De la tactique néo-nazie du "loup solitaire" au tueur norvégien Anders Behring Breivik

dimanche 21 août 2011.
 

Entretien avec Nicolas Lebourg, chercheur à l’université de Perpignan, spécialiste de l’extrême droite et de la violence politique

Au vu des premiers éléments de l’enquête sur la tuerie d’Oslo, on a l’impression que le cas Anders Behring Breivik relève de l’imaginaire du « Lone wolf », ou« loup solitaire », diffusé et élevé au rang de mythe par l’extrême droite radicale américaine. Quelle est l’origine du « Lone wolf » ?

La tactique du « Lone Wolf » a été inventée par l’Américain Joseph Tommasi en 1974, lorsqu’il fonde le groupuscule National Socialist Liberation Front Avec le « Lone Wolf », Tommasi veut transformer la faiblesse des néo-nazis en force. Puisque il n’existe aucun soutien populaire à l’extrême droite radicale, puisque le gouvernement étasunien n’est qu’un leurre derrière lequel se tient ZOG, le « Zionist Occupation Government » (le Gouvernement d’Occupation Sioniste), puisque tout militant d’extrême droite est peut-être un espion du gouvernement ou un agent sioniste, alors il faut passer à un terrorisme individuel. Aucun risque de fuite ou de trahison : on agit seul, chacun se charge solitairement de mener une action terroriste. Tommasi est lui-même assassiné en 1975. La mé-thodologie n’essaime qu’à compter des années 1980.

L’explosif utilisé, le mélange nitrate-fioul, appartient aussi à cette culture, non ?

C’est un classique terroriste inventé aux Etats-Unis en 1970. Une voiture piégée avec un mélange de nitrate d’ammonium, un engrais agricole facile à se procurer, et du fioul : pour un « Lone wolf », c’est une méthode simple et idéale. Ainsi c’est quasiment le mode opératoire de l’attentat d’Oklahoma City en 1995. Cet attentat est inspiré des Turner diaries, ( les Carnets de Turner, ouvrage interdit en France) la bible du terrorisme néo-nazi publiée par William Pierce, cofondateur avec Tommasi du National Socialist White People’s Party en 1969. A Oklahoma City, un véhicule piégé nitrate-carburant a fait un bilan de 108 morts, des blessés sur 800 mètres, plus de 300 bâtiments endommagés. On obtient donc des résultats quasi-militaires sans même disposer d’appareil logistique extérieur ou de réseaux clandestins de fourniture d’explosif.

Y a-t-il un changement de nature de la violence politique d’inspiration d’extrême droite en France et en Europe ?

En France, à la fin de la guerre d’Algérie, l’OAS a été fortement productrice d’attentats, mais il y avait des forces de modération en son sein. Ainsi, quand un cadre de l’OAS-Métro proposa que l’on incendie les parkings, mitraille les passants, lance des grenades dans les lieux de rassemblement, les autres lui signifièrent que ces moyens n’étaient pas appropriés. Après 1968, on a une grande période d’activisme, avec des affrontements de rue contre les gauchistes, qui dure jusqu’à la dissolution d’Ordre Nouveau en 1973. Là, privés de débouchés politiques, un certain nombre d’activistes deviennent des soldats perdus, passent de l’affrontement ritualisé entre extrémistes à des actes terroristes racistes.> On a ensuite des cas de violence raciste individuels ou par « bandes ». Dans tous les cas, du terrorisme post-1973 aux actions de type ratonnade, on voit bien que ce n’est pas l’Etat ou un groupe politique qui est désormais visé. La violence est au sein même de la société, contre des populations d’origine immigrée avant tout. Et depuis quelques années, on voit poindre des petits groupes qui veulent détruire des symboles de « l’islamisation » de l’Europe, comme les mosquées.

Depuis les années 1990, l’extrême droite radicale européenne a connu, par le fait d’internet, une grande influence de l’américaine. Les Turner Diaries ont été traduits et librement diffusés, le thème de « ZOG » contre lequel il faudrait entrer en « Résistance », est devenu classique. Maxime Brunerie, « lone wolf » malheureux, avait justifié sa tentative d’assassinat du Président Chirac par le fait que celui-ci aurait été un agent de « ZOG ». L’importance du thème islamophobe aux Etats-Unis après le 11 septembre a donc ensuite compté et est venu s’hybrider à des éléments antérieurs. Dans le manifeste attribué à notre terroriste norvégien il évoque d’ailleurs cette « Résistance » à opposer à l’islam…[…]

Ces thèmes ont eu un grand succès public – alors qu’aucun historien n’admet cette assimilation polémique, l’islamisme est un phénomène très différent des fascismes.

Le discours du terroriste norvégien faisant porter la responsabilité de « l’islamisation de l’Europe » à la gauche n’est pas très éloigné de ce que l’on a pu parfois entendre en France. Dans les années 1970, de manière marginale, Ordre Nouveau et le Front National assuraient que la gauche soutenait l’immigration pour y trouver une armée de réserve révolutionnaire. Depuis quelques années, la galaxie arabophobe et les soutiens ultra de la droite israélienne ont développé un discours d’assimilation des populations européennes d’origine arabe à l’islamisme, de celui-ci aux fascismes (« les nazislamistes »), et de la gauche aux « collabos

On a vu apparaître le mythe d’« Eurabia », une sorte de pendant islamophobe au mythe antisémite des Protocoles des Sages de Sion. Ce conspirationnisme et cette altérophobie se sont d’autant plus facilement répandus qu’il s’agit ici de se positionner comme un « résistant » contre un « fascisme » et une « occupation ». On dépasse là très amplement l’espace de l’extrême droite radicale, c’est un discours porté par des intellectuels, des élus, etc. L’islamophobie est à la fois une idéologie consensuelle, de masse, et un mythe mobilisateur apte à entraîner des « loups solitaires » radicaux.


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