Amérique latine  : les peuples gagneront-ils  ? (Par Jean Ortiz, universitaire)

samedi 9 juillet 2011.
 

Les États-Unis perdent du terrain mais 
la bataille de classe est de plus en plus dure

Au cours de nos nombreux débats sur la situation en Amérique latine, nous sommes confrontés à une sorte d’euphorie sur les changements en cours, d’autant plus grande que la situation européenne paraît dépourvue de perspectives…

S’il est vrai que les États-Unis continuent à perdre du terrain en Amérique du Sud, et que les peuples gagnent en souveraineté, en « inclusion sociale », la bataille de classe fait rage pour préserver les structures d’exploitation et de domination. Dans plusieurs pays, les sociétés sont engagées dans des tentatives de changements radicaux, autochtones, contraintes à inventer une diversité de réponses, face à la salutaire absence de « modèle ». Aucun des processus en cours n’est irréversible, même si les bilans sociaux au Venezuela, au Brésil, en Équateur, en Bolivie, à Cuba, en Uruguay, etc., sont indiscutables.

Au Brésil, où 20 millions d’habitants sont sortis de la pauvreté en dix ans, la présidente Vilma Roussef vient de lancer un « plan Brésil » pour « éradiquer la pauvreté extrême ». Certes, il ne s’agit que d’une meilleure redistribution, sans rupture avec le modèle néolibéral, mais dans les favelas, cela peut changer la vie.

Au Venezuela, en Bolivie ..., des progrès considérables ont rendu quasiment la santé et l’éducation gratuites, et accessibles au plus grand nombre. En Colombie, à la surprise générale, le nouveau président, Juan Manuel Santos, a rompu avec l’uribisme  ; le Parlement vient d’approuver une « loi de victimes et de restitution des terres » destinée aux 4 millions de personnes (10 % de la population) déplacées majoritairement par la violence des paramilitaires et des grands propriétaires. Bien qu’elle soit contestée (approuvée sans consultation des victimes, ni des partis d’opposition), assiste-t-on là à un premier pas vers une issue politique au plus ancien conflit d’Amérique latine  ?

Après un accord à Cartagena (Colombie), supervisé par le Venezuela et la Colombie, le président hondurien Manuel Zelaya, renversé par un coup d’État, en juin 2009, est rentré au pays le 25 mai 2011, et demande avec le Front national de résistance populaire une Assemblée constituante. Du coup, l’extrême droite accuse le président issu d’élections illégitimes, Porfirio Lobo, de « collusion avec Chavez ».

Dans le même temps, l’administration Obama construit une contre-offensive marketing, politique et idéologique  : l’ennemi à abattre reste Chavez. Le Comité des relations extérieures de la Chambre des représentants des États-Unis a demandé, le 25 juin dernier, au gouvernement des « actions plus agressives contre Chavez ». Le 24 mai, la Maison-Blanche avait décrété des sanctions contre PDVSA, compagnie pétrolière d’État vénézuélienne.

Si la révolution bolivarienne continue d’être un espoir, une certaine usure apparaît  : la droite parasite l’appareil d’État, elle est désormais retournée au Parlement, et cherche à consolider une unité qui lui a fait défaut jusqu’ici. L’objectif est de battre Chavez à l’élection présidentielle de 2012. Des erreurs dommageables (expulsion le 23 avril 2011 en Colombie d’un journaliste d’origine colombienne et naturalisé suédois, accusé sans fondement par le président colombien d’être un « activiste des Farc »), ainsi que les effets de la crise économique, l’inflation, la corruption, l’insécurité, pèsent négativement.

Les processus politiques restent donc fragiles. À Cuba, la mise en place d’un nouveau modèle d’économie mixte, la sortie d’un système excessivement étatique et bureaucratisé, font que, cette année 500 000 travailleurs de tous les secteurs de l’État, jusqu’ici unique employeur, vont se recycler dans des PME, des coopératives, des petits métiers, etc. Cette « réinvention » de la révolution ne se fera sans doute pas sans difficultés, et suscite des inquiétudes chez ceux qui, attachés au modèle en vigueur, craignent le surgissement d’inégalités. Mais Raul Castro n’a-t-il pas affirmé en décembre 2010  : « Ou nous rectifions nos erreurs, ou nous périssons. »

La récente victoire de Ollanta Humala au Pérou, lors de « l’élection de la peur », permet de consolider un rapport de forces progressiste et une recherche d’intégration continentale, auxquels les États-Unis ne se résolvent pas.

Jean Ortiz

Tribune libre publiée dans L’Humanité le 3 juillet


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