Henri Martin, militant antifasciste et anticolonialiste

dimanche 22 février 2015.
 

A) Communiqué de l’ARAC (’Association Républicaine des Anciens Combattants) : Henri Martin : « une vie de lutte pour rester libre » !

L’ARAC vient d’apprendre avec une peine immense le décès de notre dirigeant Henri Martin.

« Ce combattant anticolonialiste vient de nous quitter. Né en 1927, d’un père ouvrier et républicain, ancien combattant de la guerre 14-18, Henri rentre comme apprenti à l’usine métalurgique de Rosières. A 17 ans, il choisit la lutte contre l’occupant hitlérien. Il participe aux opérations militaires des Francs-Tireurs et Partisans (FTP) du Cher.

Il s’engage dans la marine pour chasser l’occupant japonais d’Indochine. Très vite, il se rend compte avec ses camarades, qu’ils ont été trompés et que de la « guerre aux japonais » on est passé à la reconquête des colonies indochinoises.

Il est témoin avec l’équipage de son bâtiment des terribles bombardements d’Haïphong au cours duquel périrent 6.000 vietnamiens, hommes, femmes et enfants. Dès cet instant, il devient l’infatigable combattant anticolonialiste.

Comme il le rappelait souvent cette guerre d’Indochine était « contraire à l’intérêt de la France… Tant qu’elle ne cessera pas, je crierai qu’il faut l’arrêter et négocier… ». Arrêté en 1950, il est enfermé à la prison de Toulon. Un procès à charge est monté contre lui qui lui vaudront 41 mois de bagne.

Dès sa sortie, il réaffirme sa volonté « de combattre pour la paix en Indochine ». Fidèle ami du peuple vietnamien, il continuait à ses côtés, à lutter pour la reconnaissance du droit à réparation pour toutes les victimes de l’agent orange répandu par l’armée américaine.

En février 2013, dans sa dernière interview à notre journal « Le Réveil des Combattants », à la question : « Et si c’était à refaire ? », il a répondu : « Dans le siècle précédent, il y a eu deux grands événements positifs pour la France et la majorité de la population du globe. La défaite du fascisme hitlérien, avec en France la mise en place du programme de la Résistance. La décolonisation. J’ai eu la chance de vivre ces batailles décisives. Alors oui, si c’était à refaire, je referais le même chemin, je ne resterais pas sur le bas-côté de la route, je ferai mon devoir de citoyen ».

Villejuif le 17 Février 2015

B) L’affaire Henri Martin (mediapart)

1 - À la fois acte du colloque éponyme, recueil de témoignages et de documents, L’affaire Henri Martin et la lutte contre la guerre d’Indochine, réalisé sous la direction d’Alain Ruscio, éclaire un aspect peu étudié – d’une période de surcroît mal aimée – de l’histoire du siècle passé : la guerre dite « française » d’Indochine. Alain Ruscio, historien, spécialiste de ce conflit et du Parti communiste français (PCF) est à l’origine de la journée d’études qui a permis de réunir à Paris, en janvier 2004, quelques-uns des meilleurs spécialistes de la question en même temps qu’un bel éventail de témoins directs des événements, au premier rang desquels, Henri Martin lui-même. Le volume ainsi constitué, s’il regarde avec une grande bienveillance et fait une très (trop ?) large part aux « faits d’armes » communistes dans le cadre considéré n’en propose pas moins un tour d’horizon très complet d’une question encore assez largement en friche.2 - Relativement méconnue aujourd’hui, l’affaire Henri Martin a pourtant été, entre mars 1950 et août 1953, à l’origine de l’une des plus vastes campagnes de mobilisation de l’opinion de l’après-guerre. À tel point que, à son propos, on parla un temps d’« affaire Dreyfus de la IVe République » (p. 8). À l’origine, l’initiative de la mobilisation est essentiellement due au PCF et aux mouvements de masse associés – Secours populaire français et Union des jeunesses républicaines de France (UJRF) –, alors en campagne permanente contre la « sale guerre » (p. 49), selon l’expression d’abord employée par Hubert Beuve-Méry (Le Monde, 17/01/48), puis popularisée par L’Humanité. Plus tard, d’autres titres de la presse hexagonale, essentiellement d’inspiration chrétienne, ainsi qu’une large représentation des milieux intellectuels, rejoindront le mouvement pour la libération d’Henri Martin. Pourtant, une certaine défiance pour les arrière-pensées supposées du PCF demeurera toujours, constituant un frein à la constitution d’un véritable front populaire anti-guerre.

3 - Henri Martin, c’est ce « jeune marin au nom sentant bon la France profonde », comme l’indique Alain Ruscio (p. 12). Arrêté à la fin de l’hiver 1950 alors que, depuis son retour d’Indochine où il a effectué un séjour de deux ans, il milite pour la fin des hostilités. Il est accusé de « participation à une entreprise de démoralisation de l’armée ayant pour but de nuire à la défense nationale » (p. 24) et du sabotage d’un bâtiment de la Marine nationale, le Dixmude. Il sera condamné pour le premier de ces motifs à cinq ans de réclusion et à la dégradation militaire, en première instance puis en appel. Entre 1946 et 1954, bien d’autres que lui – communistes ou compagnons de route du PCF pour la plupart – se frotteront aux forces de l’ordre et même à la justice. Par exemple, Raymonde Dien – dont le parcours est également évoqué dans cet ouvrage (pp. 171-179) – est du nombre. Mais aucun autant qu’Henri Martin n’aura incarné la lutte contre la guerre d’Indochine, et cela pour plusieurs raisons. Alain Ruscio explique qu’« il est le seul à avoir connu aussi longtemps la prison » (p. 65), à savoir quarante et un mois. Mais, selon les critères du PCF, il est aussi « politiquement sûr » (p. 66), ce qui autorisera la mise en marche de la plus puissante machine de propagande de l’époque, celle du Parti. Enfin, il a tout simplement un « profil qui inspire la sympathie » (p. 66). Résistant, jeune, beau, il incarne à la perfection le héros positif si important dans le panthéon communiste. De plus, son parcours rappelle celui de l’un des leaders prestigieux du PCF de l’après-guerre, André Marty, lui-même au nombre des « anciens mutins de la Mer Noire » (p. 68) qui se rebellèrent contre l’autorité au lendemain de la Première Guerre mondiale. Celui-ci verra dans le jeune Henri Martin, jusqu’au moment de sa disgrâce à l’automne 1952, non seulement un exemple à promouvoir dans le cadre de la lutte contre la « sale guerre » mais aussi un point d’appui personnel, puisqu’il sert sa propre légende, constituant ainsi un atout majeur dans la lutte d’influence incessante qui agite alors la direction du Parti.

4 - Pour appréhender de la manière la plus large possible non seulement l’affaire elle-même, mais aussi son retentissement dans l’opinion, l’ouvrage dirigé par Alain Ruscio propose à la fois une description du contexte du début de la guerre d’Indochine, à travers les « quelques mois d’intenses contacts franco-vietnamiens qui laissaient augurer une ère de paix et de coopération » (p. 42), description due à l’historien Philippe Devillers, un récit chronologique de la genèse et des grandes étapes de l’affaire (p. 43) par Alain Ruscio, mais aussi le témoignage d’Henri Martin lui-même. Le témoignage de ce dernier permet d’éclairer de manière très privilégiée – de l’intérieur d’une certaine manière – le déroulement des événements, depuis l’arrestation du premier maître jusqu’à sa libération et même au-delà. Plus encore : la contribution d’Axelle Brodiez met en lumière la « double stratégie d’André Marty : Secours populaires français et comités “Henri Martin” » (p. 109) qui concerne la conduite de la campagne pour la libération du jeune marin. Dans son article, l’auteur expose notamment comment le PCF et André Marty décident délibérément de montrer comment ce « métallurgiste, fils de métallurgiste […], ce valeureux combattant de la Paix, fidèle à la plus pure lutte des métallos contre la guerre d’oppression, [est un] digne continuateur des marins de la Mer Noire » (La Défense, 08/50 : p. 112). Celle-ci montre également quelle stratégie déploie le PCF pour mobiliser le plus largement possible l’opinion française, « sans trop laisser l’impression de défendre un communiste sous l’uniforme et non le résistant et le patriote » (p. 115). Souci qui sera constant jusqu’à l’automne 1953. En effet, dans un contexte de marginalisation croissante du PCF, la Guerre Froide ayant débuté, la mobilisation s’avère indispensable.

5 - Une autre dimension incontournable de l’affaire est examinée par Anne Mathieu. Il s’agit de l’engagement de l’intelligentsia et d’abord de Jean-Paul Sartre dont l’influence, alors à son zénith, ne sera pas pour rien dans le retentissement de la campagne. Compagnon de route du PCF, le philosophe se révélera un formidable catalyseur de l’indignation populaire, en même temps qu’un fédérateur de l’indignation intellectuelle. Dans L’affaire Henri Martin(Paris, Gallimard, 1953), les contributions sont loin d’être toutes le fait de communistes. Ainsi Hervé Bazin, Louis de Villefosse ou Marc Beigbeder figurent-ils dans la liste. Les commentaires que Jean-Paul Sartre livre dans ce volume annoncent, tant par leur nature que par leur véhémence, les prises de positions qu’il réitérera à de nombreuses reprises au moment de la guerre d’Algérie : « À présent, il faut choisir. Ou dénoncer l’arbitraire ou nous en faire les complices », explique-t-il (p. 154). Cette « « complicité », sœur du silence » (p. 155) est l’une de ses cibles privilégiées.

6 - Quant à Sabine Rousseau, elle offre au présent ouvrage une double contribution, étudiant à la fois l’engagement de chrétiens dans l’affaire Henri Martin ainsi que l’analyse d’un autre dossier, plus méconnu encore : l’affaire Jeanne Bergé. Se référant à une livraison d’Esprit (janv. 52, pp. 58-63), elle raconte que : « C’est en janvier 1952, un an et demi après le lancement de la campagne par le parti communiste, que des intellectuels chrétiens prennent la plume en faveur de la libération d’Henri Martin » (p. 159). Un retard qu’elle explique par « le fait que l’affaire Henri Martin était l’objet d’une campagne orchestrée par le parti communiste » (p. 162), d’où une certaine défiance. Un paramètre qui n’a pourtant pas empêché une participation très active de cette composante de l’opinion à travers Esprit, mais aussi Témoignage chrétien, Christianisme social, etc. L’auteur rappelle également que c’est bien Témoignage chrétien qui, dès 1949, révélera « les tortures commises par les Français en Indochine » (p. 160). Une alerte qui, durant la Guerre d’Algérie, sera d’ailleurs une nouvelle fois donnée à la suite du témoignage d’un jeune militant chrétien, Jean Müller. Sur l’affaire Jeanne Bergé, Sabine Rousseau apporte un éclairage qui permet de nuancer les différents niveaux d’engagement contre la guerre d’Indochine. Employée des PTT à Saïgon, Jeanne Bergé est une héroïne un peu moins « présentable » que n’a pu l’être Henri Martin. Malgré un profil séduisant, la jeune mère de famille se voit reprocher un peu plus que des actes de militantisme. En effet, c’est pour trahison – elle appartiendrait à un réseau de collaboration avec le Viet Minh et serait en contact avec Georges Boudarel – qu’elle sera jugée est condamnée en décembre 1951. Et malgré plusieurs déclarations d’intention (p. 180), « il n’y a pas eu réellement de mobilisation massive des militants et sympathisants communistes » à son propos (p. 182).

7 - Une série de témoignages complète L’affaire Henri Martin et la lutte contre la guerre d’Indochine. Ils évoquent notamment la tournée à succès de la troupe théâtrale des Pavés de Paris qui contribua à populariser la cause d’Henri Martin. Partout en France, et dans des conditions souvent rocambolesques, les représentations de Drame à Toulon constitueront une expérience unique de théâtre politique et démontreront combien cette forme d’expression peut s’avérer « nuisible pour le pouvoir », explique Jacques Mignot qui participa à l’aventure (p. 187). Roland Weyl, avocat du Secours populaire français au début des années 50, explique pour sa part comment se déroula l’affaire sur le plan judiciaire. À leur tour, Paul Fromonteil, militant de l’URJF, ou Jean Marrane, officier démissionnaire par refus de cautionner un conflit jugé inique, apportent un éclairage personnel. À noter enfin, parmi les documents qui figurent à la fin de l’ouvrage, l’ordonnance de non-lieu rendue à Bordeaux en 1957, dans le cadre d’une nouvelle « affaire Henri Martin », celui-ci ayant été arrêté pour son action militante contre la guerre d’Algérie. Non sans humour, Henri Martin apporte ce témoignage : « Le gouvernement a dû se souvenir de la campagne de masse de 1950 à 1953 et cela l’avait rendu plus prudent » (p. 30).

Gérard Despretz

Alain Ruscio, dir., L’affaire Henri Martin et la lutte contre la guerre d’Indochine

Paris, Éd. Le Temps des Cerises, 2005, 240 p.

Hervé Boggio

p. 449-451


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