Dette souveraine et zone Euro : 10 questions, 10 réponses (excellent dossier de la FASE)

dimanche 5 février 2012.
 

1) Qu’appelle-t-on dette publique ou dette souveraine ?

C’est la dette des administrations publiques (qui prélèvent des impôts ou des cotisations obligatoires). En France, cela regroupe l’Etat, les collectivités locales et la Sécurité Sociale au sens large (y compris Unedic). Ne pas confondre avec la dette de la Nation qui prend également en compte la dette privée des ménages et des entreprises.

2) Est-il aberrant pour une administration publique de s’endetter ?

Evidemment non. On peut faire ici le parallèle avec un ménage. Combien de ménages auraient pu investir dans la propriété de leur logement sans avoir recours au crédit ?

D’ailleurs, si aucun agent économique ne s’endettait, à qui les épargnants prêteraient-ils leur épargne pour la faire fructifier ? En soi, le crédit est un outil formidable.

Tout le problème réside dans la capacité de remboursement de cet emprunt. C’est ce que l’on appelle la soutenabilité de la dette.

3) Quel est le montant de la dette publique de la France ? Quelle est sa composition et quelle est son évolution depuis le début de l’ère Sarkozy ?

Fin 2011, la dette publique se monte à 1690 milliards d’€. Celle de l’Etat en représente environ 80 % (soit plus de 1330 milliards). Celle des collectivités environ 9 % et celle de la Sécu 11 % (un peu plus de 190 milliards). A la fin de l’année 2006, la dette publique s’élevait à 1150 milliards ; elle s’est donc accrue de 540 milliards en 5 ans (chiffres de l’INSEE).

Pour faire des comparaisons internationales (et apprécier, à tort*, sa soutenabilité) on l’exprime en % du PIB c’est-à-dire de la production annuelle de richesses.

Fin 2006 elle représentait 64% du PIB, fin 2011 85% du PIB ; déjà hors des clous du Traité de Maastricht / Lisbonne qui régit la zone Euro et autorise un maximum de 60 % !

C’est l’augmentation de l’endettement de l’Etat qui est principalement responsable de cette évolution. Chaque année en effet, le budget de l’Etat est en déficit, et creuse donc plus profondément la dette cumulée. En 2011, le déficit du budget de l’Etat s’est élevé à 92 milliards (celui de la Sécu à 18 milliards). En 2007 le déficit budgétaire était de 38,4 milliards. Entre 2007 et 2011, il a donc augmenté de 53.6 milliards soit 140 % !

4) Pourquoi et comment l’Etat a-t-il laissé filer le déficit budgétaire et creusé ainsi la dette ?

Ce déficit résulte d’un écart entre les dépenses et les recettes qu’on peut interpréter de 2 manières : excès des unes ou insuffisance des autres ? Est-il dû à une orgie de dépenses publiques – englobant l’annuité de remboursement de la dette et le coût des opérations militaires extérieures (dont le lamentable fiasco afghan) - comme la droite tente de le faire croire ou bien à une insuffisance des recettes ?

La part des dépenses publiques dans le PIB a augmenté uniquement depuis 2009 en relation avec les dégâts de la crise – sauvegarde des banques et plan de « relance » - (56.6 % en 2010 dernier chiffre publié par l’INSEE contre 53.3% en 2008 comme sur toute la durée du quinquennat Chirac ; elle est en fait à quelques décimales près remarquablement stable depuis le début des années 90 jusqu’en 2008).

En revanche, les recettes fiscales n’ont pas connu l’évolution qui aurait été nécessaire.

A cet égard, la politique de la droite d’avantages fiscaux concédés aux plus riches porte une lourde responsabilité. Ainsi le taux marginal de l’impôt sur le revenu (de 65% en 82) n’a cessé de baisser pour s’établir à 41 % en 2011 ; le taux d’impôt sur les sociétés est passé de 50 à 33,3 % ; à cela sont venus s’ajouter sous Sarkozy le bouclier fiscal et un ensemble hétéroclite de niches, si bien qu’en incluant l’estimation de l‘évasion fiscale (65 M€), on aboutit à un manque à gagner de 140 milliards pour la seule année 2011.

On voit que, toutes choses égales par ailleurs, l’équilibre budgétaire n’est pas inaccessible.

[Il n’est d’ailleurs pas indispensable d’avoir un budget excédentaire ou en équilibre pour que la dette soit soutenable, il suffit d’un équilibre du budget primaire (c’est-à-dire hors annuité de remboursement de la dette) pour alléger la contrainte, si le taux d’intérêt réel (hors inflation) n’excède pas le taux de croissance de l’activité].

Parallèlement, les exonérations de cotisations sociales consenties aux entreprises ayant notamment recours aux heures sup ont coûté à la Sécu l’équivalent de son déficit.

Cette politique était censée faire rentrer les capitaux « égarés » et dynamiser la production (puisque l’impôt lui, est censé décourager les producteurs). Son échec sans appel prouve l’inanité de cette politique économique libérale de stimulation de l’offre.

5) La durée moyenne des emprunts publics et la manipulation alarmiste*

Les chiffres de la dette que nous avons mentionnés ci-dessus sont des chiffres arrêtés à un moment donné (fin d’année) mais l’encours de la dette peut varier au long de l’année en fonction des besoins de l’Etat compte tenu de ses rentrées et sorties d’argent, immédiates ou plus lointaines. Celui-ci peut emprunter plusieurs fois dans l’année et pour une durée variable de remboursement (de quelques mois à 4 ans ; 7, 10 et jusqu’à 50 ans pour les OAT = obligations assimilables du Trésor). A un instant donné, différents crédits se chevauchent qui ont des échéances de remboursement étalées dans le temps.

Si on considère l’encours de la dette fin 2011, la durée moyenne des différents crédits se monte à 7 ans et 1 mois (85 mois). Par conséquent, il est absurde de rapporter le montant de la dette, 1690 milliards, au PIB (production d’une seule année, environ 2000 milliards en 2011). En toute logique, il faudrait la rapporter à la production sur 7 ans et 1 mois, mettons pour simplifier et en supposant une croissance nulle : 14000 milliards €.

Alors au lieu de 85 %, le ratio dette/ production devient 1690/14000 = 12 % ! Pour les crédits des ménages on considère que le ratio dette/revenus peut aller sans souci jusqu’à 33 % !

Alors pourquoi certains donnent-ils dans le registre catastrophiste ? Pour inviter les travailleurs et les petites gens à se serrer la ceinture, à accepter sans rechigner les baisses de salaires et de prestations sociales qu’on leur prépare, tandis que les profits en seront gonflés d’autant ! La plus efficace des coercitions est bien celle qui est consentie par les victimes.

6) Le mode de financement de la dette publique

Jusque dans les années 70, le financement de la dette publique en France s’effectuait à taux d’intérêt quasi nul auprès de la banque de France, laquelle procédait à chaque occasion d’emprunt de l’Etat à une création de monnaie. Cette monnaie créée étant détruite lors du remboursement (quand il avait lieu).

A partir d’une certaine lecture de « l’équation des échanges » d’I. Fisher –qui n’est qu’une équivalence logique - les économistes libéraux prétendent que toute création monétaire est par nature inflationniste (théorie quantitative de la monnaie). Cette thèse a connu un regain de popularité dans les années 70 avec l’école de Chicago sous l’influence de Milton Friedman, inspirateur des politiques économiques de Reagan et Thatcher.

Or, ce processus inflationniste ne peut se manifester que si les capacités productives (main d’œuvre et capital technique) sont utilisées à plein. Et, il est clair que l’on est loin aujourd’hui d’un taux d’utilisation maximal de l’appareil productif.

Profitant des turbulences monétaires (inflation, effondrement du SMI, création du serpent monétaire européen), les pouvoirs en place en 1973, à savoir Giscard ministre des finances et le président Pompidou, ont fait voter une loi aux termes de laquelle la banque centrale n’aurait plus le droit de financer directement le Trésor Public. Dès lors, l’Etat devra se financer en quasi-totalité sur les marchés en émettant des obligations (bons du Trésor/ OAT).

Ce mode de financement a perduré dans le cadre de l’eurozone, avec une Banque Centrale Européenne (BCE) dont les statuts, calqués sur ceux de la Bundesbank empreints de dogmatisme monétaire, lui interdisaient de prêter directement aux Etats.

7) Qui détient les titres de la dette publique ?

Les marchés financiers désormais ne sont plus cloisonnés, la globalisation de la finance constitue même un trait caractéristique majeur de la mondialisation. En France, Bérégovoy, comme ministre des finances a beaucoup œuvré en ce sens dans les années 86-87 !

A l’heure actuelle, 70 % des titres négociables de la dette publique française sont détenus par des agents non résidents et 50 % sont détenus hors zone euro. La France est l’un des pays dont les créanciers sont les plus diversifiés. Cette situation nous distingue d’un pays comme le Japon par exemple dont la dette est beaucoup plus élevée (225 % du PIB) mais est détenue presque en totalité par des résidents japonais, de telle sorte que les finances publiques du Japon sont paradoxalement soumises à une contrainte moins importante, en termes de taux d’intérêt, de la part des marchés. En effet, l’épargne des ménages est abondante et se satisfait de cette sorte de placement à faible rendement (bien que les choses risquent de se compliquer après le tsunami et en raison du vieillissement démographique).

A l’instar des Japonais, les ménages français sont plus fourmis que cigales avec un taux d’épargne qui s’élève structurellement au-delà de 15 % du revenu, ce qui peut s’expliquer par la présence d’un état-providence fort, prenant en charge un large éventail de services publics ; et du même coup, on comprend mieux l’existence d’un déficit public chronique.

Du côté des Etats-Unis, au contraire, l’endettement des ménages accompagne l’énorme endettement public (15000 milliards $ soit 99,6 % PIB), alors même que l’état est quasi absent en matière sociale. En dépit de cette situation qui prive les E-U du triple A, le financement de cette dette ne paraît pas engendrer les mêmes difficultés qu’en Europe.

En effet, la Chine – pour combien de temps encore ? - tend à recycler ses excédents commerciaux dans l’acquisition de bons du trésor américain. Il est vrai que le dollar reste la monnaie de réserve par excellence et que la perte de confiance dans l’euro à la suite de la crise de la dette souveraine grecque ne chagrine pas tout le monde à Washington.

Pour autant cela n’aurait pas été suffisant sans l’intervention de la Fed (la banque centrale de l’état fédéral) qui, elle, a la possibilité de créer de la monnaie. Depuis la fin des années 80 et l’accession à sa tête de Greenspan et plus encore avec son successeur Ben Bernanke, la Fed ne s’en prive pas, notamment avec 2 plans dits d’assouplissement quantitatif (quantitative easing). La Fed est actuellement le premier créancier du Trésor US.

Si on s’intéresse à la nature des créanciers et non pas à leur nationalité, on voit qu’il s’agit essentiellement de banques et d’organismes financiers du type fonds de pension, sociétés d’assurance (dont assurance-vie) et fonds spéculatifs [hedge funds]. On vilipende habituellement la spéculation, mais il faut savoir qu’elle est indispensable au fonctionnement des marchés financiers pour leur conférer une certaine liquidité. Toutefois, il est clair que la mise en place de produits dérivés crée des effets de levier gigantesques qui entraînent la prise de risques démesurés (produits toxiques).

8) la question des dettes souveraines dans la zone Euro

C’est donc dans l’eurozone que la question de la dette publique prend une acuité particulière.

A la suite de la crise américaine des crédits immobiliers « subprimes », le système bancaire international s’est retrouvé au bord de la faillite et les états ont été appelés à la rescousse en ouvrant des lignes de crédits pharaoniques, appliquant l’adage cher au cœur des capitalistes : « les profits, c’est pour le privé ; les pertes c’est pour la société »

En se portant ainsi au secours des banques, les finances publiques se sont fragilisées, les dettes privées se métamorphosant en dettes publiques.

La défiance s’installe alors sur les marchés, les écarts de taux d’intérêt (spreads) s’accroissent entre les pays de la zone au détriment des pays les plus endettés et la spéculation s’engouffre dans la brèche (vente à découvert de titres dont on anticipe la baisse). La Grèce se retrouve vite en situation virtuelle de défaut de paiement avec un risque d’effet domino sur le Portugal, l’Espagne et l’Italie, donc un risque d’éclatement de toute la zone Euro.

Il aurait été facile de casser la spéculation dès le début du processus : il suffisait que la BCE achète elle-même immédiatement les titres grecs, causant des pertes sévères aux spéculateurs.

L’indépendance de la BCE vis-à-vis des pouvoirs politiques, ses statuts constitutifs et l’idéologie qui anime ses responsables lui ont interdit de le faire.

La troïka (UE, BCE et FMI, les Diafoirus de l’économie) a préféré utiliser les remèdes habituels : la purge imposée au peuple. Après 8 plans de rigueur successifs, la Grèce sombre dans une récession qui lui enlève tout espoir de pouvoir rembourser sa dette dans les délais impartis. Devant l’aggravation et l’élargissement du problème, la BCE a quelque peu assoupli sa position, sans toutefois intervenir de manière directe. On l’a vue, face au gel du marché interbancaire, prêter 500 milliards € à 1 % sur 3 ans aux banques privées dans l’espoir que celles-ci achètent des titres grecs à 18 % ou espagnols à 7 % ; or, ces banques ont préféré conserver ces liquidités en les replaçant auprès de la BCE même à 0,25 % ! Ubu pas mort !

9) défaut de paiement et CDS

Par ailleurs, un plan de restructuration de la dette grecque est encore en négociations.

La décote prévue de 50% sur la dette grecque a du mal à passer auprès des créanciers. Par conséquent, les risques de défaut de paiement pur et simple réapparaissent.

Sur ce point, deux clans s’affrontent. D’un côté, il y a ceux qui souhaitent que les créanciers prennent 142 milliards d’euros de pertes en serrant les dents ; de l’autre, ceux qui aimeraient pouvoir faire jouer les fameux CDS (credit default swaps), instruments dérivés censés justement les assurer contre un événement de crédit.

Pour que ces CDS ne soient pas actionnés et ne deviennent pas payables, il faut que les créanciers privés acceptent d’assumer les pertes en s’engageant à ne pas faire de déclaration de sinistre. C’est tout l’intérêt du clan des investisseurs privés émetteurs de CDS : Morgan Stanley, Goldman Sachs, Merrill Lynch, Barclays, Deutsche Bank, UBS et Crédit Suisse, Société Générale, BNP Paribas, Crédit Agricole, Natixis…

Dans l’autre clan, on trouve certaines banques prévoyantes, les assureurs (dans la mesure où ils n’ont pas trop d’actions bancaires dans leur portefeuille) et les fonds. On le voit, les choses ne sont pas simples ; avec les CDS, nous entrons dans le monde mystérieux du shadow banking et il est très difficile de savoir exactement qui possède quoi. (Que savez-vous de l’avenir de votre modeste assurance-vie ?)

En tout cas, une chose est certaine : les pays les plus exposés sont la France, la prétendue vertueuse Allemagne et la Belgique.

10) Sortir de l’impasse avec le Front de Gauche

Il faudra beaucoup plus que des mesures cosmétiques pour sortir de cette situation calamiteuse dans laquelle nous a plongés le libéralisme économique. Des mesures d’urgence s’imposent pour casser la dynamique suicidaire de l’austérité qui débouche immanquablement sur la récession voire la dépression économique réduisant encore un peu plus les recettes fiscales.

Avec le Front de Gauche au pouvoir, une partie de la dette, considérée comme illégitime, sera effacée dans les proportions qui seront fixées par un audit citoyen. Le reste devra être pris en charge par la Banque Centrale par le truchement de la création monétaire. Certes, il ne suffira pas de le demander à la BCE pour que celle-ci et Mme Merkel y consentent. Mais nous réquisitionnerons la Banque de France pour réaliser cette tâche, en contravention assumée avec le traité de Lisbonne.

A brève échéance, nous procéderons à la constitution d’un pôle public bancaire qui exercera un contrôle sur les mouvements de capitaux et les banques privées seront tenues de détenir des titres de la dette à taux fixé par l’Etat. L’épargne nationale sera réorientée vers le financement de l’économie nationale avec une gestion administrée des taux d’intérêt.

Mais éviter l’asphyxie monétaire ne suffit pas à régler tous les problèmes de l’économie réelle comme le montre l’insuffisance du quantitative easing américain pour relancer l’activité. Il sera nécessaire parallèlement de revenir sur le partage de la Valeur Ajoutée. Depuis le début des années 80, 10 points de PIB sont passés du travail vers le capital ; il s’agit au minimum de revenir à la situation antérieure.

Parce qu’au bout du compte, la crise des dettes souveraines n’est que le dernier avatar des crises récurrentes du capitalisme qui vont de bulle spéculative (internet en 2000) en bulle spéculative (immobilier, matières premières). Elle plonge ses racines dans une suraccumulation du capital. Qui pouvait croire qu’il était durablement possible d’assurer une rentabilité financière (ROE) de 15 % ou plus quand l’économie mondiale se développait à un rythme annuel de 4% ?

Le 21 /01/2012


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