. C’est symptomatique de voir que vos projets pour l’Europe, c’est une police de l’immigration plutôt qu’un Smic européen pour lutter contre les délocalisations. Plus généralement, comment justifiez-vous que les États ne puissent pas emprunter auprès de la BCE  ? On a des établissements bancaires qui empruntent de l’argent auprès de la BCE à des taux extrêmement faibles et qui reprêtent aux États à des taux beaucoup plus élevés. Comment expliquer ce scandale  ? Les banques doivent revenir à leur mission première. Il faut affronter la finance  ! Si on ne brise pas ce système à la racine, la gangrène va se propager à d’autres États.

Propos recueillis par Adrien Rouchaleou


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