Alliances à gauche : Essayer de construire une alternative politique au présent (réponse à Serge Goudard)

lundi 14 juin 2021.
 

Ce 7 mai 2010, notre site a mis en ligne un article de Serge Goudard, adhérent PG à Lyon, intitulé Fronts populaires d’hier et de demain : une contrefaçon de l’unité véritable. Il pose la question de la stratégie suivie par le PG et les autres partis de gauche maintenant et d’ici 2012. Il introduit un débat sur le bilan des expériences gouvernementales du mouvement socialiste mondial. Globalement, il touche à la question centrale : est-il possible de construire une unité politique et sociale autre que seulement électoraliste pour répondre aux revendications et aspirations et avancer vers le socialisme ?

Politiquement, ce texte est dense, construit et cohérent. En tant que responsable de la rédaction du site, je n’ai donc pas hésité à le mettre en ligne.

Cependant, plusieurs points me paraissent discutables : sur le bilan des expériences caractérisées comme des Fronts Populaires, sur le bilan particulier de l’Union de la Gauche de 1974 à 1983, sur l’analyse sous-jacente du PCF, sur la déclinaison aujourd’hui d’une orientation de Front unique, sur nos perspectives politiques dans le contexte présent.

Je vais me limiter ci-dessous à donner mon avis sur cette dernière question des perspectives politiques.

Jacques Serieys le 2 juillet 2010

1) Je ne crois pas que le PCF va simplement participer à une nouvelle Gauche plurielle

Dans sa première partie, Serge Goudard considère que la rencontre de "Trois patronnes dans un bistrot" (Aubry, Duflot, Buffet) acte un retour du PCF dans une alliance électorale de gauche traditionnelle avec Europe Ecologie et les radicaux sous hégémonie du Parti Socialiste.

Aux élections européennes de 2009 puis aux régionales 2010, le PCF a représenté la principale force du Front de Gauche, en alliance essentiellement avec le Parti de Gauche et Gauche Unitaire. Va-t-il changer aujourd’hui de stratégie et entrer principalement dans un projet gouvernemental politicien aux côtés du Parti Socialiste ? D’ici 2012, je ne le pense pas :

- principalement parce que le poids électoral du PS est affaibli

- parce que la social-démocratie mondiale comme le PS sont beaucoup plus intégrés dans l’Europe et la mondialisation capitaliste

- parce que la période politique est dans une phase de montée lente et incertaine mais de montée d’où des aspirations populaires et même une expérience politique populaire que la direction nationale du PCF ne peut refuser de prendre en compte

Le PCF joue son avenir à assez court terme, dans son implantation sociale comme dans sa force au sein des collectivités publiques.

Son réseau de cadres organisateurs de la classe ouvrière se voit confronté à l’offensive anti-ouvrière de Sarkozy. Il ne s’agit pas fondamentalement d’un groupe de l’aristocratie ouvrière profitant des prébendes des riches ; il a pris de plein fouet les reculs du salariat précarisé par le capitalisme financier transnational. Sa formation "de classe" rejoint son vécu pour vilipender le capitalisme et souhaiter une alternative. Il ne pourrait accepter de travailler dès le premier tour pour une arrivée de Strauss Kahn, Aubry ou Royal au pouvoir tant ces candidats putatifs sont éloignés de leurs aspirations et de leur conception du monde.

Le réseau de cadres départementaux du PCF est beaucoup plus formé sur une base anticapitaliste que celui du Parti Socialiste. Lui aussi n’est pas prêt majoritairement à renier son identité pour une alliance électoraliste d’autant plus qu’aucune échéance électorale ne le justifie d’ici 2012.

Le réseau d’élus du PCF se trouve également menacé. L’affaiblissement des résultats de leur parti lors des élections nationales les menace directement. Surtout, le Parti Socialiste s’oriente depuis plusieurs années vers un changement de stratégie et d’alliances, passant de l’union prioritaire avec le PCF à l’alliance prioritaire avec Europe Ecologie et plus à droite si l’occasion se présente. Dans ces conditions, les grands élus communistes peuvent choisir soit une liquidation du parti au profit d’une alliance de gauche à l’italienne soit l’établissement d’un rapport de forces électoral du Front de Gauche pour justifier des places aux sénatoriales, cantonales et surtout municipales. Je crois qu’une majorité d’élus choisit aujourd’hui la seconde perspective, d’autant plus que les résultats du Front de gauche aux européennes et régionales représentent un encouragement en ce sens.

Quand j’avance l’hypothèse que les élus PCF préfèreront majoritairement une campagne Front de Gauche pour les présidentielles 2012 afin de créer un rapport de forces correct dans la perspective de négociations avec le Parti Socialiste pour les municipales, je subodore évidemment une stratégie Union de la gauche de ceux-ci prioritairement lors des municipales. Je ne peux et ne veux dans l’immédiat aller plus loin dans la réflexion, trop d’aléas peuvent intervenir d’ici là dont le poids des autres forces du Front de Gauche.

2) Quelle formule de gouvernement pour 2012 ?

Le Parti de Gauche comme Jean-Luc Mélenchon avançons "Gouvernement du Front de Gauche", c’est à dire gouvernement de gauche sous hégémonie électorale et programmatique des forces anticapitalistes.

J’analyse cette orientation comme une grande avancée par rapport au slogan Nouveau Front Populaire.

Considérant que le PCF travaille déjà dans le cadre d’une alliance avec le PS, EE et le PRG, Serge Goudard signale en passant la formule Gouvernement du Front de Gauche, comme s’il s’agissait d’une formulation sans fondement et sans avenir. Je crois qu’il se trompe.

J’ai essayé d’expliquer dans la première partie ci-dessus pourquoi le PCF n’a pas intérêt a servir seulement de marche-pied au PS.

Le Parti de Gauche n’y a pas intérêt non plus pour plusieurs raisons :

- Si la majorité de ses dirigeants avaient voulu protéger leurs strapontins et préparer une nouvelle Gauche plurielle électoraliste pour 2012, ils ne seraient pas sortis du PS.

- La période politique internationale et nationale me paraît marquée par une combativité significative, une aspiration significative à une alternative anticapitaliste ; c’est cette combativité qui peut permettre au Parti de Gauche de se construire malgré un champ politique déjà encombré.

- L’avenir du PG passe dans l’immédiat, plus par cette osmose avec les forces intéressées à une alternative politique anticapitaliste que par la protection de son implantation dans les mairies et conseils généraux (implantation par ailleurs faible).

La formule Gouvernement du Front de Gauche marque notre osmose avec cette aspiration à une alternative.

Serge Goudard écrit "Le PCF quant à lui préfère un front populaire du XXI° siècle….avec le PS et quelques autres." Je crois qu’il s’avance de façon trop péremptoire. Depuis 50 ans, le Parti Communiste français défend :

- globalement une compréhension anticapitaliste du monde nécessitée par son implantation majoritaire parmi les cadres organisateurs de la classe ouvrière. de ce point de vue, L’Humanité constitue un élément incontournable du rapport de force anticapitaliste dans notre pays

- une orientation d’alliance tactique permanente avec le Parti socialiste et le PRG (plus EELV récemment) lors des élections, surtout municipales, cantonales, sénatoriales (ce qui conduit nécessairement à un échec lors des présidentielles)

Il est peu probable que le PCF passe en bloc, en une année, de cette orientation qui, pendant longtemps s’est avérée praticable, à celle sur laquelle se construit le Front de Gauche : vu la pratique politique et l’évolution idéologique du Parti Socialiste il est temps de faire le maximum pour présenter systématiquement une alternative anticapitaliste à vocation majoritaire au premier tour.

Je ne devine pas dans le marc de café quelles seront les évolutions à venir du Parti communiste. Pour les présidentielles de 2012 et les européennes de 2013, peut-être aussi pour les législatives de 2012, je crois que le Front de Gauche sera uni. L’échéance la plus difficile à passer, ce sera celle des municipales ; même en le sachant, mieux vaut ne pas tirer a priori un trait sur la présence du PC dans le Front de Gauche sinon c’est l’enfoncer dans une marginalité politique inutile.

3) Dans quelle période politique sommes-nous ?

Serge Goudard considère que le monde a vécu une période de haute combativité dans les années 1970 et 1980 " La vague de 1968 balaya l’Europe tout entière : les braises de la révolution rougeoyaient de nouveau. La grève générale ébranlait le régime gaulliste, puis De Gaulle était défait lors du référendum de 1969... Dans ces mêmes années soixante-dix et quatre-vingt, l’ordre capitaliste fut également ébranlé au Portugal, en Espagne et en Grèce. Les dictatures s’effondraient sous les coups de buttoir des masses populaires (1974 en Grèce et au Portugal…..)." Par contre, il analyse les années 1990 comme marquées par un recul de la combativité " La période des années quatre vingt dix était notamment marquée par la dislocation de l’URSS et la réintroduction du capitalisme à l’est de l’Europe, par un recul général des mobilisations ouvrières."

Ce point de vue ne correspond pas à la réalité.

La période révolutionnaire des années 1968 s’est terminée vers 1974 1976 avec les défaites en Amérique latine, avec l’essoufflement des luttes ouvrières en France, avec l’impasse politique des mobilisations au Portugal et en Espagne, avec un ressac considérable des mouvements jeunes.

La combativité de la classe ouvrière (nombre de jours de grève) a connu ensuite un long temps faible de 1974 à 1995. Même situation atone pour les mouvements jeunes au niveau mondial.

Depuis 1995, la situation paraît plus favorable aux perspectives socialistes avec le succès de forces opposées aux USA en Amérique latine, avec les mobilisations altermondialistes, avec un renouveau de luttes ouvrières, avec des signes de mobilisation des peuples en profondeur et apparition de quelques avant-gardes ici et là.

Le contexte mondial comme national présente des aspects contradictoires (par exemple l’échec des grandes luttes sur les retraites pèse négativement en France sur la combativité). Ceci dit, je crois que nous restons sur une pente globalement ascendante depuis 1995, les éléments combatifs étant rendus prudents par l’absence d’une force politique apte à dénouer le rapport de forces, apte à représenter au moins l’embryon d’une alternative.

En tout cas, la partie du rapport présenté par Pierre Laurent après les régionales me paraît juste « une crise sans précédent du système capitaliste » et, « depuis le début de l’année 2009, des mouvements sociaux continus, très importants et très divers ... c’est un véritable rejet, massif et populaire, qui s’est installé dans le pays et qui vient de s’exprimer dans les urnes ou dans l’abstention », et « Nicolas Sarkozy est cette fois manifestement sonné par l’ampleur de la sanction. C’est un fait nouveau essentiel ».

Dans la période politique actuelle, le niveau de combativité et même de conscience permet de tenter la construction d’un front de gauche comme force politique apte à modifier le rapport de forces face au grand capital et face à la droite, comme force politique apte à modifier le rapport de forces au sein de la gauche, et ce, en faveur d’une alternative anticapitaliste. Cette stratégie va évidemment de pair avec le projet de construction du PG comme parti creuset, avec la formule Gouvernement du Front de Gauche...

4) La meilleure stratégie se trouve-t-elle dans la meilleure unité ouvrière ?

Serge Goudard propose une orientation de Front unique, celle pratiquée par les bolcheviks en 1917 vis à vis des mencheviks : " Cette politique de « front unique » trouvait sa source dans la politique que les bolcheviques avaient mise en œuvre de février à octobre 1917. Ceux-ci, minoritaires dans les soviets en février, avaient conquis la majorité en prônant de manière incessante et concrète l’unité des partis ouvriers face aux capitalistes, la rupture de ces partis avec les représentants de la bourgeoisie au gouvernement."

L’exemple ne me paraît pas pertinent car les contextes politiques sont fondamentalement différents. De plus, de 1912 à 1917, les bolcheviks ont gagné une audience de masse en milieu ouvrier et dans la population par une orientation absolument pas unitaire (scission du parti en 1912, noyaux illégaux...), simplement parce que leur projet et leur pratique politique étaient totalement contradictoires avec ceux des mencheviks. Durant ces années, comme en 1917, comme de 1917 à 1923, ils ont surtout théorisé et mis en pratique une orientation visant à faire triompher leurs perspectives politiques tout en construisant leur parti, les deux étant inséparables.

Cette articulation entre perspective politique et construction de la force politique qui la porte est incontournable. De ce point de vue, je n’ai pas de critique importante à formuler sur l’articulation pratiquée par le PG entre ses textes de référence, sa pratique politique quotidienne, le projet Front de Gauche et les perspectives de construction du parti lui-même. Je suis même estomaqué par ce que Jean-Luc Mélenchon et les directions du PG arrivent à faire depuis 2008 ; je souhaite surtout qu’ils restent sur cette orientation.

Jacques Serieys, le 2 juin 2010


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