Victor Hugo grand père "Si j’étais Dieu"

vendredi 22 avril 2011.
 

Tout pardonner c’est trop, tout donner, c’est beaucoup !

Eh bien, je donne tout et je pardonne tout

Aux petits ; et votre oeil sévère me contemple.

Toute cette clémence est de mauvais exemple.

Faire de l’amnistie en chambre est périlleux.

Absoudre des forfaits commis par des yeux bleus

Et par des doigts vermeils et purs, c’est effroyable.

Si cela devenait contagieux, que diable !

Il faut un peu songer à la société.

La férocité sied à la paternité ;

Le sceptre doit avoir la trique pour compagne ;

L’idéal, c’est un Louvre appuyé sur un bagne ;

Le bien doit être fait par une main de fer.

Quoi ! si vous étiez Dieu, vous n’auriez pas d’enfer ?

Presque pas. Vous croyez que je serais bien aise

De voir mes enfants cuire au fond d’une fournaise ?

Eh bien ! non. Ma foi non ! J’en fais mea-culpa ;

Plutôt que Sabaoth je serais Grand-papa.

Plus de religion alors ? Comme vous dites.

Plus de société ? Retour aux troglodytes,

Aux sauvages, aux gens vêtus de peaux de loups ?

Non, retour au vrai Dieu, distinct du Dieu jaloux,

Retour à la sublime innocence première,

Retour à la raison, retour à la lumière !

Alors vous êtes fou, grand-père. J’y consens.

Tenez, messieurs les forts et messieurs les puissants,

Défiez-vous de moi, je manque de vengeance.

Qui suis-je ? Le premier venu, plein d’indulgence,

Préférant la jeune aube à l’hiver pluvieux,

Homme ayant fait des lois, mais repentant et vieux,

Qui blâme quelquefois mais qui jamais ne damne,

Autorité foulée aux petits pieds de Jeanne,

Pas sûr de tout savoir, en doutant même un peu,

Toujours tenté d’offrir aux gens sans feu ni lieu

Un coin du toit, un coin du foyer, moins sévère

Aux péchés qu’on honnit qu’aux forfaits qu’on révère,

Capable d’avouer les êtres sans aveu.

Ah ! ne m’élevez pas au grade de bon Dieu !

Voyez-vous, je ferais toutes sortes de choses

Bizarres ; je rirais ; j’aurais pitié des roses,

Des femmes, des vaincus, des faibles, des tremblants ;

Mes rayons seraient doux comme des cheveux blancs ;

J’aurais un arrosoir assez vaste pour faire

Naître des millions de fleurs dans toute sphère,

Partout, et pour éteindre au loin le triste enfer ;

Lorsque je donnerais un ordre, il serait clair ;

Je cacherais le cerf aux chiens flairant sa piste ;

Qu’un tyran pût jamais se nommer mon copiste,

Je ne le voudrais pas ; je dirais : Joie à tous !

Mes miracles seraient ceci : - Les hommes doux. -

Jamais de guerre. - Aucun fléau. - Pas de déluge. -

- Un croyant dans le prêtre, un juste dans le juge. -

Je serais bien coiffé de brouillard, étant Dieu,

C’est convenable ; mais je me fâcherais peu,

Et je ne mettrais point de travers mon nuage

Pour un petit enfant qui ne serait pas sage ;

Quand j’offrirais le ciel à vous, fils de Japhet,

On verrait que je sais comment le ciel est fait ;

Je n’annoncerais point que les nocturnes toiles

Laisseraient pêle-mêle un jour choir les étoiles,

Parce que j’aurais peur, si je vous disais ça,

De voir Newton pousser du coude Spinoza ;

Je ferais à Veuillot le tour épouvantable

D’inviter Jésus-Christ et Voltaire à ma table,

Et de faire verser mon meilleur vin, hélas,

Par l’ami de Lazare à l’ami de Calas ;

J’aurais dans mon éden, jardin à large porte,

Un doux water-closet mystérieux, de sorte

Qu’on puisse au paradis mettre le Syllabus ;

Je dirais aux rois : Rois, vous êtes des abus,

Disparaissez. J’irais, clignant de la paupière,

Rendre aux pauvres leurs sous sans le dire à Saint-Pierre,

Et, sournois, je ferais des trous dans son panier

Sous l’énorme tas d’or qu’il nomme son denier ;

Je dirais à l’abbé Dupaloup : moins de zéle !

Vous voulez à la vierge ajouter la Pucelle,

C’est cumuler, monsieur l’évêque ; apaisez-vous.

Un Jéhovah trouvant que le peuple à genoux

Ne vaut pas l’homme droit et debout, tête haute,

Ce serait moi. J’aurais un pardon pour la faute,

Mais je dirais : Tâchez de rester innocents.

Et je demanderais aux prêtres, non l’encens,

Mais la vertu. J’aurais de la raison. En somme,

Si j’étais le bon Dieu, je serais un bon homme.

Victor Hugo, L’art d’être Grand-père


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