Coup de bâton sur les sondages afin d’en désinfecter l’esprit public

jeudi 24 novembre 2011.
 

On connaît la puissance d’injonction normative de ces productions. Elles façonnent l’opinion, nul ne peut le nier. C’est pourquoi il est important à chaque étape d’en désinfecter l’esprit public. Et d’abord de nos propres amis et même des ennemis intimes qui en font des arguments de raisonnements. Les sondages ne sont pas une science mais une affabulation à vocation auto-réalisatrice. Cela vient encore une fois d’être prouvé à l’occasion des primaires socialistes. L’amusant de l’affaire est que les sondeurs prétendent cette fois ci « ne pas s’être trompés ». Un comble. Selon les directeurs des instituts de sondage, il serait « malhonnête intellectuellement » de dénoncer une fois de plus leur activités. Brice Teinturier dirigeant d’« Ipsos » va plus loin. Invité lundi matin 10 octobre de Patrick Cohen sur « France Inter » il nous fait la leçon avec une bonhommie tranquille qui est l’élégance de ceux qui se sentent inexpugnables : « C’est un reflexe pavlovien, de dire que les sondages se trompent. Les sondages ont bien fonctionné. Dieu sait si nous avons été prudents. Les enquêtes ont dit que les deux qualifiés seraient Hollande et Aubry. Et que l’écart serait fort. L’écart entre Hollande et Aubry n’est pas serré. La montée en puissance de Montebourg a été pointée. La seule petite correction, c’est l’effondrement de Royal que nous n’avons pas mesuré. ». Ce que Dieu sait selon Brice Teinturier, nous n’avons pas le moyen de le savoir car nous avons vu tout autre chose. Amis pavloviens, bonjour !

Les chiffres des sondages concernant les positions respectives des candidats tout au long de cette campagne interne du PS ne sont pas vraiment réalisés le jour du vote. Certes Hollande a toujours été donné favori. D’ailleurs ça l’a bien aidé à l’être ! Après l’évaporation de DSK, le miracle sondagier qui lui a permis d’endosser au mois de mai, en cinq petits jours, la position de favori, n’a pas été démenti. Mais, par contre, l’écart annoncé entre Hollande et Aubry a très largement fluctué. Selon les instituts, selon les périodes, selon les échantillons, selon que l’on a testé "les sympathisants de gauche" ou "les certains d’y aller", l’écart en faveur de Hollande avec Aubry va de +7% à +25% . Ces écarts ont été mesurés entre le 18 septembre et le 6 octobre 2011. Pour BVA le 18 septembre, c’est Hollande à 44%, Aubry à 28%. Pour CSA deux jours plus tard, c’est Hollande à 34%, Aubry à 27%. Pour l’Ifop le 30 septembre, Hollande 51%, Aubry 26%. Pour Opinion Way le 6 octobre, Hollande 49%, Aubry 24%. Pour Harris interactive, Hollande 50%, Aubry 28%. Certains sondeurs ont donc vu Hollande désigné candidat socialiste dès le premier tour ! Le résultat final donne Hollande 39%, Aubry 31%. Les faits s’avèrent donc plus prêts de Pavlov que de Dieu.

Prenons maintenant le cas de Montebourg. Ça nous concerne. Il termine à 17%. Qui l’a annoncé ? Personne. Les entreprises sondagières ont-elles noté son ascension fulgurante ? Non. Pas du tout. Montebourg a été « vu » chez « les sympathisants socialistes » à 5% par l’Ifop le 30 septembre, à 7% par Opinion Way le 6 octobre, et à 8% par Harris Interactive le 6 octobre. Le score de 17% n’a donc été « vu » par aucune officine. Les sondeurs se défendent en disant qu’ils avaient noté la possibilité pour Montebourg de dépasser Royal dans les derniers jours de la campagne. Brillant subterfuge ! Car ce n’est pas le sujet ! La question est celle du niveau auquel ils ont déclaré trouver son score. Car si avait été annoncé le bon niveau et la vraie percée, un nombre plus important de gens aurait alors décidé de l’aider par leur vote. Au contraire, pensant « voter utile à gauche », nombre ont préféré voter Aubry. De sorte qu’eut lieu un second tour dans lequel ne se reconnaissait plus autant la mouvance de gauche du PS qui s’est alors abstenue. Et au même moment se mobilisaient au contraire, pour les mêmes raisons de « vote utile » de nouveaux électeurs pour Hollande. Tout ceci n’est pas du tout un jeu sans conséquences dont les électeurs seraient pour finir les seuls juges. C’est au contraire une composante essentielle des événements. De tout cela tirons une leçon. Les sondeurs ne donnent pas des gagnants certains mais ils fabriquent des perdants probables. Et cela de la façon la plus simple qui soit : ils orientent vers un « vote utile », réflexe pavlovien s’il en est un puisqu’il est dénué de toute conviction construite. Il est totalement aveugle sur toute réalité politique autre que la logique du PMU : il faut jouer gagnant ou placé !

Pour finir de dire les faits, voyons à présent les prévisions sur la participation aux primaires. Encore une fois, nous, les pavloviens, nous découvrons un plantage de belle ampleur. Car beaucoup de chiffres annonçaient une participation record. Un sondage « Ifop » pour le « JDD » du 11 septembre avançait que « 23% des français » iront voter « certainement » ou « probablement » à la primaire PS. L’échantillon sondé était de 967 personnes, âgées de 18 ans et plus, choisies selon la méthode des quotas. « 23% des français » en âge de voter, cela fait 10 millions de français. Un sondage « Ipsos-Logica Business Consulting pour Le Monde-France Inter-France Info-France 2-France 3 », réalisé par téléphone du 16 au 22 août auprès de 3.677 personnes constituant un échantillon représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus, donnait lui près de 4 millions de personnes « susceptibles » de se déplacer. Pendant que les sondages annonçaient des chiffres compris entre 4 et 10 millions de personnes, le PS affirmait qu’au-delà du million ce serait un succès. Au final 2,66 millions de personnes se sont déplacées au premier tour et 2 ,86 millions au second tour. Cela représente 6,5% des français inscrits sur les listes électorales. Le record est de 14% dans le seul cas de Paris. Où sont passés les 23 % annoncés ?

« Les Français préfèrent… », « les Français se déplaceront pour voter… », « les Français pensent… », « les Français veulent… », etc. Mais combien sont-ils ces Français dont l’opinion permet de donner des résultats qui font ensuite la une des journaux ? Denis Pingaud, vice-président d’« Opinion Way », est catégorique : « Les instituts interrogent plusieurs milliers de personnes et selon les cas travaillent sur des populations de 800 à 1300 sympathisants de gauche ». L’Observatoire des sondages donne d’autres renseignements. Les effectifs des personnes sondées ont été particulièrement faibles pour la « primaire 2012 » du PS. L’Observatoire des sondages note que plusieurs instituts (Ipsos, CSA, Harris et Ifop dans certains cas) ne révèlent pas le nombre des « sympathisants socialistes » dans les panels interrogés. Quand ils existent, les chiffrent oscillent entre 200 et 800 « sympathisants socialistes » interrogés. Pareil pour le panel des sondés « certains d’aller voter » au premier tour. Un sondage « Ipsos » du 29 septembre pour « Le Monde » a réussi à en dénicher 574. Mais le sondage « Opinion Way » du 6 octobre pour « Le Figaro » n’en trouve que 293 qui répondent. C’est bien maigre. La motivation manquait pour répondre ? En tous cas voici le type de proposition que les sondeurs font pour attirer les sondés : « En répondant à cette étude vous pouvez soit recevoir 20 Maximiles qui seront ajoutés à votre compte d’ici deux semaines, soit choisir l’une de nos trois associations partenaires à laquelle nous versons 1,50 euro ». Quelles dépenses ! Mais n’ayons pas de soucis pour l’équilibre budgétaire des entreprises de sondages. La « primaire 2012 » du PS leur a permis de bien travailler. Depuis le 22 août jusqu’au 6 octobre, trois jours avant le vote du premier tour, on ne dénombre pas moins de treize sondages. Pendant les quinze derniers jours précédant le vote, on compte un sondage publié tous les deux jours. Tous les instituts ont reçu des commandes : « Opinion way », « Harris interactive », « Ifop », « Ipsos », « CSA », « BVA », « Via Voice ». Quand on connaît le coût facturé par ces instituts, 1000 euros pour une seule question « omnibus », des dizaines de milliers d’euros pour des études « qualitatives », cela fait beaucoup d’argent déboursé par les médias qui les publient. Mais ça fait quand même bien moins que s’il avait fallu consacrer le même temps d’antenne à des reportages ou des créations ! Bref une bonne affaire pour le business en général.


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